La city et le défi de l’Europe
La crise financière a radicalement modifié l’environnement de la City de Londres. Pendant les vingt années précédentes, celle-ci a beaucoup bénéficié de l’intégration financière européenne. Dans le même temps, l’ensemble du système financier britannique est resté soumis à un régime réglementaire et fiscal peu exigeant. Les autorités bruxelloises ont accompagné la tendance à la déréglementation, dans la mesure où celle-ci leur permettait d’atteindre leurs objectifs de démantèlement des barrières financières transfrontalières au sein de l’Union.
Cette combinaison a été balayée par la crise financière. Le nouveau consensus politique britannique tient les financiers pour principaux responsables des difficultés économiques du pays. Le gouvernement Cameron a mis en place une commission indépendante dont le rapport final, attendu à l’automne 2011, pourrait imposer aux banques des contraintes plus radicales que dans aucun autre grand pays occidental. L’effort de restructuration des finances publiques se traduit aussi par un tour de vis fiscal sans précédent, dont la City n’est pas épargnée. À Bruxelles non plus, l’heure n’est plus à la dérégulation. L’Union européenne a établi au 1er janvier trois nouvelles autorités de surveillance financière, chargées d’harmoniser les règles applicables mais aussi de contrôler directement certains acteurs comme les agences de notation. Jamais auparavant la City n’avait été soumise à un contrôle aussi direct depuis l’extérieur du Royaume-Uni. Le gouvernement britannique a donné son feu vert en juin 2009, sans doute par crainte de se retrouver isolé, alors que la crise islandaise était encore dans toutes les mémoires. Mais certains à Londres semblent désormais avoir des regrets. Cette situation n’est pas sans parallèle avec celle de l’Allemagne qui, au début des années 1990, avait accepté de déléguer sa politique monétaire comme prix à payer pour la création de l’euro et la pérennisation du marché unique. Lorsque la crise grecque a conduit la BCE, malgré sa localisation à Francfort, à se départir de l’orthodoxie de la Bundesbank, une partie du public allemand a réagi très négativement, jusqu’à regretter l’abandon de souveraineté monétaire concédé à Maastricht. Les Britanniques qui ont accepté la création des autorités européennes de surveillance au nom de l’intégration financière pourraient de même avoir du mal à en accepter toutes les conséquences.
Le pire cauchemar pour la City serait de perdre sa position d’intermédiaire obligé dans ce qui reste la plus importante relation financière au monde, celle entre les États-Unis et l’Europe. En témoignent quelques réactions britanniques angoissées face à la fusion entre Deutsche Börse et Nyse-Euronext. Mais un conflit d’autorité avec l’UE aurait des conséquences bien plus graves. Certes, pour l’instant, les nouvelles autorités pâtissent de leur expérience limitée, de leurs moyens réduits, et des cotes mal taillées qui régissent leurs processus de décision ; un échec des « stress tests » bancaires en cours pourrait porter un coup précoce à leur crédibilité. Mais cela ne les empêchera pas de grandir au fil du temps, en partie grâce au soutien d’acteurs financiers non européens qui verront en elles des alliées face au développement du protectionnisme financier sur le continent. Bien sûr, d’autres défis européens encore plus décisifs se profilent pour Londres. Face à la crise de l’euro, le Royaume-Uni ne pourra pas rester éternellement absent de ce qui va sans doute devenir une refonte majeure des institutions de l’UE. Mais pour le moment, la classe politique britannique, confrontée à un électorat profondément eurosceptique, préfère adopter la politique de l’autruche. Pendant ce temps, les polémiques sur les autorités financières européennes vont sûrement se multiplier.
La situation d’avant la crise, lorsque l’activité de la City était devenue paneuropéenne sans que sa réglementation le soit, ne pouvait pas durer éternellement. Mais de nombreux acteurs
londoniens n’ont pas encore fait leur deuil de cette évolution, et espèrent encore un retour au bon vieux temps. De ce point de vue, une clarification de la relation entre la Grande-Bretagne et l’UE serait non seulement dans l’intérêt de l’Europe, mais aussi dans celui de la City elle-même.