Pour bientôt le 25ème anniversaire de la réunification allemande, peut-on dire, finalement, et plus d’un 1,7 Tr€ de transferts publics après, soit 70 Md€ par an, que les Länder de l’Est ont rejoint, ou à défaut sont en passe de rejoindre, les Länder de l’Ouest ? Est-on sur le modèle d’une intégration réussie (par exemple, le stupéfiant rattrapage de la Bretagne dans l’après-guerre français) ou d’une situation plus proche de ce que connaît l’Italie avec son Mezzogiorno.

Dr Hanz-Werner Sinn, le très médiatique économiste outre-Rhin, connu pour ses positions anti-euro et anti-fédéralistes s’agissant de l’Union européenne, fait un constat accablant dans un billet récent de Vox-EU. Tout se lit sur le graphique qui suit, dont la lecture nécessite un peu d’attention. Il fait figurer, depuis la date de la réunification, certains indices comparatifs entre l’Est et l’Ouest. La référence est l’Allemagne de l’Ouest, au niveau 100 (trait noir sur le graphique).

Chacun des indices retrace un aspect différent sur lequel on peut juger de la convergence : le PIB par tête (hors Berlin Ouest), le PIB par tête, le cout salarial horaire, le revenu net par tête, y compris donc revenus personnels de transferts, d’aide sociale, etc. Cette première série d’indices a connu une forte croissance pendant les 10 premières années de la réunification, puis a progressivement ralenti, et désormais stagne ou évolue très lentement. Clairement, on est plutôt dans l’hypothèse Mezzogiorno.

allemagne

Une autre série d’indices concernent les retraites légales par tête, en montant nominal et corrigés de l’inflation (plus basse dans l’Est, signe d’un dynamisme économique moindre). Ils sont supérieurs à l’Est et continuent à croitre. Mezzogiorno toujours.

Le phénomène est complexe, mais Dr Sinn met en avant une erreur stratégique majeure du gouvernement allemand, sous l’influence des lobbys patronaux : le taux de salaire à l’Est a été très fortement revalorisé et même parfois aligné sur celui de l’Ouest. Motif ? Ne pas permettre que des sociétés étrangères (les Japonais surtout, qui faisaient la terreur outre-Rhin à l’époque dans l’industrie manufacturière et dans l’automobile) viennent s’installer à l’Est en raison du bas cout du travail, et sur base d’une technologie avancée et de la très forte culture d’ingénieur des Allemands de l’Est, viennent bousculer les grands groupes industriels de l’Ouest. Résultat, les couts salariaux se sont dès 1995 établis à 75% de leur niveau très élevé de l’Ouest, de sorte que les investisseurs étrangers ont fui, et, quelques années après, avec la libéralisation dans les autres pays de l’Est, ont préféré s’installer en Pologne ou en Slovaquie. Les seuls investissements l’ont été dans l’industrie lourde, par exemple le papier-carton, sur subsides publics (parfois supérieurs à 100% de l’investissement), mais malheureusement avec un contenu en emploi très faible. Si l’on n’avait pas à ce point dopé les salaires de l’Est, dit-il, l’économie aurait pu progresser rapidement et les salaires et l’emploi seraient aujourd’hui plus élevés qu’aujourd’hui.

La photo finale est cruelle : l’Allemagne de l’Est avait 4,1 millions d’emploi manufacturiers avant la réunification, 920.000 aujourd’hui ; le taux de chômage est de 9,8% (5,8% à l’Ouest) ; l’émigration des jeunes vers l’Ouest se poursuit alors qu’il y a eu au total 1,64 million de personnes parties vers l’Ouest depuis 25 ans.

On devine la morale de cette histoire pour l’anti-fédéraliste qu’est le Dr Sinn (qui écrit pour l’occasion avec une Mme Sinn) : ne faisons pas la même chose dans la zone euro, les pays du Nord subventionnant la croissance économique des pays du Sud. Chacun chez soi, et les vaches seront bien gardées.