Le dernier rapport du FMI sur la stabilité financière fait frémir par son chiffrage des provisions passées ou à passer sur les actifs toxiques qui couvrent la planète : 4,1 trillions de dollars. Mais il contient une information plus importante encore, qui oblige à porter un autre regard sur l’origine de la crise financière : sur ces créances à déprécier, le pourcentage qui est resté ou qui a atterri dans les bilans des banques dépasse les 75% !

Conclusion, les banques ont mené lors du dernier cycle une activité galopante de production de crédits, qu’elles ont transformés juridiquement de prêts en créances par les techniques de titrisation nouvellement offertes, pour finalement … les placer majoritairement entre elles sur leurs bilans plutôt qu’auprès des investisseurs. Surprenant ?

La raison de ce « tourniquet » est connue maintenant : il a résulté du choix fait par les banques de tourner à leur profit la régulation les obligeant à maintenir un ratio minimum de fonds propres en regard de leurs crédits. Elles ont utilisé pour cela la possibilité laissée par la régulation de loger les titres financiers qu’elles achètent et vendent dans ce qu’on appelle le trading book. Ces titres portent alors un coût en capital 5 à 10 fois moins important que du crédit classique. Pour accroître le retour sur fonds propres d’un prêt ou d’un portefeuille de prêts, il suffit de le changer en produit structuré, même totalement illiquide et non coté sur un marché, et de loger le tout dans le trading book.

Portées par cette dynamique, les banques se sont endettées comme jamais depuis la fin des années 20. Leurs bilans ont ballonné. Si on prend 1995 comme référence, le FMI nous dit que la dette des Etats est passée de l’indice 100 à l’indice 105 à fin 2007 ; celle des ménages à 141 ; celle des entreprises à 129. Et celle des institutions financières à 221 ! Avec un robinet si largement ouvert, la qualité du crédit s’est forcément dégradée, parce qu’échappant aux circuits internes d’un crédit bancaire correctement souscrit et surveillé. Les clés de la maison ont été laissées aux jeunes banquiers surpayés des desks de crédit structuré.

Il suffisait alors d’une baisse inopinée de prix d’actifs (l’immobilier US) suite à une incontestable bulle pour mettre en difficulté certaines premières banques. Et provoquer une gigantesque ruée bancaire par arrêt brutal du refinancement de l’ensemble du système, en raison de sa forte interconnexion. L’analogie est celle d’une rupture locale de réseau qui provoque une panne électrique géante. Les crises des marchés financiers et de l’économie réelle ont suivi.

Il résulte de cela une vision assez différente des responsabilités de chacun dans la crise. D’abord, les investisseurs n’ont pas massivement investi dans les produits toxiques, sauf à appeler toxiques les obligations et emprunts bancaires que les banques leur ont fait largement souscrire pour leur financement. Les agences de notation, qui sont coupables d’un vrai abus de confiance dans leur notation des produits structurés, ont surtout scandaleusement mal noté les banques, qui ne valaient pas mieux que des hedge funds du point de vue de la solvabilité, et probablement moins du point de vue de leur capacité à gérer des risques complexes.

Entre autres aveuglements, les régulateurs n’ont pas vu que les trading books portaient des risques systémiques importants et que les banques les chargeaient de titres qui n’avaient rien à y faire. Par contre, il n’est pas prouvé (ni l’inverse) qu’ils aient eu tort de penser que les marchés financiers permettaient de stabiliser les risques bancaires en les répartissant en une myriade d’investisseurs. Encore une fois parce que le gros des risques n’est pas allé plus loin que les bilans des banques, de AIG ou des monolines.

Si les banques et leurs dirigeants ont collectivement failli en tant qu’industrie, c’est une mauvaise piste que d’imputer au simple jeu des marchés financiers un rôle majeur dans la crise. La régulation y est indispensable, parce que la recherche du bon prix est toujours un processus par sauts, excès ou bulles. Les marchés ont toujours raison, pourrait-on dire comme le faisait Churchill de ses alliés américains pendant la 2e guerre mondiale, « mais après avoir essayé toutes les autres solutions ». Mais les crises qui tiennent à leurs excès (krach de 1987, LTCM, peut-être bulle Internet) n’ont jamais encore eu l’impact économique des crises bancaires.

 

François Meunier