La dépréciation de ses propres dettes ne crée pas de valeur, sauf pour les comptables…
La comptabilisation en juste valeur de sa propre dette est une option offerte par les IFRS que les banques françaises, notamment, utilisent volontiers en ce moment. Contre tout bon sens et loin de toute réalité économique, cette pratique permet d’extérioriser des résultats et de créer des fonds propres virtuels.
Il ne s’agit pas ici de critiquer l’utilisation de la juste valeur en comptabilité, mais de démontrer que son utilisation partielle peut mener à des conclusions erronées. Ce n’est seulement que dans l’hypothèse théorique où tous les actifs et les passifs seraient comptabilisés et évalués de manière homogène, qu’une telle prise en compte des valeurs de marché des dettes propres pourrait être justifiée.
Une société dont la dette, cotée, se déprécie peut potentiellement la racheter à un prix inférieur à la somme préalablement enregistrée au passif de son bilan. Pour autant une telle opération ne saurait créer de la valeur. La prise en compte d’une telle décote sur sa dette a un impact simultané sur la valeur de ses actifs. Au final une baisse de la valeur de la dette est sans conséquence sur la valeur des fonds propres de la société. La réciproque n’est en revanche pas nécessairement vraie.
Pour illustrer le propos, nous allons dans un premier temps prendre l’exemple théorique d’une société en régime de croisière pour laquelle il est possible de raisonner à l’infini : les amortissements sont égaux aux investissements, la dette est perpétuelle, l’intégralité du résultat est distribuée, le bilan est ainsi identique année après année.
Supposons que le total de bilan soit de 200, l’actif économique de 200 étant financé pour moitié par fonds propres (100) et pour moitié par dette (100). La société génère un résultat d’exploitation de 20, a des frais financiers de 5 (100 de dettes à 5%) et donc un résultat net (en l’absence d’impôt pour simplifier) de 15.
Actif économique Va=200 (20/10 %) | Fonds propres Ve=100 (15/15 %) Dettes Vd=100 (5/5 %) |
La valeur des fonds propres de 100 correspond à un coût des fonds propres de 15 %, donc avec 50 % de dettes et 50 % de fonds propres, le coût moyen pondéré des capitaux est de 10 % ce qui confirme que la valeur de l’actif économique est de 200.
Supposons que la dette soit dépréciée parce que les taux montent à 10 % (par exemple parce que les spreads augmentent sur ce profil de société, toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire notamment sans changement de niveau de risque). La valeur de la dette diminuera immédiatement de 50 et ne vaudra plus que 50 (les frais financiers restent inchangés à 5 par an, ce qui actualisé à l’infini au taux de 10 % donne bien une valeur de la dette de 50). Les fonds propres restent constants à 100 (résultat d’exploitation et coût des fonds propres inchangés, cohérents avec l’absence d’évolution du risque sur les fonds propres puisque la seule décote de la dette est sans impact sur les flux). Le coût moyen pondéré du capital va passer à 13,33 % (1/3 de dettes à 10 % et 2/3 de fonds propres à 15 %), ce qui va entraîner une diminution de la valeur de l’actif économique qui va passer de 200 à 150. Le bilan, c’est heureux, reste équilibré.
Actif économique Va=150 (20/13,33 %) | Fonds propres Ve=100 (15/15 %) Dettes Vd=50 (5/10 %) |
Autre illustration : considérer que la société « profite » de la décote de sa dette pour la racheter. Mais pour cela elle doit emprunter 50 aux nouvelles conditions de marché (10 %), et reste donc avec des frais financiers de 5 sans possibilité de créer de valeur.
Bref, enregistrer les changements de valeur de sa dette, c’est prendre en compte une évolution de son coût, ce qui impose corrélativement de corriger le taux de rendement attendu sur ses actifs. Il existe un cas pour lequel la dépréciation de ses propres dettes s’accompagne d’une hausse de ses fonds propres : celui d’un abandon d’une partie de la dette par les créanciers ; pour autant les banques qui déprécient actuellement leurs dettes ne semblent pas avoir de telles revendications !
Vos réactions
Jean Louis
Comme tu le sais, les banques ne peuvent mesurer leurs passifs a la JV que dans certains cas precis (enumeres au paragraphe 4.2.2 d’IFRS9)correspondant, en gros, aux activites de trading. Des informations en annexe sont requises par IFRS7. L’effet de changement de valeur de la JV resultant de l’evolution du risque de credit de l’emetteur est isole et inscrit en OCI (modification 2010 d’IFRS9)
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Excellent debat entre experts en Finance. L’IASB a resolu en partie le probleme: depuis la modification d’IFRS9 (version 2010) le « gain » sur la variation de juste valeur (JV) de la dette n’est plus inscrit en resultat, mais en OCI. Ainsi, on reconcilie la valorisation au bilan (la JV etant un prix de marche tient bien compte du risque de credit de l’emetteur) et l’approche resultat (il n’y a pas de profit tant que la dette n’a pas ete rachetee ou un abandon de creance consenti). Reste entiere la question du « recyclage » de l’OCI vers le compte de resultats lorsque le « profit » est realise. Quant a la question de savoir s’il faut permettre de comptabiliser ses propres dettes a la JV, c’est une autre question. Cela parait a priori etrange, mais certaines dettes sont adossees a des portefeuilles d’actifs qui doivent etre mesures a la JV selon IAS39 et IFRS9. Alors, faut il faire apparaitre un « mismatch » de mesure au bilan?
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Si le raisonnement est à iso-risque on en déduit que la hausse du taux d’intérêt ne peut provenir que de celle du taux sans risque et qu’ainsi en conséquence le coût du capital étant défini par référence couple taux sans risque et beta*prime de risque de marché, le coût des actifs économiques augmente également de 5%. Soit un taux de 15% et la valeur des actifs économiques qui en découle sera de 20/0,15 = 133 soit une valeur des fonds propres de 83 = (133 – 50) en valeur de marché. Le coût des fonds propres se déduisant du coût du capital et de celui des fonds propres selon l’identité : ke = (kae – kd*D/AE)*AE/FP on en déduit sur la base de l’exemple un coût des fonds propres de 18%.
De fait, non seulement la valeur des fonds propres n’augmente pas, mais s’amenuise…
Le gain éventuel induit par la détention de dettes à taux fixes en période de hausse de taux ne peut apparaître que dans la condition expresse que le rendement économique progresse au même rythme que le coût du capital soit un résultat d’exploitation qui passerait de 20 à 30 et permettrait ainsi de conserver une valeur de l’actif économique inchangée soit égale à 200; dès lors la valeur de la dette ayant baissé de 50, un transfert de 50 au profit des fonds propres en l’absence de non indexation du taux d’intérêt servi au taux du marché (c’est ce qu’on appelle en période d’inflation le gain monétaire induit par un endettement à taux fixe dès lors que les revenus de l’actif économique soit le rendement de l’actif progresse avec l’inflation…)
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Petite réaction concernant l’ORNANE : la société n’aura pas à émettre plus d’une action par ORNANE quel que soit le niveau où monte le cours de l’action. Les fluctuations que vous évoquez n’auraient des effets que dans le cas d’une baisse du cours : lorsque celui-ci s’effondre, le coût du remboursement (alors nécessairement en cash) exprimé en action sera croissant. C’est pourtant l’inverse qu’exprime le traitement IFRS.
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Petit cas pratique appuyant la présentation dynamique du wacc : il y a près de vingt ans, un an ou deux après la faillite de La 5, Lagardère a annulé ses ORCI par rachat à vil prix, faisant près d’un milliard de francs de profit.
Même le fisc ne s’est pas trompé !
Temps 1 : On s’endette pour financer ses investissements;
Temps 2 : on perd tout ou partie de la valeur de son investissement ; le marché l’apprend et déprécie vos titres ;
Temps 3 : les pertes soldées et financées, on peut arbitrer sur l’écart de wacc.
Votre analyse supposant une dette pertuelle manque le mouvement pertuel des besoins de financement.
Pour l’article suivant sur les ORNANE: il ne me parait pas choquant de provisionner de tels mouvements ni de lisser les effets de dilution/relution potentiels des anciens actionnaires.
Là aussi, on peut croire qu’il n’y a pas d’effet sans cause. Si la hausse de valeur de la société est causée par un profit, ce dernier est amoindri par le mode de financement retenu (en supposant un lien entre la dette et le profit) ; au directeur financier d’ajuster, s’il le peut, la charge au produit. Si elle n’est causée que par des aléas de marché, ceux-ci enchérissent immédiatement et sans contrepartie réelle et durable le mode de financement ; cela justifie bien une diminution des fonds propres : si les conditions de marché reviennent à l’état antérieur après le remboursement de la dette, la perte est sèche. Il s’agit donc d’anticiper cette dépréciation.
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Pour répondre à mon vénéré Professeur Patrice Poncet, j’ai effectivement raisonné à iso-risque, (les frais financiers ne changent pas pour l’entreprise, la dépréciation de la dette vient d’une translation de la droite de marché issue d’une hausse du taux sans risque), c’est ainsi que j’ai pu facilement recalculer le WACC. Dans cette hypothèse, la baisse de la valeur de la dette traduit une hausse du coût du crédit toutes choses égales par ailleurs, donc une hausse du rendement attendu sur les actifs et donc une baisse de la valeur des actifs. La valeur des fonds propres demeure bien inchangée.
Si on considère que la dépréciation provient d’une perception d’un risque plus élevé, la hausse de mon coût des fonds propres entrainerait comme l’indique Patrice Poncet une baisse de leur valeur renforçant encore l’aberration de la création de valeur comptable.
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Si la société utilise son cash pour rembourser sa dette, elle change son levier et donc le coût de ses fonds propres. Il y a un potentiel… comptable, mais pas de création de valeur
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La démonstration de Thomas est tautologique (comme l’identité actif-passif !) en ce que la valeur de l’actif est calculée comme le flux perpétuel généré par les actifs (ce qui est correct) divisé par le coût moyen pondéré du passif (wacc). Donc toute variation de la valeur de la dette et de son coût se répercute sur celle des actifs, mécaniquement. Les maths sont donc tautologiquement impeccables.
Le problème est qu’il est financièrement erroné (en théorie du moins) de supposer que le coût des fonds propres reste le même avant et après l’opération de dépréciation de la dette: le levier financier, donc le risque pour l’actionnaire, n’est pas le même avant et après, donc il faudrait recalculer le wacc avec les nouvelles pondérations (ce que Thomas fait parfaitement) mais aussi avec un nouveau coût des fonds propres FP (ce qu’il ne fait pas). Dans ce cas, on trouverait que la valeur des fonds propres a varié (NB: ceci donne lieu à un problème classique de résolution d’équations simultanées par itérations : une nouvelle valeur de FP implique une nouvelle modification du wacc, etc.)
Conclusion: Thomas n’a raison que si la perception du risque par les actionnaires n’est pas modifiée ou si le changement de niveau de risque perçu peut être considéré comme approximativement négligeable.
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C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai lu votre article
Je conforterais les propos de T Bouvet:
IFRS la notion de ‘fair-value’
permet de faire n’importe quoi
avec les IFRS, nous approchons des
‘purchase acconting’
va créer une volatilité
nous éloigne de la réalité
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Les banques utilisent en effet cette notion de façon opportuniste, tout en se plaignant de la juste valeur ! La compabilisation de la dette propre en valeur de marché supposerait que deux conditions (jamais réunies) soient remplies :
– tous les actifs, y-compris le goodwill généré en interne, sont comptabilisés;
– tous ces actifs sont mesurés en juste valeur de façon homogène à la dette.
En l’absence de ses deux conditions, que le modèle mixte des normes IFRS ne permet pas, il ent impossible de traiter de façon symétrique les actifs et les passifs.
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Si cette société utilise son cash disponible (plutôt que de s’endetter) pour racheter une partie de sa dette décotée, il me semble qu’il y a bien création de valeur.
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