À lire un interview formidable, mais glaçant, de Ricardo Hausmann sur la dégringolade du Venezuela dans le Financial Times du 3 octobre, et le texte complet de l’interview ici. Si par un hasard pervers, quelque homme politique français souhaitait prendre exemple sur ce pays pour son pays à lui, voici un document qu’il gagnerait à lire. Des extraits de cet interview figurent sur différents blogs, dont celui-ci, de sorte que Vox-Fi prend la liberté d’en reproduire à son tour, et en français, quelques extraits.

Ricardo Haussmann est prof à Harvard, mais a longtemps travaillé au Venezuela, avant de devoir s’exiler. Son frère journaliste vient de passer 7 mois en prison, et est aujourd’hui en arrêt domiciliaire.

 

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« Le pétrole est devenu en 1925 la plus grande exportation du Venezuela, ce qui a fait du pays le plus grand exportateur au monde dès 1929. Il l’est resté jusqu’à environ 1965. Dans cette période, entre 1925 et 1975, disons pendant ces 50 ans, le Venezuela était le pays à la plus forte croissance au monde et, du plus pauvre parmi les pays d’Amérique latine, il en est devenu le plus riche. Il a massivement attiré les immigrants, dont quelque 700 000 Espagnols, Italiens et Portugais dans un pays qui à l’époque ne comptait guère que 7 millions d’habitants. […] C’était un aimant. Il a utilisé massivement ses ressources pour investir dans l’infrastructure. Lorsque la démocratie est venue, elle a priorisé l’éducation, la santé et le logement public. Et c’était un endroit assez prospère. L’enseignement universitaire était gratuit, et pas simplement l’enseignement primaire et secondaire. Il y avait un accès à très bon marché à l’électricité, à l’eau, etc.

[…]

Permettez-moi de vous donner une idée de l’ampleur de la mauvaise gestion de l’industrie pétrolière. En 1998, l’année avant que Chávez prenne le pouvoir, le Venezuela produisait 3,7 millions de barils de pétrole par jour. Aujourd’hui, il produit environ deux. Si le Venezuela avait maintenu sa part de marché dans l’industrie pétrolière mondiale – ce qu’il pouvait avoir parce qu’il avait des réserves infinies, il avait les plus grandes réserves au monde – il produirait deux millions de barils de plus qu’il le fait actuellement.

L’effondrement de l’industrie pétrolière s’est déroulé en deux étapes. Tout d’abord, tout le savoir-faire de cette industrie, à savoir des siècles d’expérience d’hommes ont été perdus quand ceux-ci ont été licenciés. Non seulement licenciés mais persécutés. Ils ont donc pour la plupart quitté le pays, notamment en Colombie, qui grâce à cela a passé sa production de 200.000 barils par jour à un million de barils. Il y a donc eu une perte massive de capital humain.

Ils voulaient créer aussi une société pétrolière politiquement consciente, donc ils ont collé énormément de programmes sociaux et d’autres choses sur les livres de la société pétrolière nationale, la PDVSA. En conséquence, ils ont refusé à la société les investissements nécessaires et ils l’ont gérée de façon étonnamment corrompue, et on ne parle pas ici d’indice de corruption, mais de preuves massives de corruption. Ils ont tué la poule aux œufs d’or…

Ce n’est pas seulement l’industrie pétrolière qui a été reprise et ruinée… Ils ont nationalisé la société sidérurgique. Elle produisait avant sa nationalisation 4,5 millions de tonnes d’acier avec 5.000 employés. Elle en compte actuellement 22.000, mais ne produit plus que 200.000 tonnes d’acier. Ils ont donc mis ces entreprises par terre. »

[…]

« Par conséquent, le revenu par tête s’est effondré à un point qu’il est difficile de comprendre et de faire comprendre, d’autant que l’effondrement des revenus privés s’accompagne d’une destruction des services publics comme par exemple la santé. À un niveau tout simplement incroyable. Il est étonnant de voir comment les taux d’espérance de vie…, comment des maladies qui avaient été éradiquées (le Venezuela a été le premier pays à éradiquer le paludisme en 1961, avant même les États-Unis) réapparaissent en force. Le paludisme fait un grand retour. La rougeole est de retour. Il n’y a pas de drogues pour le HIV, pas de médicaments pour l’hypertension, aucune machine pour faire des dialyses. »

 

Sur Chavez

« Chávez était clairement une personnalité très particulière, mais il est vrai que lors de l’élection d’octobre 2012, et quand les sondages posaient la question : « Le pays va-t-il dans la bonne ou dans la mauvaise direction ? », plus de 60% des gens répondaient que ça allait dans la bonne direction. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que cette année-là, le gouvernement fonctionnait avec un déficit budgétaire de 18% du PIB. Bien-sûr, le prix du pétrole était de 104$ le baril. Mais 18% du PIB, c’est un chiffre astronomique. En plein milieu d’un boom pétrolier, quand vous êtes censé mettre de l’argent de côté, 18% est tout simplement incroyable. Donc, en clair, il dépensait en 2012 comme si le prix du pétrole était à 200 $. »

Haussmann ajoute alors :

« Mais peut-être que Chávez savait mieux que tout le monde. Il savait exactement quand mourir, car il a disparu de la scène en décembre 2012 et a été déclaré mort en mars 2013. »

 

L’histoire des emprunts de la faim

L’auteur parle alors de l’obligation du gouvernement à se refinancer à l’étranger à tout prix et de n’importe quelle façon, ce qu’il appelle les « obligations de la faim », dont les prêteurs profitent abondamment.

« Un exemple très clair est Goldman Sachs qui a prêté 850 M$ au gouvernement à un taux d’intérêt de 50%. Personne n’a un projet qui paie 50%. Le gouvernement a maintenant 850 M$, alors ils doivent payer quelque chose dans le futur alors qu’ils n’auront pas le moindre sou pour le faire. Parce qu’ils n’utilisent pas l’argent dans un programme d’investissement qui sera en mesure de payer cette dette. Cette dette est juste pour soutenir le régime actuel, et c’est ce qui à mes yeux rend cette dette odieuse. C’est une dette du régime, ce n’est pas une dette qui devrait lier les gens d’un pays, car le régime ne représente pas le peuple et le régime ne peut pas compromettre l’avenir du pays. »