Récemment, le responsable de la stratégie du FN, David Rachline, a laissé entendre que le service de la dette française, après sortie du pays de l’€, s’effectuerait en « nouvelle monnaie nationale » pour ce qui est des émissions émises sous le droit français (+/- €2.000 milliards), alors que le solde (+/- €200 milliards) serait remboursé en €. Cette affirmation reflète un positionnement très discutable du FN sur la « souveraineté nationale » !

En réponse à cette déclaration, l’Agence de Notation Moody’s a indiqué qu’un changement unilatéral de la monnaie dans laquelle le service de la dette est assuré constituerait une violation flagrante des conditions de l’emprunt. La France serait déclarée en faillite, ce qui rendrait l’ensemble de sa dette immédiatement exigible ; en l’occurrence il s’agirait du plus important défaut de paiement de l’histoire ! N’en déplaise à Marine Le Pen qui affiche son total mépris pour les Agences, les marchés ne manqueraient pas de réagir.

Ces prises de position appellent cependant des clarifications sur plusieurs points :

Au plan juridique, il est justifié de distinguer entre les émissions régies par des lois de juridictions différentes ; cependant, cette distinction porte principalement sur la « compétence » des tribunaux et la « loi applicable » en cas de conflit. Elle ne porte aucunement sur les autres caractéristiques d’un contrat dont, au premier chef, la monnaie dans laquelle il doit être exécuté.

S’il est vrai qu’exerçant sa « souveraineté », la France peut effectivement légiférer pour remplacer l’€ par une nouvelle monnaie nationale, cette décision entraîne nécessairement une des deux conséquences suivantes :

– Soit il y a maintien, dans la durée, de l’équivalence effective entre la nouvelle et l’ancienne expression de la monnaie, ce qui assure la « continuité des contrats » sans modifications des droits économiques des parties concernées, comme ce fut le cas dans l’introduction de l’€ en remplacement du Franc.

– Soit, il y a modification de ces droits qui entraîne pour une des parties un préjudice (ici la dévaluation de la nouvelle monnaie nationale relative à la monnaie du contrat) et alors l’autre partie doit « compenser » le préjudice subi. C’est ainsi que, lorsque l’Etat procède unilatéralement à la « nationalisation » d’une propriété privée, il est tenu de dédommager ceux qui sont contraints de l’accepter, sans quoi il s’agirait d’une « confiscation » que la victime pourrait contester en droit devant les tribunaux. C’est bien la situation qui résulterait d’une « redénomination » unilatérale de la monnaie d’exécution du contrat d’emprunt.

Si cette analyse est contestée par le FN, il serait urgent d’obtenir une clarification des Autorités judiciaires compétentes afin de ne pas induire les électeurs (et les investisseurs) en erreur.

Au cas (à mon avis hautement improbable) où la position du FN serait validée et même dans l’attente d’une telle décision, les teneurs de marché des OAT seraient avisés de créer dès maintenant une double cotation des titres de la dette française, selon le droit qui régit leurs émissions respectives. A défaut, ils s’exposeraient à des poursuites de la part d’investisseurs lésés qui pourraient se retourner contre eux à postériori, pour ne pas avoir attiré leur attention sur les risques encourus.

A ce titre, les Autorités de contrôle des marchés financiers, notamment les responsables du marché des OAT, devraient immédiatement se saisir de cette problématique de manière à honorer leur responsabilité fiduciaire de protection des investisseurs.

Il serait également intéressant de connaître l’avis de la BCE à ce sujet puisqu’elle détient quelque 250 milliards d’OAT et qu’elle continue à en accumuler chaque mois au titre de son programme d’assouplissement monétaire. Une faillite de la France impacterait significativement son bilan et serait de nature à fragiliser l’ensemble de l’Eurozone.

Si on admet l’analyse proposée par David Racheline ci-dessus, les conséquences liées à une victoire du FN conduiraient à:

– Compliquer considérablement le fonctionnement du marché secondaire des OAT, créant la confusion entre ses différents compartiments.

– Diminuer la liquidité de chacun des compartiments, ce qui pèserait sur les cours.

– Expliciter pour l’opinion publique, au travers du différentiel de cours affiché entre les compartiments, l’évaluation par le marché de la possibilité/probabilité d’une victoire du FN.

– Impacter l’accès de la France aux marchés financiers :
o a) International : toute nouvelle émission, pour trouver preneur, devra nécessairement être régie par la loi d’une juridiction acceptable hors de France.
o b) National : le spectre d’une redénomination unilatérale de la dette en nouvelle monnaie nationale débouchera sur des taux d’intérêts plus élevés, renchérissant significativement son coût.
– Créer un climat propice à la fuite des capitaux.

Il n’est d’ailleurs pas évident que, dans ces conditions, le refinancement régulier de la dette puisse s’effectuer sans heurts. Ce risque se cumulerait avec celui d’un retrait massif des sommes accumulées sur les livrets « A » d’épargne en France, lié à la perspective de dévaluation et à la perte correspondante du « pouvoir d’achat » de la population. Ainsi, seraient réunies les conditions d’une crise financière bien avant la mise en œuvre du programme du FN ; elle nécessiterait l’instauration immédiate d’un contrôle des changes et d’une limitation des retraits bancaires.

La sortie de la Monnaie Unique est certes une option politique cohérente et, en soi, respectable ; elle exige en contrepartie la transparence absolue sur les conséquences qu’un tel choix parfaitement assumé, implique. Par contre, il est inacceptable que le Front National continue de vanter les mérites de son plan de retrait de l’€, en présentant à la population une « vérité alternative » dénuée de tout fondement !

 

Cet article a été initialement publié le 15 février 2017 sur le site www.paulngoldschmidt.eu. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.