On attend encore le détail des chiffres de restriction budgétaire du gouvernement Valls. Le chiffre annoncé est de 50 Md€, soit 2,5% du PIB. Pour en mesurer l’ampleur, je me suis amusé à collecter les données d’Eurostat et d’autres sources (BCE, OCDE) sur les statistiques publiques en comparant la France avec l’Allemagne et l’Italie. En voici l’éloquent résultat.

 

Sur les bases des données les plus récentes, l’Allemagne est dans une situation très favorable : son PIB croît en valeur à 2,7% en 2013, bien davantage que le coût de financement de sa dette publique (1,5% en mars 2014). Voir tableau qui en donne le détail.

 

Spontanément, sa dette publique se résorbe. Le déficit soutenable est à 1% du PIB – il s’agit du solde primaire tel que la dette reste stable en % du PIB, soit à un niveau de 81% du PIB dans le cas de l’Allemagne[1] – alors qu’elle dégage un solde primaire positif de 1,7%. En d’autres termes, aujourd’hui, sa dette publique se résorbe au rythme de 2,7% points de PIB par an, chiffre qu’on obtient comme l’écart entre solde soutenable et solde primaire.

 

 

Tableau : Solde soutenable pour trois grands pays de la zone euro
       
 

Allemagne

 France

Italie

 

PIB (*)
  Volume

0,4%

0,2%

-1,9%

  Prix

2,3%

1,2%

1,5%

  Valeur

2,7%

1,4%

-0,4%

Taux d’intérêt (*v)

1,51%

2,15%

3,40%

Prix à la consommation (mars 14)

1,0%

1,1%

0,4%

Poids de la dette (**)

81,0%

90,2%

127,0%

Excédent (+) / Déficit (-) public (**)

0,1%

-4,2%

-3,0%

Intérêts de la dette (*)

1,6%

2,4%

5,1%

Solde primaire (*)

1,7%

-1,8%

2,1%

Solde soutenable

-1,0%

0,7%

4,8%

Variation prospective de la dette (***)

-2,7%

2,5%

2,7%

(*) chiffres de 2013 ; (**) chiffres de 2012 ; (***) Un chiffre négatif veut dire une baisse de la dette en points de PIB

 

On sait que l’Italie a réussi à ajuster ses flux de finances publiques depuis quelques années : son solde primaire s’établit à 2,1% du PIB, bien mieux que l’Allemagne. Le contraste est frappant avec la France. Par contre, elle hérite lourdement de sa mauvaise gestion passée : elle part d’un ratio de dette sur PIB énorme : 127% et continue, malgré la réduction du coût de sa dette depuis un an, à subir des taux très élevés (3,4%, soit près de deux points de plus que l’Allemagne) bien qu’ils soient historiquement bas pour ce pays. Comme sa croissance est négative (-0,4%), elle subit une pression déflationniste très forte : son solde soutenable, i.e. l’excédent primaire qu’il lui faudrait dégager pour stabiliser la dette, est de 4,8% de PIB. Si tout reste comme aujourd’hui, sa dette, malgré ses efforts budgétaires, va croître spontanément de 2,7 points de PIB par an.

 

La France est budgétairement dans la situation la moins favorable. Elle aussi voit sa dette croître spontanément : 2,5 points de PIB par an, à peu près comme l’Italie. Mais la cause en est différente : elle subit certes comme l’Italie, mais à un degré bien moindre, l’effet de ciseaux déflationniste d’un PIB dont la croissance (1,4% en 2013) est inférieure au coût de financement de l’État (2,15%). Mais avant tout, elle reste en zone rouge en matière de solde primaire des finances publiques : – 1,8% du PIB. Pour stabiliser sa dette, il lui faudrait un excédent primaire de 0,7% du PIB. L’effort budgétaire à accomplir pour cette stabilisation est important : 2,5% du PIB, soit environ 50 Md€ d’économies.

 

On tombe comme par magie sur les 50 Md€ annoncés par le gouvernement. Mais cette analogie est un peu optimiste. D’abord le chiffre n’est là que pour stabiliser la dette, non la réduire. D’autre part, les 50 Md€ sont pour les trois années à venir, et non pour la seule année 2014. Ensuite, beaucoup des mesures annoncées ne sont pas des réductions en dur, mais des réductions par rapport à des dépenses annoncées, qui souvent étaient programmées en hausse.

 

Le difficile jeu européen

 

Ces chiffres pointent la difficulté présente des économies européennes, et le travail à faire s’agissant de la France : la croissance réelle est faible sinon nulle dans les pays du sud, ceux qui doivent ajuster, dont la France. L’inflation est devenue « lowflation » en se rapprochant dangereusement de zéro.

 

Mais l’Allemagne, pour prendre ce pays comme exemplaire des pays du Nord, n’aide pas à l’ajustement collectif. Sa croissance est beaucoup trop faible pour tirer les pays en difficulté budgétaire et ses prix restent trop bas pour rétablir le déficit de compétitivité. Le dernier chiffre d’inflation sur les prix de détail (1% en mars 2014) est inférieur à celui de la France (1,1%) et simplement 0,6% au-dessus de celui de l’Italie[2]. La convergence des conditions de compétitivité est donc très lente, voire joue encore à rebours. Enfin, sa politique budgétaire reste aussi restrictive que celle de l’Italie. Il faut se rappeler qu’à l’époque où l’Allemagne absorbait les Lander de l’Est et où l’on parlait d’elle comme le pays malade de l’Europe, les pays du Sud avaient des politiques de croissance, de prix et de dépenses publiques qui objectivement aidaient le rétablissement allemand. Sur la période 2000-05, le PIB allemand a crû de 1% par an, dont une récession à -0,4% en 2003. Sur la même période, les PIB français et italien croissaient respectivement de 1,9% et de 1,5%. C’est quand même plus facile de serrer les boulons quand ses partenaires commerciaux continuent à faire de la croissance.

 

Rétrospectivement, on mesure la sottise des politiques français d’avoir joué alors les cigales alors que le pays dominant économiquement était en phase d’ajustement. Par comportement de cigale, il faut entendre à la fois la dérive des dépenses publiques, les 35 heures qui, quoi qu’on puisse en dire, venaient au pire moment conjoncturellement, et la fausse sortie des 35 heures par le gouvernement Fillon (qui a abouti à une hausse du SMIC de 18% entre 2002 et 2005). La suite est connue.

 


[1] Le déficit soutenable s’écrit comme le produit du ratio de dette par l’écart entre le taux de croissance de l’économique et le taux d’intérêt de la dette publique. Ici, 81%  x (1,51% – 2,7%) = -1% du PIB.

[2] Il en va différemment des prix du PIB, qui prennent aussi en compte implicitement les prix du commerce extérieur, en croissance probablement beaucoup plus faible pour les exportations allemandes.