Voilà, la politique monétaire américaine prend un nouveau tournant. La Fed va acheter pour 600 milliards de dollars d’actifs du Trésor américain jusqu’à la fin du deuxième trimestre 2011 soit 75 milliards par mois. A ce montant il faudra rajouter les achats issus des remboursements d’actifs déjà détenus et provenant de la première phase du Quantitative Easing de 2008-2009. Cela représentera environ 35 milliards supplémentaires par mois.

Au total, à la fin du deuxième trimestre, la Fed détiendra un montant d’actifs achetés de 2 654 milliards d’actifs ce qui représentera environ 18 % du PIB en prenant le PIB nominal du T3 2010 comme référence.
La Fed achètera donc 110 milliards d’actifs du Trésor par mois. Les achats seront regroupés et il n’y aura pas de distinction entre les achats provenant des 75 milliards et ceux provenant des 35. Les achats se porteront principalement sur les maturités 5-6 ans.

 

Des interrogations sur la stratégie de la Fed

1 – Le montant annoncé est plutôt dans le bas de fourchette des estimations. La banque centrale américaine avait suffisamment communiqué pour qu’il n’y ait pas de surprise. Il n’empêche qu’au-delà du deuxième trimestre les questions demeurent sur le montant final qui sera mis en œuvre. La Fed précise bien qu’elle surveillera l’impact des opérations et agira en conséquence si cela est nécessaire. Cela indique qu’elle pourrait aller plus loin si cela était nécessaire.

2 – Cependant un nouveau mouvement sera complexe à mettre en œuvre en raison du changement de composition du FOMC en 2011. Plusieurs membres pro-QE vont le quitter (Rosengren, Pianalto et Bullard, Hoenig qui est contre le QE s’en va aussi) et seront remplacés par des présidents de Fed régionales moins enthousiastes (Plosser, Kocherlakota et Fisher mais aussi Evans qui lui y est plus favorable). Le rapport de force va changer.
Pourquoi alors la Fed ne s’est elle pas donnée les moyens de sauvegarder, dès maintenant, une action plus forte et plus longue ? Cela aurait évité de brouiller les anticipations pour 2011 sur les capacités que la banque centrale américaine aura pour mener à bien ses opérations au-delà du printemps 2011.
En d’autres termes, quel est le choix laissé à la Fed en 2011 si l’opération lancée aujourd’hui échoue ? Pas sûr qu’elle puisse relancer une opération de grande ampleur avec la nouvelle composition du FOMC.

3 – Le communiqué de la Fed est dans la lignée des précédents. Il traduit toujours une inquiétude résultant d’un chômage élevé et d’une inflation plutôt basse (et non trop basse selon l’expression récente de Bernanke).
Pourquoi alors ne pas avoir mis en place ces opérations de QE plus tôt ? Pourquoi avoir retardé l’opération si les attendus macroéconomiques sont proches ?

4 – La Fed n’a pas donné de signaux explicites sur la gestion des anticipations d’inflation. On aurait pu attendre un schéma de réflexion sur ce thème. Cela avait été évoqué dans les minutes de la réunion de septembre. La Fed s’interrogeait alors sur un ciblage d’inflation ou un ciblage de niveau de prix pour conditionner les anticipations d’inflation. Elle ne s’est pas exprimée sur ce point dans le communiqué de ce soir même si on peut avoir sentiment que la Fed fonctionne plutôt avec un ciblage d’inflation. On constate dans les mots utilisés que la cible d’inflation n’a pas été relevée lors de la mise en place de cette opération de QE.
Cette absence de communication est problématique. L’un des objets des opérations de QE est de modifier l’arbitrage dans le temps des acteurs économiques. Il faut qu’ils privilégient le temps présent pour accroitre leurs dépenses et relancer l’activité. La gestion des anticipations d’inflation est alors essentielle. La Fed aurait pu, en explicitant davantage ses choix (attente d’un taux d’inflation plus élevé), être cohérente jusqu’au bout et orienter davantage les comportements.

5 – Sur ce point on voit une vraie différence avec 1933 qui est la période de référence d’un QE heureux aux Etats-Unis. A l’époque en changeant de stratégie, la Fed avait très rapidement inversé les anticipations d’inflation. L’économie était en déflation mais les anticipations d’inflation ont très vite changé (Voir Christina Romer « What ended the great depression ? » disponible ici). C’est cette rupture qui a été efficace. Aujourd’hui les taux d’intérêt sont très bas, l’économie n’est pas en déflation et la Fed aurait dû davantage guider les anticipations à la hausse pour engendrer une rupture de comportement plus forte afin de faciliter la reprise.

6 – Ce n’est pas le cas, et les interrogations demeurent sur la capacité de cette stratégie à favoriser le retour d’une croissance équilibrée et susceptible de redynamiser le marché du travail. On revient alors au point 2 concernant les mesures qui pourraient être prises si cela était nécessaire.

 

A la lecture du communiqué de presse, on ne peut s’empêcher de marquer le contraste entre le Bernanke, professeur à l’Université de Princeton, indiquant alors à la Banque du Japon que la stratégie du QE devait être massive pour être efficace, pour « faire bouger les lignes » et altérer les comportements et le Bernanke, patron de la Fed. Il apparait moins volontariste, laissant un gout d’inachevé.