Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université.

Étant aussi une science sociale, la finance n’est pas un terrain favorable à l’établissement de causalités claires. Les conséquences des réformes fiscales touchant aux dividendes ou aux rachats d’actions en sont un bon exemple. Ce genre de réforme a potentiellement des conséquences multiples : sur la politique de distribution des entreprises, sur la gestion de trésorerie, sur les investissements, etc. Tous ces éléments étant interdépendants, il est difficile d’isoler et de mesurer correctement les différents effets. 

Dans ce genre de situation, l’idéal serait d’effectuer une expérience grandeur nature, avec une réforme pérenne, non anticipée, et qui ne touche qu’une partie des entreprises pour bénéficier d’un groupe de contrôle. Parfois, les décisions politiques offrent un tel espace de travail. L’article que nous présentons ce mois[1] exploite une réforme qui dispose de ces qualités.  

En 2011, une réforme fiscale en Suisse touchant l’apport en capital[2] a entraîné la possibilité pour une partie des entreprises cotées (environ la moitié d’entre elles) de verser des dividendes non taxés chez leurs actionnaires. Cette réforme est pérenne[3], non anticipée, elle ne concerne qu’une partie des entreprises, et elle est massive (le taux d’impôt est réduit à zéro). Elle permet donc, en comparant les entreprises concernées par la réforme et les autres, de mesurer assez bien ses effets. 

La première question posée est celle de l’impact de la réforme sur la politique de distribution des entreprises. Les études précédentes sur ce thème avaient obtenu des résultats mitigés. En 2003, une baisse des impôts sur les dividendes aux Etats-Unis avait provoqué une augmentation significative des versements de dividendes. Toutefois, une étude[4] a montré que les rachats d’actions avaient chuté d’un montant équivalent, si bien que la distribution de cash aux actionnaires n’avait pas changé.  

Sur la réforme suisse qui nous intéresse, les effets sont en revanche très marqués. Le taux de rendement des dividendes a fortement augmenté pour les entreprises concernées ; toutes choses égales par ailleurs, il a augmenté de 0,672 % (à comparer à un taux moyen de 2 %). Au même moment, les entreprises qui n’ont pas bénéficié de la réforme ont maintenu le même taux. Aussi, cette hausse n’est pas compensée par une diminution des rachats d’action, si bien que le taux de distribution total a lui aussi augmenté. 

La deuxième question, plus difficile, concerne l’impact de la réforme sur la politique d’investissement. De manière générale, les auteurs n’observent pas de différence dans les politiques d’investissement des deux groupes d’entreprises. Il semble donc que la suppression de la fiscalité sur les dividendes, induisant leur hausse, n’affecte pas (ou pas significativement) la politique d’investissement. Pour comprendre ce phénomène, les auteurs étudient l’utilisation du cash dans les deux groupes d’entreprises. La hausse du taux de distribution entraîne mécaniquement une baisse des mises en réserves dans les entreprises concernées. Non seulement ces entreprises ne compensent pas cet effet par une réduction des rachats d’actions, mais elles ne le compensent pas non plus par des augmentations de capital. A l’arrivée, le cash disponible pour les investissements est réduit. 

Les auteurs proposent comme explication l’existence de deux effets opposés. D’un côté, la réduction de fiscalité sur les dividendes diminue le coût des capitaux propres (et le coût total du financement), car les investisseurs en tiennent compte dans leur exigence de rentabilité. Cela incite à investir car les projets créateurs de valeur sont plus nombreux. De l’autre, cette fiscalité avantageuse incite à davantage de distribution de cash, et, cette distribution n’étant pas compensée, le cash disponible pour investir est réduit. L’effet net, sur l’échantillon étudié, est nul. 

Finalement, l’article montre que la réforme n’a pas atteint son objectif premier : favoriser l’investissement. Pour autant, l’effet profond de la réforme sur les entreprises reste à étudier. En supprimant la fiscalité des dividendes pour les actionnaires, la réforme a fortement réduit l’avantage fiscal de la dette, souvent considéré comme un élément de distorsion dans le choix de financement. Les auteurs considèrent que la réforme a possiblement ainsi réduit les problèmes d’agence découlant de cette distorsion. Ils remarquent aussi avec une certaine malice que les banques suisses ont été autorisées, après la crise des subprimes[5], à verser des dividendes non taxés à leurs actionnaires en compensation de leurs obligations de reconstituer des capitaux propres. A la lumière des résultats obtenus par cet article, l’efficacité de cette mesure mériterait d’être réétudiée. 

 

 

[1] D.Isakov, C.Perignon et J.P.Weisskopf (2021), What if dividends where tax-exempt? Evidence from a natural experiment, Review of Financial Studies, vol.34(12), pages 5765 à 5795. 

[2] Un apport de capitaux propres par les actionnaires existants et inscrit au bilan en réserves, offrant la possibilité d’un remboursement non fiscalisé. 

[3] Ou du moins présentée comme telle, il s’agit de fiscalité…

[4] J.R.Brown, N.Liang et S.Weisbenner (2007), Executive financial incentives and payout policy: firm responses to the 2003 dividend tax cut, Journal of Finance, vol.62, pages 1935 à 1965.  

[5] Pour plus de détails sur les crédits subprime, voir La Lettre Vernimmen.net n°60 d’octobre 2007. 

 

Cet article a été publié dans la lettre Vernimmen 201 de septembre 2022. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.