La grippe espagnole, histoire de deux stratégies de défense
On le sait trop peu, la grippe espagnole de 1918 vient des États-Unis, et a été importée dans l’Europe encore en guerre par… les soldats américains. Partie de Boston en septembre 1918, nous dit Pierre-Cyrille Hautcœur dans une remarquable petite chronique du Monde (4 mars 2020), l’épidémie a fait le tour de la planète en 4 mois, après avoir tué de l’ordre de 50 millions de personnes. On estime sa morbidité (prévalence du virus parmi la population) à 20% et sa létalité à environ 3%. (Toute ressemblance avec un personnage existant ou ayant existé…).
On n’en a trop rien su à l’époque, de son origine, en raison de la censure générale qui prévalait dans les armées des belligérants, sauf en Espagne, neutre, d’où le nom immérité de grippe espagnole. On ne pouvait associer l’arrivée salvatrice des troupes américaines à l’infâme virus. Les cyniques pourraient dire que cette arrivée a davantage fait de dommages pendant l’ultime phase du conflit parmi les troupes alliées (100.000 soldats décédés dans les deux derniers mois de la guerre) qu’à l’endroit des armées allemandes qui faisaient face.
Intéressante, revenant aux États-Unis, est la différence de stratégie préventive adoptée par deux très grandes villes américaines, à une époque où les maires avaient un très large pouvoir sur les questions de santé publique. Le graphique qui suit montre la courbe de mortalité dans les villes de Philadelphie (trait plein) et de Saint-Louis (pointillés), à l’époque les 4ème et 5ème villes des États-Unis par leur population. Il est tiré d’un article du site Quartz, visible plus commodément sur Yahoo Finance.
Les autorités de Philadelphie, bien que dûment averties de la menace qui venait de Boston, n’ont pris aucune contre-mesure. Pis, elles ont tout fait pour ne pas menacer le grand défilé, de plus de 200.000 personnes, qu’elles prévoyaient pour fêter le départ des troupes en Europe. Trois jours après, les 31 hôpitaux de la ville étaient submergés de patients au stade terminal. En fin de la semaine, on comptait 4.500 morts. Les troupes partaient avec le virus dans les bagages.
Très différente fut la réponse des autorités de Saint-Louis : deux jours après avoir détecté les premiers cas, la ville fermait écoles, bibliothèques, cours de justice et même les églises. Tout rassemblement de plus de 20 personnes était banni et la circulation dans les rues fortement freinée.
Le résultat se lit sur le graphique : ce confinement de la population a permis à Saint-Louis de limiter à la moitié le nombre des décès directement liés au virus ; et surtout, du point de vue du système de santé et de la prise en charge des autres maladies graves à traiter, d’étaler sur trois mois plutôt qu’un et demi la ponction opérée sur la population et donc la charge hospitalière. « Aplatir la courbe » est devenue depuis une stratégie commune de réponse aux épidémies, que les malheureux événements récents nous font redécouvrir. En bref, il vaut mieux faire comme Saint-Louis que comme Philadelphie.
Vos réactions
Le graphique existe-t-il avec présentation cumulée du nombre de victimes du virus au cours du temps?
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A l’époque la population mondiale était au maximum de 2 milliards d’habitants. Si 20% ont été atteints (400 millions) et si le taux de mortalité était de 3% (12 millions), comment arrivez-vous à 50 millions de morts ?
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Pour certains historiens, la grippe espagnole n’est pas venue des États-Unis, mais d’Asie. Voir un article récent dans le journal Le Monde :
L’historien et géographe Freddy Vinet a entrepris, dans « La Grande Grippe », de fixer la mémoire d’un virus responsable de plus de 200 000 morts en France et 50 millions dans le monde. Il met cette crise en miroir de l’épidémie actuelle.
Ref. Le Monde (site web) : Propos recueillis par Florent Georgesco Publié le 18 mars 2020 à 19h00 – Mis à jour le 18 mars 2020 à 21h06
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Hello Team
Nous en parlions de cette grippe « espagnole » avant le confinement
Bonne lecture
Marc
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