La guerre commerciale menée par Trump entre États-Unis et Chine, et ses leçons politiques

Clairement, le secteur manufacturier étatsunien, comme celui d’autres pays (graphique) a souffert de l’ouverture du commerce mondial de marchandises. L’effet s’est fait lourdement sentir sur l’emploi industriel. L’émergence de la Chine comme puissance manufacturière est facilement pointée du doigt aux États-Unis, même si son ascension a largement été une décision que le pays a soutenue au niveau politique (le « doux commerce » qui allait apporter la démocratie là-bas) et surtout par les industriels étatsuniens qui souhaitaient réduire le coût du travail, y compris en poussant vers la Chine des transferts de technologie sans contrepartie politique. Voir à ce sujet Chine ûber Alles, ici dans Vox-Fi.
Trump a mené sa campagne présidentielle de 2016 sur la thématique du retour des emplois là où ils disparaissaient (Ohio, Illinois, etc.). Bernie Sanders, le candidat qui a finalement été évincé par Hillary Clinton lors de primaires démocrates, a fait de même. Une fois au pouvoir, Trump a tenu sa promesse et déclenché une guerre commerciale essentiellement par voie tarifaire et l’on va voir pourquoi ce sont les tarifs qu’il a retenu comme instrument.
Les premières salves ont été lancées début 2018 : en janvier, les États-Unis ont annoncé de nouveaux droits de douane de sauvegarde sur les machines à laver et les panneaux solaires ; en mars, des droits de douane sur les importations d’acier et d’aluminium en provenance de la plupart des pays, invoquant des menaces pour la sécurité nationale. Dès avril, cependant, la Chine et l’Union européenne ont pris des mesures de rétorsion, en particulier sur les produits agricoles. Les États-Unis ont doublé la mise, cette fois en épargnant l’UE. Au cours de l’été 2018, ils ont imposé un droit de douane de 10 % sur un large éventail de biens, une hausse contre-attaquée tout aussitôt par la Chine. Fin 2019, rebelote, les droits d’entrée étatsuniens sont montés de 10 % à 25 % sur un champ de produits plus large encore et, sans surprise, la Chine s’est alignée. On estime qu’en deux ans, les droits moyens étatsuniens sur les produits frappés ont bondi de 3,1 % à 21,0 %, et les chinois de 8,0 % à 21,8 %. Les études dont on va parler montrent que la rétorsion a frappé soigneusement les endroits où cela pouvait faire mal au Parti républicain, notamment les régions agricoles, ce qui a forcé le gouvernement à distribuer des subventions compensatoires aux agriculteurs à un niveau non-négligeable de 23 Md$. Le graphique ci-après indique l’évolution des tarifs dans les zones qui étaient ciblées à titre de protection par les États-Unis, et ciblées en retour par les autorités chinoises.
Une sorte d’armistice a été trouvée en janvier 2020, laissant les droits là où ils étaient parvenus, en contrepartie de promesses chinoises, non tenues, d’importer plus massivement des produits des États-Unis, notamment en matière agricole. Et puis le Covid est venu et a calmé tout le monde, en tout cas le commerce mondial. Biden est largement resté sur la ligne définie précédemment, en accentuant les choses sur les transferts de technologie.
Question : est-ce que l’objectif recherché a été rempli, à savoir plus d’emplois dans les régions et industries protégées ?
Une avalanche d’études s’est déversée sur cette question importante. Celle que je cite largement ici vient d’économistes réputés sur le sujet. Leurs conclusions sur le volet emploi confortent le consensus :
- Les mesures de protection n’ont eu aucun impact notable sur l’emploi dans les secteurs qui ont été protégés.
- Les mesures de rétorsion prises par les Chinois, parce qu’elles étaient minutieusement pointées, ont eu des effets négatifs sur l’emploi, en particulier dans l’agriculture, un dommage qui n’a été que partiellement compensé par des subventions de compensation.
Pourquoi un si faible impact ? Ici, les réponses sont moins certaines. Il y a eu pour partie un détournement des échanges, les entreprises étatsuniennes choisissant d’importer d’autres contrées, notamment d’autres pays asiatiques. Les entreprises chinoises ont d’ailleurs pu limiter le dommage en faisant transiter leurs produits depuis ces pays. D’autant, comme toujours dans les guerres commerciales, que les entreprises protégées aux États-Unis ont profité des tarifs pour remonter leurs prix.
Une autre raison tient à la non-flexibilité des relations entre fournisseurs et clients, surtout si ces derniers sont localisés dans les mêmes régions. Le bol d’air pour l’entreprise protégée peut la pousser à embaucher, mais ceci se fait au détriment de ses clients, qui doivent payer plus cher et dont l’activité en est pénalisée. Dernière raison, il semble que beaucoup de firmes protégées aient profité de la protection pour vendre davantage, mais en faisant des gains de productivité.
Et la conséquence politique ?
Aucun effet économique majeur, donc. Par contre, les études concluent toutes à des bénéfices substantiels pour le Parti républicain et le soutien électoral à Trump. Cela est montré sans ambiguïté par une expérience naturelle où l’on compare les régions protégées et non protégées, et ceci au niveau très fin des cantons (counties). Les tarifs de rétorsion des Chinois n’ont guère affecté en retour cette popularité.
Bilan, un discours protectionniste dans des régions économiquement malmenées est payant électoralement et comporte peu de risque, même si les effets économiques sont imperceptibles, voire négatifs pour la situation économique locale. C’est bien toute la difficulté dans les débats sur le protectionnisme. On sent bien que l’ascension de la Chine a nui à l’industrie des pays développés, y compris de la France, qu’on a été assez imprudents à accepter à bras ouverts la Chine dans l’OMC, que certains délais d’application auraient été prudents, qu’il n’est pas raisonnable pour ces pays de se dépouiller de leurs compétences manufacturières parce qu’elles ont des effets induits sur la capacité à innover et sur les structures d’enseignement. À quoi bon des Centrale ou des Polytechnique en France si c’est pour retrouver ces ingénieurs dans la finance, le conseil ou le marketing numérique de produits précisément importés de Chine ?
À coup sûr, le problème chinois va rentrer dans l’agenda politique des grands pays occidentaux.
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