C’est dans ce contexte que certains ont fait renaître une vieille idée, celle d’une relance monétaire d’un nouveau type, via la distribution directe de monnaie dans la poche des ménages depuis la banque centrale, par exemple 500 € à chaque adulte ou à chaque ménage de la zone. Ce qu’avec son talent particulier de communicateur, Milton Friedman appelait la monnaie hélicoptère. On lira particulièrement cette tribune éloquente de John Muellbauer dans Vox-EU ou, plus nuancé, ce post de Blanchard et Pisani-Ferry dans PIIE.

En fait, la monnaie-hélicoptère n’a rien de bien original. Elle équivaut en termes économiques exactement à une relance budgétaire (les 500 € étant versés par le Trésor public de chaque État de la zone) financée par une émission obligataire souscrite par la banque centrale.

(D’un point de vue comptable, pas tout à fait, ceci pour les mordus de compta : dans le cas indirect, où ce sont les Trésors qui versent l’argent, on inscrit une dette au bilan de l’État et une créance au bilan de la BCE ; dans le cas direct, la BCE crée ex-nihilo la monnaie sans que son actif s’accroisse, et l’équilibre comptable se fait par une réduction de ses fonds propres, avec le débat habituel sur le sens à donner à la notion de fonds propres dans le cas d’une banque centrale. Si cela passe par le Trésor, ce dernier doit payer des intérêts à la banque centrale, mais les récupère sous forme de dividendes sur les profits de la banque. À noter enfin qu’en période de taux à zéro, une émission de dette ressemble sacrément à une émission monétaire : l’une comme l’autre ne coûtent rien à l’émetteur.)

L’affichage n’est pas le même cependant. Dans le cas d’une relance budgétaire, les ménages peuvent craindre que l’État reprenne d’une main ce qu’il a donné de l’autre, tandis qu’ils savent que la banque centrale n’a pas les moyens de leur reprendre l’argent. L’effet de relance en est plus fort, sauf à ce que les anticipations d’inflation s’accroissent sous l’effet de l’injection monétaire, un risque jugé toutefois faible dans les circonstances présentes.

Sur ce dernier point, Adair Turner, dans un intéressant échange de vues avec Michael Woodford, ceci dans une tribune de Vox-EU de 2013, soutient que précisément le possible effet inflationniste n’est pas forcément à craindre : un peu plus d’inflation que la tendance de 1 à 1,5% sur laquelle nos économies se sont installées signifierait une réduction du poids des dettes, chose qui faciliterait le retour à des bilans publics plus sains.

Politiquement, les choses sont plus difficiles. On retrouve l’habituel débat sur la fidélité aux traités européens qu’aurait une telle initiative de la BCE. Certains jugent qu’il s’agirait ici d’un partage communautaire des risques, ce que les traités interdisent ; d’autres soulignent que même si l’obstacle juridique est levé, certains pays, dont probablement l’Allemagne, bloqueraient tout simplement. Certains enfin mettent en avant les difficultés pratiques et politiques : comment s’assurer, sans l’aide des États, de la bonne attribution des fonds ? Au nom de quoi un conclave de sages, le gouverneur de la BCE et son conseil, prendrait-il en toute indépendance une mesure qui est habituellement du ressort des instances démocratiques ? Blanchard et Pisani posent correctement le dilemme : si une violente crise économique venait à apparaître, les États seraient de toute façon forcés d’agir, et foin des règles d’endettement ; et sinon, hors état d’urgence, jamais la BCE ne disposera du soutien politique pour entreprendre une action si éloignée de sa mission première. L’Europe souffre ici, une fois de plus, de ne pas être davantage une instance dotée de pouvoirs fédéraux quand une action centralisée s’avère nécessaire. On ne s’étonnera pas que les principaux soutiens à cette idée de monnaie hélicoptère viennent des États-Unis et de la Grande-Bretagne, y compris au sein des banques centrales, deux pays où il est possible de mener une politique monétaire en bonne liaison avec le souverain du pays.

On suggère vivement au lecteur intéressé de se tourner vers les trois références cités dans ce billet, s’il souhaite faire un tour relativement complet de la question.

 

Cet article a été publié sur Vox-Fi le 16 décembre 2019.