Le gouvernement compte faire passer, lors de la prochaine loi de finances, l’accroissement de 8 à 20 % du « forfait social » (lire les cotisations sociales) qui pèsent sur la participation et l’intéressement (ci-après la « participation »). Pour juger de cette décision, il faut rappeler que la participation est aujourd’hui considérée à l’égal d’une rémunération salariale et donc comme une charge pour l’entreprise, déductible d’impôt sur les sociétés. Pour autant, elle ne subit pas de charges sociales (à l’exception de ce forfait de 8 %). Du côté du salarié, bien qu’elle soit très proche d’un bonus attaché aux résultats de l’entreprise, cette rémunération n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu.

C’est ce qu’on appelle une dépense ou une niche fiscale, qui coûte plus de 5 Md€ au budget de l’État (4 Md€ après passage de la mesure). Il est légitime de s’interroger sur son bien-fondé.

Les entreprises jugent utile d’adopter des formules de rémunération variable pour leurs salariés, que ce soit pour accroître leur motivation au travail et leur productivité ou pour leur donner un sentiment plus fort d’appartenance à l’entreprise. Elles le font aussi pour rendre plus variables les coûts de production, ce qui leur est bien utile en période de reflux conjoncturel comme nous le vivons à présent. Ceci veut dire que le salarié reçoit certes une part du profit en rémunération ; mais prend en même temps sa part du risque de l’entreprise.

La question qui vient alors immédiatement est : puisque ce comportement est choisi spontanément par l’entreprise et procède de sa bonne gestion, pourquoi faut-il que l’État y apporte un surcroît d’encouragement ? Pourquoi faut-il que le monde de l’entreprise, si prompt à vanter les vertus du « moins d’État », l’appelle au secours sur une fonction qu’il est capable d’assurer de lui-même (nous sommes le seul grand pays à adopter cette subvention étatique) ?

D’autant qu’il n’est pas sûr que les salariés y trouvent leur intérêt, comme l’indique un rapport récent de l’Inspection des finances sur le sujet : la hausse de la part variable pour le salarié se fait largement au détriment de la part fixe. La part des salaires dans la valeur ajoutée étant sur longue période constante, sinon légèrement déclinante, la participation ne déplace pas la part des salaires dans la valeur ajoutée, mais s’accompagne d’une réduction de la part fixe. Si les salariés sont heureux de toucher leur participation, combien d’entre eux ne préfèreraient  pas toucher l’équivalent fixe de cette part variable ?

Il est bien documenté aussi que les bonnes formules incitatives en matière salariale reposent avant tout sur des éléments que le salarié, à son poste de travail, peut maîtriser. La rentabilité globale de l’entreprise n’est pas, sauf pour les dirigeants, une variable sur laquelle il a une réelle influence. L’effet mobilisateur de la participation est du coup assez faible. À preuve que, laissées à elles-mêmes, les entreprises préfèrent des formules de rémunération variable plus spécifiquement liées à la performance du salarié.

Dans l’esprit initial de la participation, celle-ci était un placement d’épargne à long terme, qui plus est prioritairement placé en actions de l’entreprise même des salariés qui en bénéficient. Le placement à long terme n’a plus guère de sens dès lors que le gouvernement, à des fins de gestion conjoncturelle, permet désormais la libération quasi immédiate des fonds acquis. Par ailleurs, il n’est pas forcément raisonnable de favoriser une épargne financière placée en actifs de l’entreprise dans laquelle on travaille. On y met déjà son capital humain ; faut-il y mettre en plus son capital financier ? En témoigne le fait que les salariés les mieux payés et les mieux éduqués retiennent de préférence des formules de placement de leur participation en actifs financiers indépendants de leur entreprise. Ce sont les salariés du rang, ceux qui sont les plus à risque, qui suivent l’injonction de placement dans les actifs de l’entreprise.

Enfin, pourquoi offrir cette prime fiscale aux grandes entreprises et à leurs salariés (plutôt qu’aux petites, qui pour la plupart n’adoptent pas ou ne sont pas tenues d’adopter ces formules participatives) ou aux entreprises à forte productivité du travail (plutôt qu’aux entreprises de main d’œuvre). Est-ce à l’État de favoriser ces transferts ?

La crise est l’occasion unique de rebattre certaines cartes. L’exonération fiscale et sociale des formules de participation n’a plus vraiment de raison d’être. Évidemment, l’accroissement du forfait social sera une charge accrue sur les entreprises. Il serait bon que le gouvernement aille au bout de la route et troque la suppression intégrale de la niche fiscale (et non un simple aménagement du forfait social) contre une réduction de même montant des autres prélèvements sur les entreprises. C’est là que le bât blesse. Le gouvernement corrige certaines dissymétries de notre code des impôts (on pense ici aussi à l’exonération des intérêts d’emprunt qui a fait l’objet d’un long débat dans ce Blog), mais toujours dans le sens de la hausse des impôts. Ce n’est pas loyal.