Un collègue et moi avons discuté de la question suivante : la Fed (Federal Reserve, la banque centrale des Etats-Unis) devrait-elle baisser ses taux d’intérêt en réponse au coronavirus ?

Plus généralement, supposons qu’une pandémie devienne grave et que, par choix ou par décret, une grande partie de l’économie s’arrête pendant quelques semaines ou mois. Qu’est-ce que la Fed, ou toute autre politique économique devrait faire à ce sujet ?

Mon premier instinct était que la Fed ne devait pas baisser les taux. C’est un choc d’offre classique, et il n’y a rien de plus que la demande puisse faire. Quel est l’intérêt d’encourager plus de dépenses si les magasins sont fermés ? Et même donner de l’argent aux gens ne sert à rien si les magasins et les usines sont fermés. La première tâche d’une banque centrale devrait être de se demander : « est-ce un choc d’offre ou un choc de demande ? » et de répondre aux chocs de demande, et non aux chocs d’offre. Cela revient à alimenter la demande la nuit ou pendant le week-end.

Mais l’offre et la demande ne se distinguent pas aussi nettement. Peut-être qu’un choc d’offre crée son propre manque de demande. Et une pandémie a aussi des effets sur la demande. Les gens se terrent chez eux et ne veulent pas aller acheter un nouveau bateau. L’une des missions de la banque centrale est de surveiller le niveau du taux d’intérêt réel naturel et de faire varier le taux nominal en conséquence pour annihiler les forces qui font décaler le rythme d’inflation. Si l’économie s’arrête, les gens ne veulent pas dépenser, car les magasins sont fermés, donc par définition ils épargnent, sauf si on leur coupe les revenus. Les gens ne veulent pas emprunter – sauf pour prolonger les prêts – pour la même raison. Le produit marginal du capital est très bas. Cela plaide donc en faveur d’une baisse assez forte des taux d’intérêt.

Mais maintenant que j’y pense, la bonne réponse est que ce n’est pas la bonne question, et que l’offre et la demande globales ne constituent pas le bon cadre pour y réfléchir. Que se passe-t-il si l’économie s’arrête pendant quelques semaines ou quelques mois, soit par choix, soit par contrainte de santé publique ?

Arrêter l’économie – et, plus important, la faire redémarrer – n’est pas aussi simple que d’éteindre et de rallumer une ampoule électrique. C’est plutôt comme arrêter et redémarrer un réacteur nucléaire. Il faut procéder avec soin, et s’assurer que les pièces survivent au processus d’arrêt de de redémarrage.

Je vois d’énormes problèmes financiers. Le magasin et l’usine peuvent s’arrêter, mais l’horloge tourne toujours. Les entreprises continuent à payer leurs dettes, sans rien recevoir. Elles doivent probablement payer des salaires – sinon, que feront les gens pour acheter de la nourriture ? Les gens doivent payer leurs mensualités et leur loyer, avec souvent aucun revenu qui rentre. Sans intervention, il pourrait y avoir une énorme vague de faillites, d’insolvabilités, ou simplement une incapacité à payer les factures. Un blocage économique d’une durée assez longue pourrait, sans intervention, conduire à une catastrophe financière. Lorsqu’adviendra le temps de remettre l’économie en marche, les entreprises pourraient tout simplement ne plus être là.

Le problème serait atténué si nous pouvions compter sur le retour du PIB perdu. Il nous suffirait alors de contracter des emprunts pour couvrir la production future. Mais le PIB ne reviendra pas. Le niveau du PIB devrait revenir rapidement – si ces problèmes financiers ne détruisent pas un segment de l’économie. Mais le PIB non réalisé est un PIB perdu pour de bon. Si vous fabriquez une paire de chaussures par jour, quand vous tombez malade, vous ne fabriquez pas de chaussures. Lorsque vous allez mieux, vous pourrez à nouveau fabriquer une paire par jour, mais pas deux pour rattraper le temps perdu. Certaines demandes peuvent s’accumuler, il est possible de produire en surcapacité pendant un certain temps, mais il est impossible de rattraper l’ensemble de la production. Donc l’argent nécessaire entre-temps ne peut donc pas être gagé sur les revenus futurs, même si les banques le prêtent.

Dans libre marché de nirvana, nous aurions tous contracté une « assurance pandémie » qui verserait des prestations en cas de pandémie ; les assureurs pandémie ne feraient pas faillite pour autant, même si cet événement est « non diversifiable » par définition, c’est-à-dire « systémique ». Mais cela n’a été le cas.

Dans un nirvana de second rang, nous aurions tous admis que l’économie peut à tout moment s’arrêter quelques mois, et chacun d’entre nous – et chaque entreprise – disposerait d’assez de liquidités pour faire face, disons, à six mois de dépenses sans aucun revenu. L’épargne de précaution ferait l’affaire. Paradoxalement, bien que de nombreux économistes en font le diagnostic, on ne voit guère une « surabondance d’épargne », et il existe de nombreux consommateurs et entreprises fortement endettés. Autrefois, lorsque les mauvaises récoltes, la famine, la peste, la guerre – ou simplement l’hiver – étaient courants, la réaction était généralement de conserver suffisamment de céréales pour pouvoir passer au travers. Cela ne fonctionnait pas toujours et pas pour tout le monde.

Revenons à la Fed. En l’absence d’épargne de précaution, on pourrait imaginer quelque chose comme un interrupteur qui couperait les créances financières. Mais on ne peut pas simplement arrêter toute l’économie : les gens ont besoin de nourriture, de chauffage, d’électricité, de Netflix, d’hôpitaux, etc.

En résumé, je pense donc que nous avons besoin d’un plan détaillé de crise financière en cas de pandémie, qui prévienne les faillites et les insolvabilités dans la mesure du possible, sans provoquer de crises en aval chez ceux qui comptaient sur un remboursement, et qui « inonde » d’argent le pays aux bons endroits, comme le ferait une assurance, mais pas trop aux mauvais endroits. Oui, vous entendez bien, des renflouements judicieusement ciblés sont vraiment le seul moyen auquel je pense pour empêcher les entreprises et les gens de faire faillite, étant donné l’absence d’assurance contre la pandémie.

Nous avons besoin d’un plan financier détaillé de réponse à la pandémie, un peu comme un plan en cas de tremblement de terre, d’inondation, d’incendie ou d’ouragan que (je l’espère !) les administrations locales et la FEMA (Federal Emergency Management Agency, Agence fédérale des situations d’urgence) élaborent et mettent en pratique régulièrement.

Existe-t-il un tel plan ? Pas que je sache, mais je serais intéressé d’entendre des personnes bien informées à ce sujet. Y a-t-il un « Brisez le verre en cas d’urgence » dans un sous-sol du Trésor ou de la Fed ? Sans plan préalable, notre système politique peut-il réussir à élaborer ce plan à la volée, comme il l’a fait pour le sauvetage des banques en 2008 ?

Nous devons alors trouver comment prévenir l’atroce aléa moral que de telles interventions produisent. Les pandémies vont devenir une chose courante. Le sauvetage ex-post réduit encore l’incitation à épargner par précaution. Si les pompiers sont trop efficaces, les gens stockent l’essence au sous-sol.

Ça redéclenche le même jeu de renflouement et de régulation qui étouffe notre système bancaire surendetté. J’appelle de mes vœux de meilleures idées.

Une baisse des taux pourrait aider à fournir de telles liquidités. Mais le niveau du taux au jour le jour est un sujet très mineur pour une entreprise qui a besoin d’un prêt pour faire face à ses crédits, son loyer, ses salaires, sa facture d’électricité, qui ne reçoit pas d’argent, qui ne peut pas acheter de fournitures s’il y en avait et dont la banque refuse (à juste titre) d’accorder un prêt, quel que soit le taux. Donc, oui, cette vision sombre plaide en faveur d’une forte baisse des taux en cas de grave perturbation économique. Mais c’est un tout petit remède au problème fondamental.

Ainsi, si l’on considère le chaos que créerait un arrêt suffisamment long de l’économie, la politique monétaire est comme du 10e ordre, et le niveau des taux au jour le jour du 100e ordre. Un plan détaillé de catastrophe financière est plutôt du troisième ordre. Faire en sorte que les gens stockent suffisamment de liquidités à l’avance est du second ordre. Les plans de santé publique, qui semblent également être élaborés à la volée, sont de premier ordre. Or, notre gouvernement a selon moi sous-investi plus fortement dans le plan financier de lutte anti-pandémie que dans le plan de santé.

Le coronavirus peut sembler modeste. « Seulement » 2 % des personnes en meurent. S’il balaie la planète sans contrôle, cela fait 150 millions de personnes décédées – soit environ les Première et Seconde Guerres mondiales, Staline, Hitler et Mao réunis – bien que moins concentrées et d’une certaine manière, comme en 1918, moins « vives ». Et le coronavirus, c’est notre Bear Stearns. Nous avons eu le SRAS, le MERS (syndrome respiratoire du Moyen-Orient), le virus Ebola, diverses grippes, et maintenant le coronavirus. La mondialisation conduit à des pandémies. Souvenez-vous de 1350 et 1492 ainsi que de 1918. Il y en aura d’autres. Au cours des 100 prochaines années, il pourrait facilement y en avoir une avec un taux de mortalité de 20 % qui paralyserait l’économie pendant un an. Notre système économique et politique peut-il y faire face ? Sommes-nous faiblement préparés ? Ceux qui disent que le climat est le pire problème auquel la civilisation est confrontée ont, à mon avis, un remarquable manque d’imagination. Peut-être devrions-nous consacrer à la prévention des pandémies un millième des ressources affectées à la politique énergétique.

 

Ce texte est la version française de l’article Corona vius monetary policy, publié le 3 mars 2020 sur le site johnhcochrane.blogspot.com

La traduction a été faite par nos soins, et ce avec l’accord de l’auteur que nous remercions.