Le groupe dit du « G20 Finances » s’est réuni à Paris les 18 et 19 février derniers. Deux priorités parmi celles retenues1 font suite aux réflexions sur le système monétaire international proposées « à titre personnel » par un groupe de Sages réuni par Michel Camdessus, Alexandre Lamfalussy et Tommaso Padoa-Schioppa2 dont nous proposons de parcourir brièvement le rapport publié le 18 janvier 2011.

 
À noter que ces Sages, ayant avancé à visage découvert et « à titre personnel », ont donc fondé leur réflexion et propositions sur des éléments techniques et non purement politiques.

 
Les principaux problèmes du Système monétaire international (SMI) que, de longue date, les gouvernements doivent résoudre paraissent être les suivants :

  • L’absence dans ce système d’une discipline efficace assurant son ajustement global ;
  • La volatilité des taux de change et leur évolution, souvent incompatibles avec un ajustement ordonné et une efficace allocation des ressources ;
  • Les difficultés de gestion de la liquidité mondiale pour éviter tant son insuffisance que ses excès ;
  • Les questions relatives au rôle du droit de tirage spécial (DTS) ;
  • Les problèmes de gouvernance présents dans le processus de décision et le fonctionnement du système.

 

 

L’expérience des dernières décennies montre souvent que les problèmes apparus dans les économies nationales n’ont pas été résolus en temps opportun, reflétant à la fois des différences d’analyse et l’échec de la surveillance du FMI à produire les ajustements nécessaires des politiques économiques et financières de ses membres. Enfin, même lorsque la politique économique menée par un pays est propice à sa propre stabilité, elle peut avoir des répercussions négatives sur les autres pays.

 
Il est donc nécessaire de renforcer la surveillance du FMI sur ses membres. Celle-ci doit porter sur les politiques budgétaire, monétaire et financière des États, avec une attention particulière accordée aux évolutions du taux de change et de la liquidité mondiale, comme cela est évoqué ci-après. Cette surveillance renforcée appelle à un réexamen de la gouvernance des principales institutions internationales ainsi que de leurs relations avec l’ensemble des pays. « Elle doit, en particulier, intégrer les principaux éléments suivants : (a) des obligations multilatérales renforcées, adossées à des normes claires et objectives ou à des indicateurs quantitatifs s’appliquant aux politiques et aux performances économiques et financières, et servant de signal d’alarme en cas de franchissement de certains seuils appropriés, (b) des procédures d’évaluation permettant d’identifier les causes et les conséquences de tout écart par rapport à ces normes, et (c) des suites, y compris la possibilité de mettre en place des dispositifs d’incitations et des sanctions ».

 
Lors de la réunion du G20, un accord a été trouvé sur des indicateurs reflétant des déséquilibres. Les comptes publics (déficits et dette), privés (épargne et endettement) et déséquilibre extérieur (notamment la balance commerciale) ont été retenus. Le G20 a donc abouti à un accord de principe sur le point (a) ci-dessus. La mise en place d’un cadre de ce type est sûrement souhaitable, mais plusieurs étapes et potentiellement autant d’obstacles devront être contournés.

 
Les économistes à l’origine des accords de Bretton-Woods voyaient comme l’un des objectifs essentiels d’un système monétaire international efficace des taux de change relativement stables et conformes aux fondamentaux des différentes économies. Ils avaient naturellement arrimé ce SMI sur l’or et le dollar des États-Unis. Depuis la fin de la convertibilité du dollar le 15 août 1971, tout le système a été profondément modifié, et si le monde a bénéficié, après cette décision américaine, de nombreuses périodes de croissance, force est de constater que l’économie globale a néanmoins été marquée par des chocs importants, dont celui que nous connaissons depuis 2007 – la plus profonde crise depuis les années 1930 – et qui connaît toujours actuellement des tensions flagrantes. « L’instabilité peut avoir plusieurs origines : des politiques incohérentes ou insoutenables, ou la combinaison de politiques susceptibles d’entraîner des désajustements importants et durables des taux de change ; il peut s’y ajouter des perceptions inexactes de la part des intervenants de marché de ce que sont les fondamentaux à long terme ou les politiques futures ; il s’y ajoute enfin des activités purement spéculatives ».

 
Pour que le système puisse fonctionner efficacement, les pays doivent conduire leurs politiques économiques et financières en veillant à ce que les taux de change soient globalement conformes aux fondamentaux et à l’équilibre mondial. Les membres du FMI, en vertu des statuts du fonds3, ont le choix de leur régime de change et ont interdiction de les manipuler ou de s’assurer de façon déloyale un avantage concurrentiel. On a vu que dans le cas de la Chine, les prises de position du FMI ont eu un impact « insuffisant » alors même que – ou parce que ? – l’un des directeurs généraux adjoints du FMI est un ex-banquier central chinois ! À cet égard, la nouvelle légitimité reconnue au FMI lors du G20 à Séoul en novembre 2010 est un élément positif majeur sur la voie de la création d’un gardien mondial des grands équilibres. De plus les autorités chinoises ne manquent pas d’idées : ainsi, le 23 mars 2009, le gouverneur de la Banque Centrale de Chine, Zhou Xiaochuan, a proposé ni plus ni moins de révolutionner le SMI : pour lui, le dollar ne remplit plus le rôle auquel doit répondre une monnaie de réserve mondiale. Selon cet homme fort de la Banque Centrale, il est nécessaire de créer une nouvelle monnaie de réserve qui n’appartiendrait à aucun pays, c’est-à-dire une monnaie supranationale, ce qui revient à faire du dollar une monnaie comme les autres et donc à mettre un terme à l’hégémonie américaine en matière monétaire. S’il s’agit d’une posture de négociation, force est de constater qu’elle a redonné un coup de jeune au droit de tirage spécial (DTS) ! Enfin, après environ un an de tests menés confidentiellement sur la place de Hong-Kong, le yuan sera convertible pour les opérations commerciales à compter du 1er avril 2011. Peut-être là encore posture de négociation, mais suivie d’effet.

 
Afin de sortir du cadre conceptuel de résolution des déséquilibres, « il est nécessaire de rendre les obligations des pays en ce domaine plus spécifiques, en utilisant par exemple des indicateurs fondés sur leurs données macroéconomiques de base et permettant d’identifier les degrés d’instabilité ou de désajustement. Ces indicateurs pourraient également fournir des indications sur le renforcement nécessaire des politiques pour réduire les déviations entraînées par le marché par rapport aux données fondamentales ». Cela revient pratiquement à chercher un consensus sur le principe (aisé), sur les indicateurs (moins simple) et sur leurs ordres de grandeur (mission quasi impossible actuellement !). Cela nécessitera également des discussions sur les questions de taux de change et sur le renforcement de la surveillance du Fonds monétaire international ». Rien de plus sur les changes : ni sur les réserves ni sur le change réel.

 

 

Le rapport attire également l’attention du G20 sur « la gestion de la liquidité globale dont les évolutions peuvent faire varier la liquidité de façon spectaculaire en cas de brusques changements de la confiance des marchés reflétée dans l’évolution des spreads de risque ». La principale difficulté est de s’assurer que des mesures des économies ne créent pas des distorsions plus dommageables à long terme que les entrées de capitaux elles-mêmes et ne créent pas de conséquences défavorables sur les autres pays telles qu’un assèchement du marché local des capitaux, d’une part, de l’importation d’inflation ou de création de bulles spéculatives, d’autre part. Les grands argentiers se sont « mis d’accord sur un programme de travail visant à renforcer le fonctionnement du SMI, y compris par des stratégies et des mesures – notamment macroprudentielles – cohérentes pour faire face aux flux de capitaux potentiellement déstabilisateurs en gardant présents à l’esprit leurs inconvénients possibles et par la gestion de la liquidité mondiale afin d’améliorer leur capacité à prévenir les chocs et à y faire face, en intégrant les questions de filets de sécurité financière et le rôle du DTS ».

 
Enfin, les Sages invitent les pays membres du G20 à mieux prendre en compte l’intérêt général, en créant un Comité consultatif mondial composé de personnalités indépendantes, éminentes et nommées selon une procédure transparente : « il offrirait, en toute indépendance et de façon publique, des conseils aux principaux organes du FMI dans le domaine de la surveillance, de la gestion de la liquidité et des réserves internationales, à sa propre initiative ou à leur demande ». À cette date, ce Comité n’a pas été créé, les pays de G20 ayant considéré que le FMI ne devait être « conseillé », le cas échéant, que par son Conseil d’administration… ou par les membres du G20 directement.

 

1. Les priorités du G20 Finances des 18 et 19 février 2011 : identifier les déséquilibres macroéconomiques, réformer le système monétaire international, réduire la volatilité excessive des matières premières, établir une régulation financière sans faille. On notera que la priorité relative à la volatilité des prix des matières premières n’est pas proposée par le rapport, et que celle sur la régulation fait « naturellement » partie intégrante d’une amélioration du SMI.
2. Une des personnalités économiques les plus respectées d’Italie, Tommaso PADOA-SCHIOPPA, ancien ministre de l’Économie et ex-membre du directoire de la BCE, est mort prématurément d’une attaque cardiaque le 18 décembre 2010.

 

3. Art VIII, Section 7 : « Chaque État membre s’engage à collaborer avec le Fonds et avec les autres États membres afin de veiller à ce que la politique qu’il suit en ce qui concerne les avoirs de réserve soit compatible avec les objectifs consistant à favoriser une meilleure surveillance internationale des liquidités internationales et à faire du droit de tirage spécial le principal instrument de réserve du système monétaire international ».