Le jour de l’annonce d’une augmentation de capital, le cours de Bourse de l’entreprise reste rarement stable. En voici quatre exemples récents :

  • Le 13 avril, Erytech Pharma annonce une augmentation de capital de 70 M€ représentant 26 % du capital. Son cours de Bourse progresse de 3,3 %.
  • Le 15 mars, Tesla annonce une augmentation de capital de 250 M$ (et 750 M$ d’obligations convertibles), soit 2,4 % de son capital. Son cours de Bourse progresse de 2,5 %.
  • Le 7 mars, EDF annonce une augmentation de capital de 4 Md€, soit 30 % de son capital. Son cours de bourse régresse de 11 %.
  • Le 5 mars, Deutsche Bank annonce une augmentation de capital de 8 Md€, soit 43 % de son capital. Son cours recule de 10 %.

Qu’est-ce qui explique que, dans certains cas, le cours de bourse monte à l’annonce d’une augmentation de capital, et baisse dans d’autres cas ?

Disons qu’il y a un cas général, deux cas particuliers et du bruit autour.

 

1/ Le cas général

Le cas général est celui d’une entreprise qui se porte bien, pour laquelle on ne nourrit pas d’inquiétude quant à sa solvabilité ou à sa liquidité. Alors le paramètre essentiel d’explication de la réaction du cours de Bourse est l’anticipation des investisseurs quant à la capacité de l’entreprise à gagner plus, moins ou autant que son coût du capital sur les investissements qui seront financés par l’augmentation de capital.

Compte tenu de l’historique de destruction de valeur depuis 2008, pas une année où la rentabilité économique de EDF n’ait été au moins égale au coût du capital, les investisseurs n’ont pas anticipé autre chose à l’avenir dans ce secteur aux cycles longs que la poursuite d’une rentabilité économique inférieure (3,3 % par an d’ici 2020 selon Exane BNP Paribas) au coût du capital (6 %). Dans les deux jours de l’annonce, la baisse du cours (hors détachement du droit de souscription) a été de 1 € par action, représentant une destruction de valeur de 2,7 Md€ pour une augmentation de capital de 4 Md€, soit les 2/3 tiers des fonds levés. Le jugement est sévère, mais c’est le jugement. Le raisonnement est similaire pour Deutsche Bank.

Pour Tesla et Erytech Pharma, bien que ces deux entreprises n’aient pas encore gagné un euro de résultat, et que de ce fait leur rentabilité économique soit négative, les investisseurs ont estimé que leurs perspectives dans le domaine de la voiture électrique et de la recherche sur des formes rares de cancer et de maladies orphelines étaient suffisamment prometteuses pour laisser espérer à un horizon indéfini des perspectives de rentabilité économique supérieure au coût du capital. D’où une hausse de leurs cours de Bourse à l’annonce de l’augmentation de capital.

On comprend donc, pour une entreprise qui n’est pas capable de convaincre les investisseurs de sa capacité à utiliser correctement les fonds qu’elle leur demande, c’est-à-dire de sa capacité sur le moyen terme à dégager une rentabilité en rapport avec le risque, qu’il soit très difficile de procéder à une augmentation de capital. Que l’on nous permette de dire que c’est très sain ainsi. Les capitaux propres n’existant qu’en quantité limitée, autant essayer de ne pas les gaspiller en les allouant à des projets portés par des dirigeants qui ne convainquent pas.

C’est ainsi que les banques italiennes ont eu et ont beaucoup de mal à lever des capitaux propres compte tenu de leur constance dans la destruction de valeur depuis 2008, voir par exemple Monte dei Paschi di Siena. Mais celle qui a pris le taureau par les cornes, UniCredit, en changeant de dirigeants, en cédant des actifs et en dépréciant ceux qui devaient l’être, en engageant un plan de restructuration à la hauteur des enjeux (perte 2016 de 11,8 Md€), a pu lever 13 Md€ en février dernier et semble être repartie du bon pied.

 

 

2/ Le premier cas particulier

C’est celui de l’entreprise très, trop, endettée qui procède à une augmentation de capital pour réduire sa dette. C’est parfois sa seule alternative à un dépôt de bilan. Pensons par exemple à Solocal en février dernier qui procéda, à l’issue d’une longue procédure, à une augmentation de capital de 398 M€.

La baisse du cours de Bourse à l’annonce de l’augmentation de capital est souvent automatique, car il y a un transfert de valeur entre les actionnaires et les prêteurs. En effet, l’augmentation de capital redonne de la valeur aux dettes : une partie va être remboursée au nominal, et l’autre partie se trouve de ce fait financer dorénavant une plus grande fraction de l’actif économique. Elle ne peut que valoir que plus. Comme la dette vaut plus suite à l’augmentation de capital, que l’on ne voit pas comment la valeur de l’actif économique pourrait être plus grande du simple fait de l’annonce d’une augmentation de capital destinée à changer la structure financière et non à faire des investissements ; nécessairement la valeur des capitaux doit s’ajuster à la baisse.

Nos lecteurs férus de la théorie des options appliquée à la structure financière[1] savent, depuis les travaux de Robert Merton, qu’une action peut être assimilée à une option d’achat de l’actif économique pour un prix d’exercice correspondant au montant de la dette à rembourser.

Comme une option, la valeur de l’action peut être décomposée entre valeur intrinsèque et valeur temporelle[2]. Pour ce type d’entreprises trop endettées, la valeur intrinsèque de l’action est très faible ou nulle puisque correspondant à la différence entre la valeur de l’actif économique et le montant des dettes à rembourser. En effet, la valeur de l’actif économique est le plus souvent proche du montant des dettes à rembourser. La valeur temporelle de l’action est, quant à elle, maximum puisque valeur de l’actif économique et prix d’exercice de l’option coïncident. Dans ces conditions, une augmentation de capital a deux effets contraires :

  • elle accroît de son montant la valeur intrinsèque des capitaux propres ;
  • elle réduit la valeur temporelle des capitaux propres puisque le prix d’exercice de l’option (le montant de la dette à rembourser) devient inférieur à la valeur de l’actif économique.

Il y a donc logiquement une perte de valeur de l’action induite par l’augmentation de capital à cause des transferts de valeurs au profit des créanciers. Néanmoins, les actionnaires ne reculent pas devant la recapitalisation nécessaire, car perdre un peu est mieux que tout perdre (dépôt de bilan).

 

3/ Le second cas particulier

C’est celui de l’entreprise qui n’a pas comme la précédente un problème de solvabilité, mais un problème de liquidité. Par exemple l’entreprise a une échéance de dette importante à court terme et ne dispose pas des ressources internes pour y faire face. Ce qui ne veut pas dire qu’elle soit insolvable[3]. Dès lors, dans un monde où la liquidité est correcte, il lui suffit de refinancer cette échéance de dette par une nouvelle dette. Mais il arrive que la liquidité se tarisse (fin 2008, début 2009 ou fin 2015 pour les groupes miniers dans un contexte de baisse brutale des prix des minerais). Apparaît alors ce que Yann Aït-Mokthar appelle un Asset Liability Refinancing Gap (ALRG), c’est-à-dire un passif nouveau de l’entreprise qui correspond conceptuellement à la valeur actuelle des suppléments de frais financiers sur la dette refinancée par rapport à la dette en place. Plus la crise de liquidité est forte, plus le coût de la future dette de remplacement sera élevé et plus la valeur de l’ALRG sera importante. Comme il n’y a pas de raison que la valeur de l’actif économique croisse en parallèle, le développement d’un ALRG ne peut se faire qu’au détriment de la valeur des capitaux propres comme un cancer qui détruit des cellules saines.

Le jour où le problème de liquidité est résolu, souvent par l’annonce d’une augmentation de capital, l’ALRG se résorbe et disparaît, la valeur des capitaux propres reprenant sa place. On a donc une augmentation du cours de l’action à l’annonce de l’augmentation de capital qui matérialise la disparition du problème de liquidité. C’est ce que l’on a observé en février 2009 quand Lafarge a annoncé une augmentation de capital de 1,5 Md€ ou en septembre 2015 quand Glencore fit de même pour 2,5 Md$.

Si cette réaction à une augmentation de capital diffère de la précédente, c’est que cette analyse remet en cause l’un des postulats du modèle de R.Merton (1973), celui d’une liquidité toujours présente sur le marché. On pouvait le penser avant 2008 ; plus maintenant.

 

4/ Le bruit autour[4]

Une augmentation de capital est naturellement une opération de fréquence exceptionnelle qui attire l’attention des investisseurs sur l’entreprise. À cette occasion, certains investisseurs se livreront à un arbitrage entre l’action et les droits préférentiels de souscription (DPS), vendant l’action à découvert et achetant le DPS si son prix est inférieur à sa valeur théorique. Ou vendant l’action à découvert si le marché du prêt-emprunt de titres le permet, pour la racheter plus tard sur le marché ou via les DPS. Certains investisseurs préfèrent différer leurs éventuels achats sur le titre sachant que les mouvements précédents vont faire baisser sa valeur, ce qui constitue un autre facteur de baisse temporaire.

 

[1] Que l’on retrouve dans le chapitre 38 du Vernimmen 2017.

[2] Comme expliqué au chapitre 27 du Vernimmen 2017.

[3] Pour ne pas confondre liquidité et solvabilité, voir les chapitres 13 et 15 du Vernimmen 2017.

[4] Merci à Valérie Vitter Mouradian qui nous a aidé à préciser nos idées sur ce point.

 

Article initialement paru dans la Lettre Vernimmen.net n°149 d’avril 2017, et repris par Vox-Fi avec due autorisation.