C’est au fond une histoire classique d’assurance : si une personne s’auto-assure, c’est-à-dire doit fait face sur ses ressources aux risques extrêmes qu’elle peut subir, elle doit avoir des fonds propres importants. Si elle s’associe à d’autres personnes qui subissent le même risque, son coût en fonds propres est bien moindre. Elle paie régulièrement une prime qui va alimenter un fonds collectif, ce qu’on appelle une assurance[1].

Il en va pour les particuliers comme il en va pour le système financier international.

Les pays émergents sont souvent sujets à des crises de paiement. Ils l’ont été à intervalles réguliers : les années 80 avec la crise latino-américaine, la fin des années 90 avec la crise asiatique, et bien sûr la débâcle de la grande crise financière ouverte en 2008. Le graphique qui suit, tiré du discours de Mark Carney fait en 2019 à la conférence annuelle, dite de Jackson Hole, des banquiers centraux, montre à quel point ces crises de paiement sont liées à l’afflux de financements internationaux.

Les capitaux rentrent facilement, les entreprises locales s’endettent en devises sans couverture de change, et, en cas d’environnement plus incertain, les capitaux ressortent aussi facilement et les entreprises ne peuvent plus se refinancer. Un assureur assez efficace, c’est le FMI, comme on vient de le voir récemment dans le cas de l’Argentine. Avec tous les problèmes liés à l’assurance, notamment l’aléa moral (Allo FMI ! Bobo !).

Mais cet assureur a été dans le passé un assureur trop directif, imposant des politiques trop souvent erronées, trop en phase avec les intérêts des grands pays de la planète. La crise asiatique de la fin des années 90 a pour cela été révélatrice et a conduit à une remise en cause, à une délégitimation du FMI comme instance de régulation macroéconomique mondiale.

Les pays, bien sûr en premier ceux qui le pouvaient aisément, s’en sont détournés ou plus exactement n’ont plus voulu jouer le jeu. La solution, dans ce cas, c’est l’auto-assurance, c’est-à-dire pour un pays l’accumulation préventive de réserves de change, ce qui suppose une politique d’exportation à outrance, au détriment de la consommation intérieure, pour faire face aux aléas pouvant arriver.

On le voit nettement sur ce second graphique, tiré de la même source, qui montre à quel point les réserves du FMI ont décru par rapport au stock de réserves de change détenues par les pays.

Les réserves de change sont passées de 5% à 8% de la somme des engagements extérieurs des pays entre la fin des années 1990 et leur pic de 2012 ; les réserves permanentes du FMI de 1% à 0,4% sur la même période.

La conséquence de ce refus de l’assureur public est un excès de réserves de change logées dans les pays, des réserves qui d’une part seraient mieux utilisées ailleurs, de l’autre ont l’effet fortement négatif de provoquer une véritable chasse aux actifs sans risque (safe assets), à savoir la dette souveraine à court terme des États-Unis et des grands pays de la zone euro et du Japon, dans lesquels sont investis les réserves de change. C’est bien cette chasse qui pressurise à la baisse les taux d’intérêt au niveau mondial.

Mark Carney estime qu’il est possible de réduire d’un facteur trois le stock de réserves si le mécanisme assurantiel via le FMI redevenait le canal privilégié.

Cela suppose évidemment un FMI qui regagne en légitimité. Il y a eu une certaine prise de conscience ces dernières années et l’institution s’est attachée à regagner en estime publique auprès des pays émergents. Le « chacun pour soi » dans un monde devenu plus incertain, exposé à des risques accrus (qu’on pense à l’enjeu climatique) n’est jamais une route très sûre.

 

[1] Hum ! il faut pour cela que le dommage lié au risque ne tombe pas en même temps sur chacune des personnes, ou alors, c’est à la compagnie d’assurance d’avoir de gros fonds propres.