Le débat sur la capitalisation ne s’est jamais interrompu mais connaît aujourd’hui un regain suite aux difficultés financières des caisses de retraite. Faut-il, et à quel niveau, introduire une part de capitalisation dans le système actuel ? Un avis assez général parmi les spécialistes du sujet – c’est le cas de l’OCDE – est que l’assurance retraite gagne à faire reposer son financement sur les deux jambes que sont la capitalisation et la répartition, car celles-ci réagissent différemment à des chocs externes. Le premier principe de l’assurance est en effet qu’il faut diversifier.

À ce titre, le système français est généralement considéré comme étant «trop» répartition, le système britannique «trop» capitalisation et un système mixte comme celui des Pays-Bas serait plus proche de l’optimum.

 

Se méfier des illusions

Mais ceci posé, il faut se garder de deux illusions si l’on veut accroître le volet capitalisation : la première, bien connue, concerne le temps requis pour que des cotisations cumulées produisent des rentes de niveau convenable. Or, ni l’État dans le contexte budgétaire présent ni les retraités actuels ou dans un futur proche n’ont les moyens ou l’envie d’avancer les fonds pour la transition. Celle-ci restera en tout état de cause d’ampleur limitée pour un coût politique non négligeable.

La seconde illusion, sur laquelle on s’attache ici, serait de penser que la capitalisation introduite sauverait à tout coup un système de répartition qui autrement courrait à la faillite. Les sorts de deux sont liés et leurs positions ne sont pas très différentes face aux deux macro-risques, à savoir la démographie et la productivité, que rencontre aujourd’hui la quasi-totalité des pays avancés.

Par exemple, si la durée de vie post-retraite s’allonge, un plan de capitalisation sans garantie sur le taux de remplacement se déprécie : le capital accumulé étale sa rente sur davantage d’années. Et s’il garantit le taux de remplacement, quelqu’un, l’État ou l’entreprise, doit y aller de sa poche.

 

Il serait illusoire de penser que la capitalisation introduite sauverait à tout coup un système de répartition qui autrement courrait à la faillite

 

Si maintenant, la population active est en baisse, les entreprises doivent payer des salaires plus élevés pour recruter ou même sont rationnées dans leur croissance, ce qu’on commence à voir dans un pays comme le Japon. La valeur des titres financiers assis sur leurs profits futurs baisse et le capital retraite se déprécie. Et au passage, des salaires plus élevés favorisent pendant un temps les prestations de répartition.

Si enfin la productivité (et donc à la fois le rendement du capital et le potentiel de hausse de salaire) baisse en France et non à l’étranger, oui, la capitalisation permet de capter des revenus plus importants par investissement sur les marchés financiers porteurs. La répartition, quant à elle, reste assise sur les salaires nationaux et donc limitée à la création de richesse nationale. Mais, peut-on dire, de toute la création de richesse nationale sans être limitée à celle qu’apportent les actifs cotés du pays, les seuls ou presque qu’une gestion prudente accepte dans un fonds de retraite.

Le flux d’épargne à l’étranger que permet la capitalisation rencontre toutefois certaines limites. Car, trop important, il peut empêcher qu’on fasse les investissements de productivité chez nous. C’est un thème que soulève le récent rapport Draghi concernant l’épargne européenne, abondante mais mal investie. Un pays rentier n’assure guère de bons emplois et donc de bonnes retraites à ses générations futures, si ce n’est par le patrimoine financier en actifs étrangers dont elles hériteront. C’est l’occasion de noter que l’héritage va devenir, à présent qu’il intervient plus tard dans la vie des bénéficiaires et qu’il se répartit sur des générations moins nombreuses, une sorte de nouveau pilier de retraite reposant sur la capitalisation, mais certainement pas le plus égalitaire.

 

Croissance économique et rendement du capital

Il faut enfin rappeler la fameuse règle de base où répartition et capitalisation se rejoignent : soit je place 10 % de mon salaire sur les marchés pendant 40 ans au rendement de 4 % l’an ; soit je touche dans 40 ans le même 10 % d’un salaire futur qui aura crû à 4 % en nominal. Ça ressemble fort à la fameuse relation r = g, où le taux de croissance de l’économie égale le taux de rendement de son capital.

Cette relation n’est bien sûr pas automatiquement assurée, même en situation d’équilibre. Un pays peut fort bien avoir une croissance nulle et pourtant un rendement du capital à 4 %, ce gain allant à la consommation plutôt qu’à l’investissement. Mais l’économie nous enseigne qu’une consommation optimale sur la durée, selon la règle d’or, est atteinte lorsque r est égal à g.

 

La finance ne peut pas tout. En cas de stress financier durable, c’est de façon ultime les paramètres en dur qu’il faut bouger

 

Le Chili présente un cas intéressant parce qu’il est presque exclusivement de type capitalisation. On dispose donc de statistiques de rendement des fonds de pension. Sur longue période, le rendement brut de ces fonds, investis pour moitié à l’étranger, est supérieur à la croissance des salaires, donnant l’avantage à la capitalisation. Mais, une fois ôtés les coûts de gestion, particulièrement élevés dans le cas chilien, les croissances sont proches, et donc probablement les rendements de deux systèmes.

Bref, la finance ne peut pas tout. En cas de stress financier durable, c’est de façon ultime les paramètres en dur qu’il faut bouger : date de départ à la retraite, montant des cotisations, montant des prestations, etc. Le versement des pensions est toujours et partout un transfert de ressources physiques des actifs vers les inactifs, quelle que soit l’organisation financière de ce transfert. Car c’est toujours la génération actuelle qui aide la précédente… et la suivante, par l’éducation de ses enfants.

 

Cet article a été publié sur l’Agefi le 12 juin 2025.