Si l’on regarde les principales évolutions économiques du secteur de l’édition, un constat s’impose : les éditeurs multiplient les parutions de titres. Première et immédiate conséquence de ce phénomène – les libraires ne pouvant « pousser leurs murs » : la rotation des titres devient de plus en plus fréquente en librairie, dans le cadre de l’office1. En effet, les libraires retournent rapidement les ouvrages qu’ils reçoivent et valorisent les titres à rotation rapide. Depuis quelques années, le taux de retour moyen de la profession augmente, pour atteindre 20 % aujourd’hui. Notre fonds étant relativement spécialisé, le travail s’effectue essentiellement en amont lors de la prise de commande des libraires ; ce processus permet de limiter les retours liés à une mise en place excessive. Cette tendance est parfois qualifiée de surproduction éditoriale. En 2007, 75 411 titres2 ont été produits, répartis pour moitié entre nouveautés et réimpressions, soit une augmentation de 7,5 % par rapport 2006 (chiffres du syndicat national de l’édition). Cette hausse rend la diffusion toujours plus difficile et plus éclatée.

 

Le livre numérique : un modèle économique à trouver

Comment faire lorsque l’on ne s’appelle pas Hachette ou Gallimard pour diffuser, faire connaître ses titres et être présent en librairie ? L’apparition de nouveaux acteurs de l’Internet dans la vente de livres (Amazon, Alapage, Chapitre…) favorise, d’une certaine manière, la possibilité pour le client de trouver exactement le titre qu’il souhaite n’importe où et n’importe quand. L’éditeur, quant à lui, peut avoir l’impression que son titre se retrouve noyé dans une masse d’ouvrages référencés sur ces sites. Si l’on considère la chaîne économique du livre dans son ensemble, les plus petites librairies rencontrent davantage de difficultés face à la concurrence des géants. Désormais, une part de plus en plus importante de notre chiffre d’affaires provient de ces revendeurs par Internet, au détriment d’un certain nombre de librairies dites traditionnelles. Les livres trouvent leur public plus facilement par le biais d’Internet, mais la présence « physique » en librairie devient, quant à elle, plus rare.

Depuis quelques années, le milieu de l’édition est marqué par l’apparition des livres numériques. Ce développement – dont beaucoup d’acteurs tant publics que privés – avaient annoncé l’inéluctabilité, s’avère beaucoup moins rapide dans la réalité que dans les discours. En même temps, il est risqué, pour une maison d’édition, de négliger cet aspect numérique lié à tous les nouveaux modes de diffusion de l’information. Un éditeur doit-il accepter la diffusion du contenu d’un roman qu’il a édité via les réseaux des opérateurs téléphoniques ? Doit-il la refuser ? Pourra-t-il la refuser à terme ? Il n’est pas évident de répondre aujourd’hui à ces questions, mais on peut imaginer que lorsque les opérateurs de télécommunication chercheront réellement à récupérer la diffusion de fonds éditoriaux, il sera difficile pour un petit éditeur de refuser.

[quote type= »center »]La vente en version numérique reste marginale[/quote]

À ce jour, nous proposons environ 28 000 titres au catalogue, tous disponibles en version papier, et un peu plus de 16 000 sont déjà téléchargeables sur notre site. D’un point de vue économique, la vente en version numérique reste très marginale. Si l’on considère l’investissement que cela représente – webmaster, serveurs, suivi technique auprès des clients – et les ventes effectives réalisées, la rentabilité n’est toujours pas assurée. Cela veut dire que pour suivre cette tendance du « tout numérique », il faut poursuivre très largement la recherche de la rentabilité en dehors ; on ne peut savoir si et quand cette rentabilité arrivera. Par ailleurs, il est étonnant de constater que l’augmentation du nombre de titres n’est pas proportionnelle au nombre de ventes. Doubler l’offre en nombre de titres ne multiplie pas par deux le chiffre d’affaires. Il n’est certainement pas anodin d’observer que beaucoup des grandes maisons d’édition n’ont pas encore osé prendre ce tournant numérique.

Cette révolution numérique annoncée ne signe certainement pas pour autant la fin du livre en version papier. Contrairement à l’idée généralement répandue, que le développement du numérique peut apparaître comme une dissociation du « livre objet » et du contenu, nous avons toujours été « au service de la connaissance » et, de par notre production, nous savons que c’est « le contenu » qui fait la richesse de notre catalogue. Il est difficile de comparer une production majoritairement universitaire comme la nôtre – même si 20 % environ de nos éditions le sont dans le champ littéraire (romans, essais, linguistique, critique littéraire, poésie, théâtre…) – avec une maison qui n’éditerait que des livres de beaux-arts, par exemple. Pour un chercheur, le fait de pouvoir stocker dans un ordinateur ou un e-book des centaines d’ouvrages de référence, avec la possibilité d’effectuer des recherches dans le texte, représente une évolution importante de l’accès à la connaissance. De plus, cette version numérique de nos ouvrages permet à des lecteurs du monde entier de pouvoir accéder immédiatement, sans coût, ni délai postal, ni frais de douane, à une grande partie de notre fonds, à un prix 30 % inférieur à la version papier.

Le livre papier et le livre numérique ne constituent pas deux marchés concurrents, mais plutôt complémentaires. Il s’agit de deux produits qui ne répondent pas aux mêmes attentes de la part des lecteurs. On peut parfaitement vouloir acheter un livre pour le plaisir de lire sur papier ou pour faire un cadeau, et acheter ce même livre en numérique pour faire des recherches dans le texte ou le mettre dans un e-book si l’objet est lourd. Par ailleurs, le numérique ne veut pas dire le « tout gratuit ». Il est vrai que les gens se sont habitués à ce que tout soit en accès libre sur Internet, ce qui est une erreur. La valeur éditoriale d’un livre, même diffusé uniquement en version numérique, demeure. C’est aux acteurs du marché du livre de s’organiser pour que les fichiers soient sécurisés et garantis. Cette conception du « tout gratuit », ainsi que les coûts induits par ces nouvelles technologies, constituent deux défis majeurs à relever pour l’édition de demain.

1. Système d’approvisionnement des librairies qui concerne les nouveautés. Il s’agit d’un contrat par lequel le libraire s’engage à commander à l’éditeur une quantité de livres, avec la possibilité de retourner les invendus entre le 3e et le 12e mois suivant la parution, ndlr.
2. Pour un total de 655 205 000 exemplaires produits en 2007 (chiffres Insee), ndlr.

 

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Quel avenir pour l’e-book ?

Lorsque l’on évoque l’édition numérique, une question se pose : quel avenir peut-on envisager pour l’e-book ? L’e-book comme support de lecture a deux défis essentiels à relever.

Démocratiser le prix des supports de lecture. Aujourd’hui le prix d’un e-book reste élevé. De plus, le fait que les écrans soient toujours en noir et blanc ne rend pas l’objet attractif.

Suivre l’évolution des modes de consommation. Beaucoup de lecteurs sont encore attachés au « livre objet », à l’odeur du papier et au fait que l’on puisse lire un livre de poche partout, dans les transports, dans une file d’attente, sans problème de batterie… La lecture sur un écran est traditionnellement perçue comme difficile et fatigante ; on lit rarement plus de quelques pages d’affilée sur un écran. Pour la nouvelle génération, beaucoup plus habituée à lire sur écran, l’e-book a sûrement un avenir, mais il faudra qu’il devienne plus attractif, c’est-à-dire interactif, avec des écrans tactiles et en couleur.

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Ce billet est une reproduction d’un article paru dans la revue échanges datée août-septembre 2009.