Résumé :

  • L’omniprésence de l’Etat dans le système bancaire chinois engendre une allocation non optimale du capital en favorisant le financement des entreprises d’Etat au détriment des entreprises privées ;
  • Le niveau croissant de l’endettement et le ralentissement graduel de la demande ont alimenté l’accumulation des prêts non performants dans le secteur bancaire ;
  • Le taux de prêts non performants chinois, d’apparence faible, serait en réalité bien plus important en prenant en compte les différences de comptabilisation. De même l’étude du ratio de couverture des intérêts indique que les risques de défaut seraient en réalité bien plus importants ;
  • Néanmoins, les régulateurs sont pleinement conscients de ces risques et ont mis en œuvre une série de mesures visant à contenir les risques dans le secteur financier.

 

La dégradation de la notation souveraine de la Chine le 21 septembre 2017 par l’agence de notation Standard & Poor’s, place une nouvelle fois l’endettement et le secteur bancaire chinois au centre de l’attention. Le ratio de prêts non performants (non-performing loan ou NPL) a progressé de manière constante depuis 2011 pour se stabiliser seulement fin 2016 autour de 1,75 %.

Les déséquilibres structurels, le surendettement et le ralentissement économique représentent les principaux défis auxquels le système bancaire chinois est confronté. Le niveau de prêts non performants est en réalité bien supérieur au niveau suggéré par les données officielles et le risque pourrait être encore plus élevé selon nos estimations.

 

Déséquilibres structurels du système financier chinois

Des déséquilibres structurels au sein du système bancaire chinois engendrent une allocation non optimale du capital. Le système bancaire quasi-étatique prête aux entreprises publiques (State Owned Enterprises ou SOEs). Autrement dit, l’État joue à la fois le rôle du prêteur et celui de l’emprunteur, générant ainsi de l’aléa moral et de fortes inefficacités au sein de l’économie domestique, en empêchant notamment l’allocation des ressources aux secteurs les plus productifs de l’économie. Ainsi, les entreprises publiques chinoises reçoivent les deux tiers des prêts bancaires alors qu’elles ne génèrent que 10 % du PIB[1]. En parallèle, les entreprises privées, en particulier les PME, font face à un rationnement du crédit. Une part importante des entreprises bénéficiant de prêts bancaires ne génèrent pas assez de bénéfices pour rembourser leur dette, aggravant les risques de défaut dans le système bancaire.

Le niveau élevé d’endettement et le ralentissement graduel de la demande ont alimenté l’accumulation des prêts non performants dans le secteur bancaire. Le plan de relance par l’investissement de 4 milliards RMB, annoncé à la suite de la crise financière de 2008, a aggravé les déséquilibres du modèle de croissance chinois, basé en grande partie sur l’investissement. Avec, en parallèle, une forte hausse de l’investissement et un ralentissement graduel de la croissance, l’efficacité marginale du capital s’est nettement dégradée et l’accumulation de la dette est devenue une vulnérabilité croissante pour la Chine. Le niveau d’endettement des entités non financières s’est élevé à 260 % du PIB fin 2016, contre 160 % fin 2008, selon Bloomberg. Cette évolution sur ces dix dernières années place la Chine au premier rang pour l’accroissement de la dette parmi l’ensemble des pays du G20. En outre, la demande intérieure et extérieure s’est progressivement affaiblie, mettant les entreprises sous pression pour générer la trésorerie nécessaire au remboursement de leur dette. Ces difficultés de remboursement des entreprises se reflètent au bilan des banques par une hausse des créances douteuses.

 

Le niveau de risque au sein du système bancaire est source d’inquiétude

Le taux de prêts non performants en Chine est en réalité bien supérieur au niveau suggéré par les données officielles.Les prêts non performants s’est élevé à 1,74 % du total des prêts en 2016, ce qui est faible comparé à de nombreux pays développés (cf. Graphique 1). Cependant, ce chiffre masque des différences comptables significatives. Alors que les normes comptables internationales considèrent un prêt comme un prêt non performant si l’emprunteur enregistre un retard de paiement supérieur à 90 jours, ou s’il présent des difficultés à rembourser le principal ou les intérêts, les normes comptables chinoises distinguent deux grandes catégories de « prêts à risque » : (i) les prêts non performants (ii) « les prêts mention spéciale ». Selon les normes comptables chinoises, lorsque la valeur d’un collatéral est suffisante pour assurer le remboursement d’un emprunt, le prêt est comptabilisé en prêt mention spéciale et non comme un prêt non performant. Il est donc nécessaire de prendre en compte les « prêts mention spéciale » pour s’assurer qu’une comparaison internationale soit appropriée. En les intégrant aux créances douteuses, le taux de créances douteuses se hisse à 5,61 % du total des prêts fin 2016 (cf.Graphique 2). En outre, les banques chinoises gèrent activement leurs créances douteuses. Selon Bloomberg, les 18 banques chinoises cotées en bourse ont radié ou transféré hors-bilan plus de 1,4 milliards RMB de créances douteuses depuis 2008. Si ces créances douteuses étaient restées à leur bilan, cela se traduirait par  2,1 points de pourcentage supplémentaire de prêts non performants en 2016. Au total, sans gestion active des prêts non performants par les banques, le taux de prêts non performants atteindrait environ 7,7 % fin de 2016, soit bien au-delà de la moyenne mondiale.

 

Le niveau de risque dans le secteur bancaire pourrait pourtant être encore plus élevé.En analysant 3 774 entreprises chinoises, nous observons que la capacité de remboursement de certaines entreprises chinoises est préoccupante. En 2016, 11,8 % de la dette de notre échantillon était détenue par des entreprises dont le taux de couverture des intérêts[2] était inférieur à un. En d’autres termes, ces entreprises ne génèrent pas suffisamment de revenus de leur exploitation pour couvrir la totalité de leur charge d’intérêt (cf. Graphique 3). Le montant de la dette à risque est notamment important dans les secteurs industriel et de la construction où les surcapacités pèsent sur les résultats d’exploitation des entreprises. Enfin, des institutions telles que l’agence de notation Fitch ou la société de courtage CLSA estiment quant à eux que le taux de créances douteuses pourrait s’élever entre 15 % et 21 % du total des prêts, un taux environ dix fois supérieur au taux publié par les autorités chinoises.

 

Graphique 3: Montant de dette avec un taux de couverture des intérêts inférieur à 1 en 2016

La stabilité financière est une priorité pour le gouvernement

Néanmoins, les autorités chinoises interviennent activement pour contenir les risques dans le système financier. En mars, alors que la Banque populaire de Chine (PBoC) a entamé un resserrement de la liquidité sur le marché interbancaire, le régulateur du secteur bancaire, sous l’égide de son nouveau président, Guo Shuqing, a publié une série de directives restreignant les pratiques risquées et imposant aux banques de leur communiquer toutes les transactions engagées, en particulier celles en relation avec le shadow banking, secteur financier non bancaire et moins régulé. Le défi majeur reste pour les régulateurs chinois d’améliorer la transparence du système financier. Pour atteindre cet objectif, les régulateurs chinois pourraient suivre l’exemple de la Banque Centrale Européenne (BCE) en entamant un programme d’évaluation de la qualité des actifs dans le secteur bancaire, Asset Quality Review (AQR). La BCE a conclu son premier AQR en 2014 pour évaluer la qualité des bilans de 130 prêteurs et rétablir la confiance des investisseurs dans la solidité du système financier de la zone euro. Enfn, malgré le niveau de risque non négligeable dans le secteur bancaire, il est nécessaire de rappeler que, compte tenu du rôle prépondérant des banques publiques dans le processus de prêt, le gouvernement est en mesure d’intervenir pour prévenir les défauts pouvant avoir un impact systémique.

 

Conclusion

La persistance de déséquilibres structurels a favorisé l’accroissement de l’endettement et des vulnérabilités dans le secteur financier chinois. Le renchérissement du coût de financement des institutions financières et les mesures réglementaires destinées à maitriser les risques liés au shadow banking, bien que positives, ne semblent être pas suffisantes.

Le défi de l’accroissement rapide de l’endettement appelle à des réformes structurelles, à commencer par celles des entreprises d’Etat et du système financier. Leur mise en place reste néanmoins délicate en raison de coûts sociaux potentiels non négligeables en termes d’emploi[3] et de l’opposition de certains groupes d’intérêt notamment dans le secteur financier.

A l’occasion du 19éme Congrès du Parti Communistes à la fin du mois d’octobre, cinq des sept membres du Comité Permanent du Bureau Politique du Parti Communiste Chinois, la plus haute instance du Parti, devront céder leur siège à de nouveaux membres. Ce sera à cette nouvelle génération de dirigeants qu’il incombera de définir la direction pour juguler les risques financiers.

 


[1] Source: Empty promises of SOE reform, Yanmei Xie, Gavekal Dragonomics.

[2] Ratio excédent brut d’exploitation/charge d’intérêt.

[3] La restructuration des entreprises d’Etat pourraient engendrer des fermetures d’entreprises et des plans sociaux.

 

Cet article a été initialement publié par BSI Economics le 11 octobre 2017. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation. Article publié en partenariat avec China Economy Podcast.