On reproduit ici, avec l’autorisation de la revue, des extraits de l’interview de Thierry Dissaux , « Titrisation, comment sortir de la crise ? », parue dans Variances, La Revue des Anciens de l’Ensae, n°37, janvier 2010. Pour retrouver la première partie de cette interview, cliquez ici.


Pourquoi n’a-t-on pas eu en France de crise aussi grave des actifs « toxiques » ?

 

A titre général, la titrisation européenne, à quelques exceptions près en Espagne et au Royaume-Uni, n’a pas connu les excès de la titrisation américaine, et surtout de l’origination américaine. Si leurs prix se sont effondrés et leur liquidité tarie, la qualité intrinsèque de crédit et les performances des titrisations européennes se sont bien maintenues. Toutes les titrisations ne sont pas à regarder du même œil.

Les banques européennes en général ont malgré tout enregistré des pertes sur actifs, liées à leurs opérations d’investissement, notamment sur des véhicules d’origine essentiellement américaine. En France spécifiquement, une attention particulière a toujours été portée à la qualité de l’origination par les banques, tout spécifiquement en matière immobilière. Et le régulateur français, bancaire ou consumériste, n’a jamais laissé se développer les dérives auxquels s’est livrée la sphère anglo-saxonne.

Enfin, les banques françaises ont eu plus généralement recours à une autre technique que la titrisation pour refinancer leurs créances à l’habitat – le plus gros des encours sur les particuliers –, celle de l’émission d’obligations foncières (l’équivalent français des « Pfandbriefe » allemandes, des lettres de gage luxembourgeoises, des « cedulas » espagnoles ou, à titre générique, des « covered bonds » anglo-saxons).

Ici les risques refinancés par les banques via des « covered bonds » demeurent portés par les banques. C’est l’une des grandes différences avec la titrisation. L’incitation pour les banques à veiller à la qualité de leur origination reste donc entière, s’il en est besoin. A rebours cependant, elles n’allègent par là ni leurs bilans, ni leurs exigences en capital, tandis que les titres proposés aux investisseurs sous le format des covered bonds sont insuffisamment diversifiés.

 

Quelle est l’analyse des autorités publiques, et quelles voies de sortie de crise envisagent-elles ?



La première réaction de la communauté internationale a été, passé le moment d’opprobre, celui de la régulation. Il fallait plus de régulation pour empêcher la réapparition des dérives. Toutes les instances internationales concernées (G20, FSB, FMI, IOSCO, Comité de Bâle etc.) ont donc émis recommandations et règles pour mieux encadrer les opérations.

Mais ces mêmes pouvoirs publics internationaux sont également conscients que la titrisation demeure nécessaire, qu’elle est devenue aujourd’hui un instrument essentiel du refinancement et de la liquidité des banques.

Dans un deuxième temps est donc apparue l’idée que la régulation était certes une excellente chose, mais qu’il fallait aussi veiller à ce que le marché redémarre. Cela d’autant plus que, tant que le marché reste éteint, ce sont les banques centrales, aux Etats-Unis, en Europe et ailleurs, qui se retrouvent à assurer le gros des besoins de liquidité du système.

Chacun a dès lors réagi selon sa conception propre, mais aussi selon l’état de son marché. Les Etats-Unis, les plus touchés, ont mis en place des mesures de réactivation dans le dur, avec un soutien public à l’achat d’actifs issus de titrisation. Ce sont les programmes TALF et PPIP. Le Royaume-Uni, pour d’autres raisons, a adopté un programme proche sur le segment des residential mortgages.

 

Et en France ?



Les autres pays, et notamment la France, n’ont pas eu besoin de mettre en place de telles mesures. Progressivement s’est fait jour l’idée qu’il fallait aider les banques à retrouver des modes de financement normal de marché et à se préparer à se passer des mécanismes de type SFEF et interventions monétaires massives de la BCE mis en place au plus fort de la crise.

Les pouvoirs publics français ont pris une première initiative d’envergure à l’été 2009, consistant à créer un nouveau compartiment légal de « covered bonds », celui des futures « obligations à l’habitat », qui permettront à la fois de soutenir l’offre de crédits à l’habitat et, pour les banques, de mobiliser plus largement leurs créances pour se refinancer. Il s’agit là d’un dispositif législatif qui devrait être examiné par le Parlement au début de l’année 2010.

Les pouvoirs publics sont allés plus loin en appelant de leurs vœux et en parrainant un travail de place sur la relance du marché européen de la titrisation. L’idée sous-jacente est qu’il faut faire la part entre les titrisations saines, profitables et nécessaires au bon fonctionnement de l’économie réelle, et les autres. Et que la notation AAA ne saurait être le seul critère.

 

Où en cette initiative aujourd’hui ?



Elle a beaucoup avancé. Elle est déjà en cours de discussion au sein des instances européennes qui traitent ce type de questions.

Sur le fond, on trouve en Europe deux grands courants de pensée, assez classiques du reste, sur le sujet de la relance des titrisations :
– un courant anglo-saxon représenté en particulier par l’ESF (European Secuiritisation Forum), très proche de l’ASF (American Securitization Forum aux Etats-Unis). Pour les tenants de ce courant, la logique du marché doit s’appliquer à plein, au travers d’une transparence accrue. Il faut, et il suffit de, donner aux investisseurs l’information la plus complète possible, sous une forme la plus standardisée possible, pour lui permettre de faire lui-même le tri entre les bonnes et les mauvaises opérations.
– un courant plutôt caractéristique de l’Europe continentale, dont est porteur l’European Financial Services Round Table (EFR). L’EFR souhaite identifier et faire émerger un compartiment spécifique du marché des titrisations, le segment des PCS (Prime Collateralised Securities), qui se distinguerait par sa qualité particulière. Les PCS répondraient à des critères de qualité minimale, correspondant aux meilleures pratiques de marché. Un système de labellisation viendrait signaler les PCS aux investisseurs.

Le travail réalisé en France – par un groupe rassemblant différents acteurs de la titrisation opérant à l’échelon européen, banques, compagnies d’assurance et gestionnaires d’actifs –, a patiemment construit une proposition qui fait la synthèse de ces deux courants. Cette synthèse repose sur une idée centrale qui est la liquidité. Le marché a besoin avant tout de liquidité. Et cette liquidité suppose elle-même transparence et qualité.

Le groupe a passé en revue un grand nombre de transactions sur toutes les classes d’actifs, du moins celles assises sur des actifs de l’économie réelle (crédits hypothécaires, prêts autos, prêts aux PME, prêts autos, etc.), en excluant à ce stade les opérations synthétiques, les CDO et les retitrisations. A partir de là, a été défini un jeu de critères caractéristiques d’une « bonne » titrisation. Ils ont été formulés, c’était l’objectif, sous une forme légère et surtout binaire : ça passe ou ça ne passe pas, avec une vérification facile de l’atteinte des critères.

Quels sont ces critères ? Sans entrer dans le détail, il s’agit de qualifier par une batterie d’indicateurs tous les éléments constitutifs d’une titrisation : la qualité des actifs, celle de leur origination (canal et process), celle du servicing des créances, la simplicité du montage juridique (critères d’une cession parfaite des actifs, définition des événements de crédit) et de la structuration (critères d’un rehaussement de crédit, de la cascade de paiements, des seuils de déclenchement), la solidité des couvertures, des parties tierces ou encore des audits…

Cette approche a permis de mettre de la chair sur les concepts qui demeuraient encore théoriques de « PCS » et de « labellisation ». Elle constitue à ce jour en Europe la proposition de relance sans doute la plus aboutie et la plus opérationnelle. Elle se trouve aujourd’hui sur la table de l’ESF, de l’EFR, mais aussi de la Banque Centrale Européenne. Ces trois acteurs travaillent en effet ensemble pour définir conjointement une initiative globale. A noter que différents représentants des institutions qui ont travaillé à la proposition évoquée siègent eux-mêmes à l’ESF et à l’EFR, dont les membres émanent de la communauté financière.

La BCE occupe une place centrale dans ce dispositif. Elle a bien sûr un intérêt direct au redémarrage des marchés de la titrisation. Dans le cadre de la proposition évoquée, l’obtention d’une réelle liquidité suppose notamment que certains intervenants puissent animer le marché à l’achat et à la vente. Ces intervenants ont eux-mêmes besoin de pouvoir se retourner vers la banque centrale pour trouver de quoi refinancer les positions prises. Inversement, la banque centrale est intéressée à la qualité des papiers de titrisation qu’elle prend en garantie. Au total, il est à la fois logique pour elle et nécessaire pour les acteurs que la banque centrale accorde aux intervenants des conditions plus favorables sur ses prises en garantie lorsqu’ils travaillent des papiers comme les PCS, que sur des titrisations généralement quelconques.

Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. La BCE doit notamment se former sa propre opinion et le concept de label demeure quelque chose assez étranger à la culture anglo-saxonne. Difficile de dire par conséquent ce qu’il adviendra de la proposition.

En France, un Haut Comité de Place (HCP), rassemblant autour du Ministre des Finances les différentes autorités de régulation françaises ainsi que les principaux acteurs de la sphère financière, s’est tenu le 18 janvier de cette année, a examiné et validé la proposition, et invité l’ensemble des acteurs privés et publics à poursuivre leurs efforts pour promouvoir cette base de travail dans les instances avec lesquelles ils travaillent. Le processus est donc en marche.