Synthèse d’un article publié par la revue Banque dans un hors série avec l’AMAFI (décembre 2012)

 

 

Les PME dépendent aujourd’hui très fortement des crédits bancaires. Ils représentent 97,5 % de leur dette financière en 2011, contre 81,2 % pour les ETI et seulement 36,1 % pour les grandes entreprises. Pour ces dernières, cette part était de 46 % en 2008, signe que la désintermédiation (i.e. le financement ne passant pas par des prêts bancaires) progresse rapidement.

 

Les régulateurs et les pouvoirs publics souhaitent vivement qu’il en aille ainsi pour les PME, afin de diversifier leurs sources de financement et éviter qu’elles aient à subir tout retrait conjoncturel des banques de leur activité de prêts, ce qu’on observe aujourd’hui de façon patente dans des pays comme l’Espagne ou l’Italie. Il faut donner aux PME l’accès à l’épargne des ménages détenu par les OPCVM et les assureurs.

 

Comment faire ? La voie du financement obligataire publics reste difficile, malgré l’appétit actuel des investisseurs pour le risque corporate et le dynamisme du marché high yield. Les opérations peuvent aussi se réaliser sous forme de placement privé, lorsque l’entreprise est de taille moyenne et qu’elle bénéficie d’une forte notoriété. Des formes de financement « mixtes » ont été utilisées avec plus ou moins de succès. L’opération soutenue par MiddleNext, permettant aux ETI déjà cotées d’émettre des obligations à 6 ans pour des montants jusqu’à 20 millions d’euros, et souscrites ensuite par le fonds commun de placement « Micado France 2018 », n’a recueilli que 60 millions d’euros, pour un objectif de 300 millions. De tels types de montages sont déjà utilisées ou à l’étude, comme par exemple les emprunts mutualisés du GIAC. Une solution récemment avancée par l’AFTE serait de donner la possibilité aux particuliers de mettre ces émissions obligataires dans les PEA.

 

L’opération initiée récemment par AXA et la Société Générale est un autre exemple, à savoir un cofinancement entre une banque et un institutionnel. Ici, la compagnie d’assurance est impliquée en amont dans l’octroi du prêt, et l’alignement d’intérêt est garanti par la conservation de 20 % de l’encours par la banque.

 

La titrisation des créances aux PME : prometteuse mais complexe

 

Les statistiques sont parfois trompeuses ! Les chiffres d’émission de titrisation en Europe montrent une forte augmentation relative des opérations PME : leur part n’était que de 6 % en 2006 pour représenter 5 ans après 16 % des émissions. La progression du volume émis est aussi significative : il est passé de 28,7 Md€ à 60,6 Md€ en 2011, avec un encours atteignant 178,6 Md€ à la fin de l’année 2011.

Synthèse d’un article publié par la revue Banque dans un hors série avec l’AMAFI (décembre 2012)

 

Le biais concerne le placement des émissions, puisque la quasi-totalité (98 % en 2011) a été retenue par les banques pour servir de collatéral à des opérations de refinancement, en particulier auprès des banques centrales. Globalement, 84 % de l’encours des titrisations de prêts PME sont encore entre les mains des banques. De plus, ces opérations concernent principalement les pays d’Europe du Sud, avec près des deux tiers de l’encours (la part de la France n’étant que de 2 % environ), confirmant les difficultés de refinancement des banques de cette région.

 

Les crédits aux PME représentent pourtant beaucoup d’intérêt pour la titrisation parce qu’elles corrigent beaucoup des dérives qui ont été identifiées lors de l’éclatement de la crise financière :

  • Des portefeuilles de moins en moins diversifiés ;
  • l’utilisation d’actifs et de montages de plus en plus complexes ;
  • le passage de créances réelles à des créances synthétiques ;
  • l’absence d’une origination sérieuse et d’une vraie analyse des risques.

 

Les portefeuilles de crédits aux PME offrent la diversification nécessaire, notamment sectorielle, et une bonne qualité d’origination, parce que la clientèle est bien connue par les banques. Cela réduit fortement l’incertitude sur les matrices de corrélation et les scénarios de stress-test à l’origine de l’échec de beaucoup d’opérations de titrisation.

 

Cependant les obstacles sont nombreux. Le premier est technique et tient à la complexité et au coût du transfert des prêts en raison de leur nombre (plus de 80 % des crédits accordés aux PME ont un montant inférieur à 50 000 euros) et de leurs spécificités, mais surtout de la façon de traiter le transfert des garanties[1]. Le contrat de base contraint trop souvent le cédant à informer le débiteur de la cession ou à demander le consentement du débiteur cédé. Une autre difficulté est la faiblesse de l’excess spread[2] permettant d’offrir des conditions attractives aux investisseurs.

 

La notation des agences pose problème

 

Une autre difficulté est le passage obligé du montage par la case rating :

  • La taille et l’ancienneté des entreprises pèsent beaucoup dans l’analyse financière et ne sont pas favorables aux PME ;
  • les agences accordent peu de crédit aux garanties, ce qui impacte leurs hypothèses de taux de recouvrement en cas de défaut. La structuration (tranching) est donc moins efficiente avec une portion AAA significativement plus petite que sur des portefeuilles de prêts auto, par exemple ;
  • l’accès et la qualité de l’information disponible ;
  • enfin, pour les établissements cédants, la nécessité de fournir des données précises sur leur portefeuille de crédits peut être sensible du point de vue de la concurrence.

 

L’avenir de la titrisation dépend des arbitrages réglementaires

 

Les acteurs du marché de la titrisation sont très inquiets des réformes réglementaires qui vont être mises en place, en particulier l’introduction de ratios de liquidité (LCR) pour les banques et son traitement prudentiel pour les assureurs. La définition de la réserve de liquidité retenue écarte les titrisations comme actif liquide (sauf les covered bonds[3]), augmentant significativement le coût de détention que la banque doit obligatoirement conserver (5 %). Les projets de réglementations pour les assureurs (Solvabilité 2), en demandant des fonds propres pour leur détention, enlèvent quasiment tout attrait de ces produits pour leur portefeuille d’investissement.

 

Les discussions sont toujours en cours avec l’Autorité de supervision européenne (EBA) concernant la transposition de Bâle III dans la réglementation européenne (CRD 4) et elle serait sur le point d’introduire l’éligibilité des RMBS (titrisation de crédits immobiliers résidentiels) compte tenu de leur bon comportement pendant la crise – aucune tranche AAA n’a fait défaut –.

 

Nous semblons (ou espérons) aller vers une réglementation plus positive et cohérente, alliant l’impératif d’un cadre solide aux besoins de financement de l’économie. C’est un sujet sur lequel les pouvoirs publics doivent se mobiliser.

 

 


[1] Pour ce type de crédit, elles sont très fréquentes et efficientes dans la mesure où elles permettent d’afficher des taux de défaut bas (proches de 1,4 %). Pour le cédant, il n’est pas toujours évident de relier, dans ses systèmes informatiques, crédits et garanties associées.

[2] Écart entre le taux des crédits et la rémunération versée aux porteurs des différentes tranches émises.

[3] Obligations émises par des filiales spécialisées de banques dont les flux de remboursement sont garantis par un portefeuille de prêts hypothécaires ou de prêts au secteur public