Malthus a mauvaise réputation. N’était-ce pas lui, bon pasteur anglican, qui recommandait que les pauvres aient moins d’enfants ? Sans doute, mais il n’en reste pas moins l’un des grands esprits du XIXe siècle. Certains ont pu le mettre à l’époque au niveau de Darwin, que ce soit d’ailleurs pour les voir tous les deux comme d’immenses savants ou d’immenses démons.

Malthus est en tout cas, par son Essai sur le principe de population, le premier à avoir fourni une explication cohérente des dynamiques conjointes de la croissance économique et de la population, ceci depuis la nuit des temps jusqu’à son époque. Il a composé son livre en 1798, c’est-à-dire au moment où commençait à s’ébaucher la révolution industrielle – qu’on date plutôt autour de 1820 en Grande-Bretagne. Ironiquement, c’est cette révolution industrielle qui allait précisément invalider sa théorie, l’empêchant d’être la véritable théorie dite « unifiée » pouvant expliquer tant ce qui s’est passé avant l’ère industrielle qu’après. Il faut reconnaître que les économistes et historiens sont toujours en quête de cette « théorie unifiée », les débats à ce sujet étant aujourd’hui très actifs.

Dans une première partie du présent article, je tente d’exposer simplement la théorie de Malthus, pour évaluer en une seconde partie le renouveau qu’on peut lui voir aujourd’hui, à l’ère de l’anthropocène, dans l’explication du dérangement écologique.

 

Le modèle

Tout tient en trois propositions, rien de plus, mais trois propositions qui ont une forte puissance d’explication. Je m’aide ici de la présentation qu’en fait Philippe Aghion dans son cours sur la croissance au Collège de France ainsi que du livre de Gregory Clark (A Farewell to Alms, Princeton University Press, 2007).

D’abord, Malthus traite d’une économie purement agricole, marquée par un facteur rare et limité, la terre. On peut certes défricher, on peut découvrir l’Amérique, et ainsi repousser les limites en matière de terre arable, mais supposons ici pour le modèle une quantité fixe.

Deux, on postule qu’à quantité de terre et à niveau de technologie agricole donnés, plus la population est importante, plus le revenu (agricole) par tête est faible. Hors progrès technique en effet, l’hypothèse relativement plausible. Cela donne une relation décroissante comme dans le graphique du haut dans la figure 1 ci-dessous. On verra ce qu’il en est dans le cas de progrès technique.

Trois, et c’est le postulat de base qu’il faudra discuter, plus le revenu par tête est important, plus la population connaît une croissance forte. À revenu élevé, il est possible d’élever davantage d’enfants, les avoir en meilleure santé et réduire la mortalité. La relation entre le revenu par tête et le taux de croissance de la population est donc croissante, et c’est ce que montre le graphique du bas dans la figure 1 qui suit.

 

Quelle dynamique suit ce petit modèle, plus riche qu’on ne peut le penser a priori ? Le niveau A de la population dans le graphique du haut correspond à un certain revenu par tête. Celui-ci, en descendant vers le graphique du bas, assure une croissance zéro de la population. Voici donc un équilibre parfait : une stagnation tant de l’économie que de sa population.

Supposons à présent un choc démographique en une fois, comme le ferait une épidémie qui décimerait pendant un temps la population. C’est ce que représente la figure 2 qui suit.

 

Cet article est une version révisée, initialement publié sur Variances.eu le 14 octobre 2024.