Par TVA sociale, on entend toute mesure de hausse de la TVA accompagnée d’une baisse du coût du travail via le jeu des cotisations sociales ; le tout financièrement neutre pour l’État. Le débat court toujours en France à son sujet, sans conclusion ferme. Il doit être relancé. Tout tient en trois propositions simples, admises par la majorité des économistes.

  1. Une hausse de la TVA, compensée par une baisse des cotisations sociales employeurs, est identique dans ses effets à une dévaluation.
  2. À long terme, une fois prises en compte les indexations respectives entre les prix et les salaires, les effets d’une dévaluation – comme d’une TVA sociale compensée – disparaissent en grande partie.
  3. Mais à court terme, une dévaluation comme une TVA sociale compensée, apportent un bol d’air à la compétitivité des entreprises.

La proposition 1- se prouve aisément. La hausse de la TVA frappe la production domestique comme les importations, mais ne frappe pas les exportations ; si elle est compensée budgétairement par une baisse des cotisations sociales employeurs, la production à usage intérieur et pour l’exportation est favorisée. Cette dernière gagne en compétitivité par rapport à l’importation. C’est exactement ce que fait une dévaluation. Dans la zone euro, où les dévaluations sont interdites sauf à sortir de l’euro, la hausse compensée de la TVA est donc une alternative possible, permettant une « dévaluation interne », c’est-à-dire une partielle remise à niveau de la compétitivité qui ne touche pas au taux de change, par définition fixe.

La proposition 2- tient au fait que sur la durée les salaires et les prix (et les prix entre eux) s’ajustent et reviennent au niveau d’équilibre des offres et des demandes. Tout choc nominal a donc, pour l’essentiel, un effet transitoire, ce qui est variante de la proposition bien connue selon laquelle « la monnaie est un voile ». C’est bien le cas d’une dévaluation : les prix à l’import, par exemple le prix du pétrole importé, s’accroissent, ce qui a des effets en cascade sur les prix de détail et sur les coûts à la production. Au bout d’un temps, le niveau général des prix revient à son niveau antérieur. C’est sur cette base, d’ailleurs, qu’est née l’idée de l’euro, idée qu’on retrouvera nécessairement sur la route si jamais, par malheur pour le projet européen, l’expérience devait cesser : dans une zone économique aussi intégrée du point de vue commercial, financier et désormais politique et culturel, le jeu des monnaies est vain sur la durée, et se paie en volatilité du change, en incertitude pour les relations commerciales et pour la croissance, et en compétition stérile entre les pays de l’Union.

La « neutralité » d’une dévaluation est évidemment une très forte approximation. Dans une récente des excellentes chroniques qu’il tient dans le Monde de l’économie, Philippe Askenazy mentionne notamment que la TVA ne frappe pas les banques et donc qu’à défaut d’un relèvement de la taxe sur les salaires spécifique au secteur financier, la TVA sociale permet un transfert de revenu vers le secteur bancaire. Voir Le Monde du 19.12 : Y aura-t-il de la TVA sociale à Noël ?1

De plus, la vitesse d’ajustement est très variable, selon les pays, selon les conjonctures. Elle dépend du degré d’indexation des contrats commerciaux et des salaires ; elle est moins forte aujourd’hui dans la zone euro qui connaît une récession. C’est ce qui justifie la proposition 3 : dans l’intervalle, le gain de compétitivité renforce les marges des producteurs nationaux et peut créer (sans garantie toutefois) un effet permanent sur l’offre, par l’investissement ou par économies d’échelle liées au gain de parts de marché. De la même façon, les 8 à 10 ans de surcompétitivité gracieusement allouée à l’Allemagne par les mécanismes mal réglés de l’euro ont renforcé sans doute durablement la puissance manufacturière allemande.

Or, c’est bien une telle mesure de TVA compensée qu’a prise l’Allemagne après l’arrivée d’Angela Merkel au pouvoir en 2005. Sie hat nicht mit der Rückseite des Löffels wurde! (Elle n’y a pas été avec le dos de la cuillère !). Jugez-en : la TVA a grimpé de trois points, de 16 à 19 %, compensée par une baisse des cotisations sociales. C’était une mesure parfaitement non coopérative et choquante dans un contexte européen, puisqu’elle renforçait l’avantage de compétitivité allemande vis-à-vis essentiellement de ses partenaires du sud de l’Europe, alors qu’elle n’en avait plus besoin, ayant déjà absorbé les mesures restrictives et de restauration de la compétitivité prises auparavant par le chancelier Gerhardt Schröder.

Il est donc approprié, pour les pays de la zone euro sud, si on peut employer cette dénomination, de considérer la même mesure. Mais il serait plus légitime encore que l’Allemagne, puissance dominante de l’Europe, détricote ce qu’elle a fait en 2006-2007, et procède ainsi à une réévaluation interne2.

Le contexte l’impose. Il semble bien, au sortir de la réunion des 27 à Bruxelles le 9 décembre, que les mesures décidées par les « 26 » ne règlent que très imparfaitement la question clé de la zone euro, à savoir son problème de balance des paiements et d’écarts tendanciels de compétitivité entre les pays. Il est certes bon, dans une zone monétaire, de brider les dérives budgétaires nationales. Mais l’ajustement budgétaire ne doit pas s’opérer de façon asymétrique, concentré sur les déficits de l’euro sud et non les excédents de l’euro nord. L’effet d’ensemble serait alors récessif, ce qui n’est pas le meilleur moyen d’arranger les finances publiques de la zone.

Un mot pour finir sur le revenu des ménages. Dans sa forme pure, la TVA sociale, comme la dévaluation qui renchérit les prix importés, pèse sur le pouvoir d’achat des ménages. Pas très heureux (et pas très social) en ce moment – ou au contraire heureux, si c’est l’Allemagne qui décide de la mesure, en distribuant ainsi du pouvoir d’achat à ses ménages. Si c’est la restriction qui l’emporte, c’est-à-dire si c’est la France ou d’autres pays euro-sud qui prennent cette mesure plutôt que l’Allemagne la contre-mesure, il conviendrait de panacher la baisse des cotisations sociales moitié-moitié entre employeurs et salariés.

1. Askenazy se réfère à une étude qui n’examine pas la question de la comparaison entre les effets d’une dévaluation et de la TVA sociale. Sa conclusion est néanmoins que les effets « réels » sur la durée sont très maigres, ce qui va bien dans mon sens.

2. Pour être juste, il faut dire que l’Allemagne a annoncé une mesure expansive budgétairement, à savoir une réduction de l’impôt sur le revenu, mais dans le futur, en quelque sorte un subterfuge à opposer à ses partenaires s’ils venaient à lui reprocher son attitude non coopérative.