Outre le manque de spécialisation de son industrie ou la perte de compétitivité de son économie, un autre facteur explique la dégradation du déficit commercial de la France : l’appétit des investisseurs internationaux pour la dette qu’elle émet.

Le déficit commercial récurrent de la France inquiète. La mauvaise compétitivité, la spécialisation industrielle peu porteuse, des dépenses publiques mal tenues sont les raisons invoquées le plus souvent. Mais ce diagnostic ne doit pas faire oublier un autre facteur, à savoir une demande mondiale en actifs sûrs (« safe assets ») qui se reporte fortement sur notre pays.

 

Besoin d’actifs sûrs

Résumons : les investisseurs du monde entier, dont les banques centrales, ont un besoin constant et important d’actifs sûrs libellés en euros. Où les trouver ? Les titres de dette allemands sont les cibles de choix. Or, il y en a de moins en moins sur le marché. Le budget public allemand dégage à présent des excédents (1,3 % du PIB en 2017), ce qui fait baisser rapidement le stock disponible de dette publique, d’autant plus que la BCE en a absorbé un quart dans le cadre de son programme de rachat de titres.

De par sa vigueur exportatrice, l’Allemagne présente une position financière extérieure créditrice de 60 % de son PIB, contre 20 % il y a dix ans. L’Allemagne, loin d’emprunter, prête au reste du monde l’argent nécessaire à lui acheter son énorme excédent courant.

 

L’appétit pour la dette française

C’est la France, dans la même zone monétaire, qui prend une bonne part du relais. De fait, sa position extérieure nette est fortement négative. Ce n’est pas lié aux investissements en fonds propres des entreprises à l’étranger. Avec un montant net de 481 milliards d’euros pour la France en 2017 et de 564 milliards d’euros pour l’Allemagne, ils sont en proportion des deux économies. Ce sont les positions en titres de dette qui jouent, quasiment à l’opposé : une position créditrice de 1.365 milliards d’euros pour l’Allemagne, débitrice de 943 milliards d’euros pour la France. Cette dernière devient donc, en partie à son corps défendant, un très gros fournisseur d’actifs libellés en euros pour le reste du monde. On préfère certainement un Bund allemand à une OAT française, mais on en trouve beaucoup moins.

 

Excédents allemands

Le phénomène est durable. Il aide à expliquer que les taux français ne se soient jamais vraiment écartés des taux allemands, malgré quelques menaces au moment de la crise de 2011. Il explique aussi l’extrême singularité de la France dans l’ensemble de la zone euro. Après tout, l’Italie ou l’Espagne ne sont pas des modèles de bonne gestion publique ni, pour l’Italie, de bonne compétitivité ; ils ont pourtant des comptes extérieurs positifs. Dans une relation assez symbiotique, les excédents allemands ont besoin des déficits français. L’origine n’est pas tant commerciale que financière, même si c’est avec l’Allemagne que notre solde commercial est le plus négatif. Cela vient du bas de la balance des paiements, reflet comptable des flux commerciaux.

On reconnaît là pour la France, toutes proportions gardées, une position analogue à celle des Etats-Unis : si le reste du monde veut du dollar, il faut bien que les Etats-Unis en exportent. Et pour produire ces actifs, il faut bien, comptablement, pour la France comme pour les Etats-Unis, dégager des déficits des soldes courants, et des déficits publics au premier chef.

Coût de financement

L’extraordinaire capacité de l’Allemagne à produire des excédents met sous pression les partenaires de la zone monétaire commune, dont la France, qui, parmi les grands pays, a le moins mauvais risque de crédit. Le mécanisme de transmission n’est pas le taux de change, puisqu’il est bloqué ; c’est le taux d’intérêt et le fort appétit pour la dette française. La France bénéficie d’un coût de financement qui ne correspond pas à sa situation de solvabilité. C’est ce qui encourage la dépense et l’endettement interne, publics et privés.

 

Protégée en même temps que pénalisée par l’euro, la France peut en continuer avec ses déficits. Et, renversant la logique, elle y est forcée quelque part sous la pression de son grand voisin. C’est son (tout petit) privilège exorbitant, pour reprendre le mot qu’appliquait Giscard d’Estaing aux Etats-Unis. C’est ce qui rend plus difficile qu’ailleurs l’inversion des déficits.

 

Cet article a été initialement publié sur le site LesEchos.fr le 17 août 2018. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.