Les professionnels de la finance (du moins les lecteurs de la Lettre Vernimmen.net [1]) savent qu’un dividende est davantage comparable à un retrait de cash au distributeur qu’à la réception d’un salaire, et que tout raisonnement fondé sur les dividendes doit prendre en compte l’effet mécanique de leur versement sur le cours de bourse.

Pourtant, deux chercheurs américains ont publié récemment un article[2] qui montre que beaucoup de fonds d’investissement, d’investisseurs institutionnels et d’analystes financiers semblent commettre la même erreur dans leur comportement d’investissement : les plus-values et les dividendes sont traités comme s’ils étaient indépendants.

Les auteurs de l’article utilisent des biais de comportement déjà largement documentés dans la littérature. Par exemple, l’effet de disposition est un comportement consistant à vendre excessivement les actions, dont la valeur a récemment augmenté, et à refuser de vendre celles dont la valeur a baissé. L’article montre que ce biais porte en fait sur le prix de l’action et non sur sa performance, ignorant les dividendes.

Pour être clair : si deux actions A et B voient leur prix passer de 5 € à 6 € sur la même période, mais que l’action A a versé 1 € de dividende (et que B n’a rien versé), alors l’effet de disposition sera observé dans les mêmes proportions sur l’action A et sur l’action B, comme si les deux actions avaient eu la même performance. Autrement dit, à l’effet de disposition (déjà connu) s’ajoute un biais lié à une séparation artificielle entre plus-value et dividende dans la mesure de la performance.
Un autre résultat spectaculaire porte sur le comportement de réinvestissement des dividendes. Les actionnaires individuels ont tendance à utiliser les dividendes reçus pour leur consommation (au lieu de les réinvestir).
Étonnamment, le réinvestissement des dividendes est aussi très rare de la part des fonds et des institutionnels. Sur une large période (entre 1980 et 2015), l’ajustement du nombre d’actions par ligne ne dépend pratiquement pas du versement ou non de dividendes. Tout se passe comme si les fonds (et les institutionnels) souhaitaient diminuer leur participation dans ces actions exactement du montant correspondant au dividende reçu. Pour les auteurs, c’est en réalité une preuve supplémentaire d’un traitement différencié entre dividendes et plus-values de la part des professionnels.

Cette erreur entraîne des conséquences négatives pour les investisseurs. La recherche de rendement sur dividende crée une pression à la hausse sur les prix des actions à fort dividende, en particulier en période de taux bas (les dividendes étant assimilés à un revenu stable). Les auteurs mesurent une perte de performance annuelle moyenne de 2,4 % pour les investisseurs qui achètent ces titres au moment où ils sont le plus demandés. Ils paient trop cher les dividendes, au détriment de la performance.

Les auteurs remarquent avec un certain humour que si la compagnie US Airways avait nommé son programme de fidélité Dividend Miles, ce n’était pas pour indiquer que ces miles seraient non pertinents ou fiscalement désavantageux, mais bien parce que les dividendes étaient largement perçus par le public comme une rémunération. La littérature académique sur les dividendes est très vaste depuis les articles fondateurs de F. Modigliani et de M. Miller[3], mais il reste du travail de pédagogie à faire !

 

[1] En particulier le numéro annuel de janvier dont la dernière version est consultable ici.

[2] S. M. Hartzmark et D. H. Solomon, « The dividend disconnect », Journal of Finance, vol. 74-5, 2019, p. 2153 à 2199.

[3] Voir le chapitre 38 du Vernimmen 2020.

 

Cet article a été initialement publié dans La Lettre Vernimmen.net n°176 de février 2020. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.

Cet article a également été publié sur Vox-Fi le 3 mars 2020.