Graphique 1 : Développement de l’activité partielle en France pour motif de Covid-19 (1er mars – 14 avril 2020). Source : Dares. Note : En France, le nombre de demandes d’activité partielle pour motif de Covid-19 s’élevait à 904 000 au 14 avril 2020, soit 8,7 millions de salariés (34 % de l’emploi salarié).

 

L’activité partielle, plus connue sous le nom de chômage partiel en France et de Kurzarbeit en Allemagne, permet aux établissements confrontés à des difficultés conjoncturelles de diminuer le nombre d’heures travaillées de tout ou partie de leurs salariés. Ces derniers reçoivent une compensation pour ces heures chômées, partiellement ou intégralement financée par les pouvoirs publics.

 

Le recours à l’activité partielle atteint de nouveaux sommets avec la pandémie de Covid-19

Depuis début mars 2020, l’urgence sanitaire déclenchée par le Covid-19 a conduit de nombreux gouvernements, notamment français et allemand, à restreindre les mouvements de leurs citoyens et à ordonner la fermeture des commerces jugés « non essentiels ». Ces restrictions ont entraîné l’arrêt d’une grande partie de l’économie.

Les premiers indicateurs conjoncturels disponibles pour mars 2020 font état d’une chute de l’activité sans précédent sur un mois. Le PMI composite (graphique 2a) a touché son plus faible niveau historique en France, à 28,9 (-23 points par rapport à février), mais aussi en Allemagne à 35,0 (-16 points sur un mois). La composante relative à l’emploi, qui représente 20 % du total de l’indice, a également connu un fléchissement inédit en mars (-8 points en France et -9 points en Allemagne (graphique 2b), en particulier dans les services). Dans son point de conjoncture de mars 2020, la Banque de France estime que chaque quinzaine de confinement entraine, toutes choses égales par ailleurs, une perte de PIB annuel proche de -1,5 %.

 

 

Graphique 2a : PMI composite, France et Allemagne. Source : Markit

Les gouvernements français et allemand ont réformé le dispositif d’activité partielle afin d’en favoriser le recours et amortir le choc économique. En France, le financement des heures chômées est désormais intégralement pris en charge par l’État et l’Unédic dans la limite de 4,5 Smic horaires nets. La procédure de recours a été simplifiée, avec notamment la réduction des délais d’instruction des demandes. Selon l’indicateur hebdomadaire de la Dares au 14 avril 2020, 732 000 entreprises et près de 8,7 millions de personnes sont concernées par l’activité partielle, soit 34 % de l’emploi salarié.

En Allemagne, le dispositif a été élargi aux intérimaires et son recours facilité : une entreprise pourra faire une demande d’activité partielle dès lors qu’au moins 10 % de ses employés sont potentiellement concernés par une interruption de travail (contre 30 % auparavant). D’autres contraintes, liées à l’épuisement des comptes épargne temps des salariés, sont également relâchées. Depuis le début de la pandémie (au 13/04), 725 000 entreprises ont sollicité l’Agence fédérale pour l’emploi en vue de recourir à l’activité partielle, à comparer à 1 900 pour le mois de février.

 

Un dispositif éprouvé pendant la Grande Récession

L’activité partielle a déjà été utilisée comme instrument de sauvegarde de l’emploi durant la Grande Récession de 2008-2009 en France et surtout en Allemagne (Cahuc et al., 2018 et Balleer et al., 2016, respectivement). En Allemagne, la mise en œuvre d’accords collectifs sur le temps de travail et la rémunération a largement contribué au « miracle » du marché du travail (Barthelemy et Cette, 2011 ; Boulin et Cette, 2013).

Ainsi, le PIB a reculé de 5,6 % en 2009 en Allemagne sans que cela n’ait entrainé un effondrement de l’emploi et une envolée du taux de chômage (graphique 3a). En France, le PIB a moins baissé (-2,8 %), mais les destructions d’emploi ont augmenté et le taux de chômage s’est accru durablement (graphique 3b). En moyenne sur l’année 2009, le recours à l’activité partielle pour motif conjoncturel a concerné 3,0 % de l’emploi salarié en Allemagne, contre 1,3 % en France.

 

Graphique 3a : Allemagne Croissance, emploi total et taux de chômage. Source : Eurostat
Graphique 3b : France Croissance, emploi total et taux de chômage. Source : Eurostat

Mais avec des différences de législation entre la France et l’Allemagne

Dans les deux pays, le salarié reçoit une indemnité pour chaque heure chômée à hauteur de 60 à 84 % de son salaire horaire net. Cette indemnité ne peut cependant être inférieure au Smic horaire en France. La durée maximale d’indemnisation est désormais limitée à douze mois en France, dans la limite de 1 607 heures par salarié et par an, et peut être allongée par décret en Allemagne, selon la situation conjoncturelle du pays ou d’un secteur en particulier.

Il existe trois différences principales en termes de législation entre la France et l’Allemagne, atténuées depuis la crise du Covid-19. Premièrement, l’activité partielle comprend les contrats atypiques comme les CDD et les intérimaires en France, alors qu’en Allemagne, elle ne concerne pas les mini-jobs et les intérimaires n’ont été pris en compte qu’à partir d’avril 2020. Deuxièmement, le paiement s’effectue par l’entreprise en France, celle-ci étant ensuite remboursée par l’État et l’Unédic (à hauteur de 7,23€/h pour les entreprises de plus de 250 salariés et 7,74€/h pour les plus petites ; à noter que l’indemnité est intégralement prise en charge depuis le 17/03). En Allemagne, l’allocation est intégralement prise en charge par les pouvoirs publics, allégeant ainsi les contraintes financières des entreprises. Cette différence est susceptible d’expliquer le recours plus soutenu à l’activité partielle en Allemagne en 2009. Troisièmement, le niveau des difficultés est laissé à l’appréciation de l’administration en France, alors que le dispositif allemand comprend des seuils de déclenchement du recours à l’activité partielle en termes de proportion d’effectif et/ou d’heures concernées, ce qui permet de mieux cibler les entreprises en difficultés. L’entreprise doit également avoir épuisé toutes les autres options pouvant l’aider à éviter le recours à l’activité partielle. Ces conditions ont été partiellement relâchées depuis la crise du Covid-19.

 

Un dispositif plébiscité dans une Europe confinée

En Europe, l’activité partielle constitue une mesure phare de lutte contre la crise liée au Covid-19. De nombreux pays européens ont engagé des réformes de ce dispositif ou l’ont créé (Grèce, Suède). Le dispositif est ainsi généralement plus généreux à l’égard des salariés et/ou des entreprises (Autriche, Belgique, Irlande, Pays-Bas, Royaume-Uni), la procédure est simplifiée (Autriche, Espagne, Finlande) ou l’assiette a été élargie pour bénéficier à certaines catégories de salariés exclues jusque-là (Espagne).

En vue d’encourager ces initiatives, la Commission Européenne a d’ailleurs annoncé le 2 avril 2020 l’instauration d’un mécanisme d’assistance financière destiné à protéger les emplois menacés par la pandémie. Il serait doté d’une enveloppe de 100 Md€ octroyée sous forme de prêts à des conditions avantageuses aux États membres pour encourager la création ou l’extension de dispositifs nationaux tels que l’activité partielle.

Cependant, s’il permet la sauvegarde de l’emploi, le dispositif d’activité partielle peut également être assorti d’effets pervers, notamment s’il est utilisé de manière prolongée en dehors de périodes de crise. Certaines entreprises n’ayant pas de difficultés peuvent être tentées d’y recourir pour des raisons de profitabilité, grevant les finances publiques pour un effet négatif sur les heures travaillées sans gain pour l’emploi (effet d’aubaine). D’autres, en difficultés structurelles, seraient tentées d’y recourir et ainsi de retarder voire d’empêcher la réallocation de leur main-d’œuvre vers des secteurs d’activité plus productifs. Ces effets négatifs entrainent une perte de production agrégée par rapport à l’optimum social (Cahuc et Nevoux, 2018 ; Cooper et al., 2017). Cependant, ces effets restent relativement faibles au regard des bénéfices de l’activité partielle en temps de crise.

 

Article publié le 20/04/2020 sur le site Bloc-notes Eco de la Banque de France.