Lorsque j’ai pris mes fonctions de Président de l’Autorité des Normes Comptables, en mars 2015, j’ai constaté à quel point cette jeune institution – mise en place par l’ordonnance de janvier 2009 avec une activité effective à partir de 2010 – était robuste.

Le Collège avait été nommé en janvier 2014 ; il a dû faire face d’emblée à une période douloureuse et difficile puisqu’il y a eu la maladie, le décès prématuré de Jérôme Haas, premier président de l’ANC, et la période de sélection de son successeur, qui ont conduit cette institution à fonctionner pendant près de quinze mois dans des conditions particulières.

L’organisation a continué de fonctionner et est restée conforme à ce que j’avais anticipé de sa vocation première – que j’avais décrite lors de mon audition parlementaire –, à savoir être le centre nerveux, la plateforme où doivent converger les compétences comptables de la place1.

Le Collège a donc continué son travail pendant cette période intérimaire ; membres du Collège, présidents, vice-présidents et membres des Commissions, présidents et membres des groupes de travail – qui constituent le premier vecteur technique de l’ANC –, collaborateurs de l’ANC ont assumé la période avec talent. Au total, je parle de la mobilisation de plus de 200 experts au service de la normalisation comptable. C’est au cours de cette période qu’est sorti le recueil des normes comptables pour les entreprises industrielles et commerciales – fruit d’un gros travail de codification « à droit constant », qui est la base de nos actions à venir.

J’ai donc trouvé normal que, dès ma prise de fonction, il y ait une réflexion de fond sur la stratégie et les priorités que nous voulions mener. Il m’a paru naturel de mener à bien un certain nombre de travaux initiés par mon prédécesseur, mais également d’entamer un certain nombre de chantiers qui, par ailleurs, étaient perçus par tout le monde comme devant être abordés à un moment ou à un autre. Je voudrai ici évoquer, mission par mission, tous les sujets en cours à mon arrivée qui ont progressé depuis, tout en présentant pas à pas le projet que nous sommes en train de mettre au point pour cette belle institution qu’est l’ANC.

La mission de l’ANC est triple : contribuer à la normalisation européenne et internationale ; faire évoluer, au service de l’économie nationale, la normalisation française ; et stimuler la réflexion et la recherche comptables – ce qui sous-tend d’être le plus en amont possible sur un certain nombre de questions permettant de répondre à nos deux premières missions.

D’une façon générale, je suis convaincu que la comptabilité est au service de l’économie et de la société ; elle peut l’être plus ou moins efficacement, mais je suis intimement persuadé que bien compter et rendre compte de façon objective et transparente favorisent le développement économique et le développement tout court.

C’est la base d’une économie et d’une société modernes. Que fait-on des ressources et comment en améliore-t-on l’efficacité ? De quelle manière organise-t-on le lien entre les différents contributeurs de l’entreprise ? Comment faire en sorte que l’ensemble soit accepté par tous ? Il est primordial d’échanger sur ces questions et sur la manière d’y répondre le mieux possible. L’analyse des chiffres n’en sera que meilleure.

Les Normes Internationales

L’Europe a adopté en 2002, pour les comptes consolidés des sociétés faisant appel à l’épargne sur un marché réglementé, les IFRS, normes internationales élaborées par l’IASB. Pour ces groupes, les normes IFRS, appliquées à compter de 2005, ont permis à l’Europe de parler un langage comptable commun qui faisait défaut jusque-là. Cela n’a pas toujours été facile, mais l’on peut partager le bilan relativement positif que la Commission Européenne a fait récemment de 10 ans d’application.

Cela étant, il faut aussi être conscient que l’Europe a délégué une partie importante de sa souveraineté comptable à un organisme technique international, et ce même si cela ne concerne que certaines sociétés et si l’applicabilité des normes est subordonnée à leur homologation par les institutions européennes.

La contribution de l’ANC à ce niveau international essentiel implique « d’interagir » en permanence avec tous les acteurs. Européen d’abord avec l’EFRAG2 ; international ensuite avec l’International Accounting Standards Board ; nationaux également par les relations bilatérales que l’ANC entretient avec ses homologues européens (ASCG pour l’Allemagne, OIC pour l’Italie, FRC pour le Royaume-Uni…), américain (FASB), japonais (ASBJ), chinois et canadiens ; multilatéral enfin avec l’IFASS (International Forum of Accouting Standard Setters) et le WSS (World Standard Setters).

Il faut avoir à l’esprit que la convergence vers un seul référentiel comptable, objectif qui a pu être poursuivi –non sans un certain idéalisme– pendant la quinzaine d’années écoulée ne se produira pas, au moins à moyen terme, et qu’au moins deux systèmes jouent un rôle clé à ce jour : les US GAAP et les IFRS.

L’échelon européen est essentiel. L’EFRAG a été créé en 2001 afin de conseiller la Commission européenne dans le processus d’homologation des IFRS. L’EFRAG vient d’être réformée à la suite du Rapport Maystadt afin d’accroître sa liaison avec les normalisations nationales, son champ d’intervention et, d’une façon générale, sa légitimité.

Le board de l’EFRAG se réunit régulièrement en présence de représentants de la Commission européenne. Le TEG3 est, quant à lui, constitué d’experts techniques prenant des décisions indépendamment du board. L’EFRAG assiste aux réunions de l’ASAF4 organisées par l’IASB.

La réforme de l’EFRAG, initiée en 2014 pour être appliquée en 2015, a donnée lieu à un rapport –dit « rapport Maystadt »– préconisant l’unicité et la convergence de ses avis pour accroître sa légitimité et sa représentativité auprès de l’IASB.

Membre du board de l’EFRAG, en tant que président de l’ANC, j’observe que l’EFRAG sort effectivement renforcée de cette réforme mise en oeuvre fin 2014.

  • D’abord grâce à la création d’une gouvernance à deux niveaux. D’une part, le TEG – niveau technique, qui pré-existait et qui demeure – et, d’autre part, le board – nouvel élément de la gouvernance – qui a vocation à combiner aspect technique et intérêt général européen, ce qui permet d’enrichir le débat en liaison avec les attentes de l’Union Européenne.
  • Ensuite grâce à l’arrivée au board, et au TEG, ès qualité, des normalisateurs européens tels que l’ANC et ses équivalents allemand, anglais et italien –tous membres de droit– et de 4 autres normalisateurs choisis parmi les autres pays de l’Union. Cela permet incontestablement d’unifier les positions exprimées.
  • Enfin grâce aux modalités de nomination du président du board. Celui-ci est sélectionné par la Commission européenne, entendu par le Parlement avant que sa nomination soit ratifiée par l’AG de l’EFRAG. Cette nomination devrait intervenir d’ici l’été.

Donner une orientation politique à cette organisation, entretenir des relations avec les différentes parties prenantes et assumer la liaison avec les institutions européennes et internationales : voilà les missions de l’EFRAG, qui lui permettent de se situer au bon niveau de l’intérêt général, mais aussi de prendre en compte les préoccupations de chacun pour, in fine, fonder les éléments d’un consensus européen. ESMA5, EBA (European Banking Authority), EIOPA6, BCE et Commission européenne participent aux travaux de l’EFRAG en qualité d’observateurs et ont droit de parole pleine et entière.

La France contribue de façon significative aux travaux de l’EFRAG. Outre moi-même, deux professionnels français participent au board : Laurence Rivat pour la FEE (Fédération Européenne des Experts Comptables) et Patrice Marteau, président d’Actéo, pour Business Europe. Au TEG deux français sont présents : Christian Chiarasini et Cédric Tonnerre (ANC). Gérard Gil, membre du Collège de l’ANC, participait également pour la Fédération Bancaire Européenne et a cédé sa place récemment dans le cadre d’une rotation.

Au fond, l’EFRAG comme l’ANC ont beaucoup travaillé, et continuent à travailler sur certains points en suspens, sur IFRS 9 (instruments financiers), IFRS 15 (reconnaissance du revenu) et sur le cadre conceptuel. La mobilisation porte aujourd’hui sur IFRS 16 (contrats de location) et sur IFRS 4 Phase 2 (contrats d’assurance).

Au-delà de l’EFRAG, l’ANC a pour politique de développer des relations ouvertes avec l’IASB ; ces relations se font en confiance même en cas de divergences, inévitables. Mes relations avec cet organisme sont directes et franches –ce qui permet de vraies discussions. Les positions de l’ANC doivent être connues, tout comme nous devons connaitre les positions de l’IASB. C’est ainsi que nous pourrons discuter de manière constructive.

L’ANC a d’ailleurs rejoint l’ASAF en juillet dernier. Cela représente deux jours de discussions 4 fois par an sur tous les sujets.

Les américains, les chinois, les japonais, les allemands, les italiens, les coréens, les canadiens, les sud-africains, les australiens sont représentés au sein de cet organe consultatif de l’IASB.

Enfin, au cours de l’année écoulée, nous avons relancé les relations bilatérales avec lorsqu’ils sont réalisés alors que les pertes le sont quand elles sont probables – position de l’Europe ?

  • La juste valeur versus le coût historique : quelles sont les activités relevant de l’un ou de l’autre ? Comment les frontières sont-elles gérées ?
  • La substance (économique notamment) par rapport à la forme (juridique notamment).
  • La mesure de la performance : est-elle la différence entre deux bilans ou est-elle issue du compte de résultat ? Mes confrères européens étaient présents, de même que des représentants de l’IASB, de la Commission européenne et du Parlement européen.

A l’issue des Etats Généraux, nous avons envoyé notre réponse à l’IASB sur son projet de cadre conceptuel.

Nous préparons d’ores et déjà les Etats Généraux 2016 qui auront lieu le 18 novembre sur le thème de la performance. Par ailleurs, l’ANC soutient intellectuellement et financièrement des projets de recherche à moyen terme.

Faire avancer les choses de façon progressive. Promouvoir un dispositif moderne, fondé sur des règles claires, adapté à l’évolution de l’économie et des transactions, aux mentalités, ouvert et incitatif à la création de richesse, en symbiose avec la digitalisation. Favoriser le développement économique grâce à une bonne mesure, une bonne communication et une bonne incitation. Travailler sur le temps long pour une normalisation conforme à l’intérêt général.

Tels sont les objectifs sur lesquels l’ANC et la communauté comptable française peuvent. et doivent, à mes yeux, se mobiliser.

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  1. Nous renvoyons le lecteur au numéro finance&gestion n° 328 d’avril 2015, pages 20 et suivantes.
  2. EFRAG : European Financial Reporting Advisory Group.
  3. TEG : Technical Experts Group.
  4. ASAF : Accounting standards advisory forum.
  5. ESMA : European Securities and Markets Authority, l’Autorité européenne des marchés financiers.
  6. EIOP : European Insurance and Occupational Pensions Authority, Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles.

Article extrait du finance&gestion N°339, écrit par Patrick De Cambourg, Président de l’Autorité des Normes Comptables.