Un regard historique long permet de garder une tête plus froide, du moins s’agissant du refinancement de l’État. Dans un impressionnant travail de compilation historique, quatre historiens et économistes ont présenté récemment une étude rapportant ce qu’il en est des bilans des banques centrales dans dix-sept pays, ceci depuis le début du… XVIIe siècle. Il n’y avait bien sûr pas de banque centrale dans ces époques éloignées, la première historiquement ayant été la Bank of England en 1694, mais beaucoup d’institutions jouaient alors de facto une partie du rôle qu’on attend d’une banque centrale : compensation des paiements, financement du Trésor, réescompte d’autres banques… Cela comprend par exemple la Banque publique de Naples entre 1587 et 1805, la Banque de Hambourg entre 1665 et 1770, etc., ceci avant les banques centrales modernes, toutes désormais de propriété publique. Pour rappel, la Banque de France n’a été nationalisée qu’en 1945 et la Banque d’Angleterre en 1946.

Le premier graphique répond à la question : quelle est la proportion de la dette publique qui est détenue par le système des banques centrales ? Les traits rouges en plein et en pointillés donnent la moyenne et la médiane des banques des 17 pays, la variabilité d’un pays à l’autre étant dépeinte en rose. On voit d’abord les deux immenses bosses que le refinancement de la Guerre de Sept ans et celui des guerres napoléoniennes ont occasionné. Cela nanifie les évolutions récentes : la guerre de 1939-46 et la guerre du Vietnam (la Guerre de 14 n’apparait qu’à peine, sachant, fait extraordinaire, qu’elle a été financée en grande partie par les marchés privés). Le relèvement de la courbe depuis 2008 est certes marqué, sachant notamment qu’il ne s’agit pas d’un épisode de guerre.

 

Le second graphique porte sur l’importance du bilan des banques centrales, ici représenté en pourcentage du PIB. On remarque la montée régulière du ratio au cours des XVIe et XVIIe siècles et, curieusement, une chute à partir des années 1770. On ne voit guère l’effet des guerres napoléoniennes : certes, les banques centrales ont largement financé les gouvernements, mais se sont abstenues, en contrepartie, de refinancer l’économie. Ce régime de politique monétaire a été conservé pendant une grande partie du XIXe siècle avant le changement entrepris par la Banque d’Angleterre à compter de 1880. Pour les tenants du régime de l’étalon-or, on ne voit pas vraiment de stabilité du ratio, alors que selon eux, la monnaie était censée suivre gentiment le rythme de l’économie.

La Seconde Guerre mondiale a vu jaillir le ratio, les banques centrales finançant à la fois le Trésor public et l’économie. Mais c’est sur cette courbe qu’on voit vraiment ce que représente l’expansion monétaire qui caractérise la période ouverte en 2008. Les banques centrales ont massivement pris en escompte ou racheté des actifs détenus par les banques, en contrepartie de quoi elles ont accumulé d’immenses réserves à leurs passifs.