Le bonheur au travail : la fin des contrôleurs de gestion ?
Article déjà publié sur Vox-Fi le 10 mars 2015.
« Les entreprises du bonheur se sont affranchies des gens payés pour contrôler les autres ». C’est l’idée de départ dudocumentaire réalisé par Martin Meissonnier et diffusé sur Arte le 24 Février dernier. Est-ce à dire que pour avoir des entreprises heureuses, le contrôleur de gestion doit disparaître ?
L’idée, développée tout au long du documentaire, peut prêter à sourire. Chacun sait que le rôle du contrôleur de gestion n’est pas de contrôler, mais de mettre sous contrôle. Tout est dans la nuance… Toutefois, au-delà du premier réflexe, on peut s’interroger sur les modalités du contrôle de gestion et le bonheur en entreprise.
Pourquoi être heureux en entreprise ?
Le mot « travail » ne trouve-t-il pas sa source dans la torture ? Malgré le succès de « cinquante nuances de Grey », qui peut laisser imaginer que les adeptes du masochisme ne sont pas si minoritaires que ça, la torture est tout de même bien incompatible avec toute forme de bonheur…
Le temps où l’employé allait travailler parce que l’organisation de la société l’imposait est révolu. Les générations X, Y et Z ont au moins un point en commun : elles ne sont pas un rouage passif de la société, mais la société est pour elles un outil dont elles se servent pour satisfaire leurs envies.
Leur principale envie est d’ailleurs d’être heureux, non seulement pendant les cinq semaines de congés payés réglementaires, mais aussi à chaque instant de leur vie personnelle et professionnelle, de plus en plus imbriquées.
Or, comme l’écrit Pierre Yves Gomez dans « Le travail invisible » : « Je ne connais personne qui se lève chaque matin avec la joie d’avoir à accroître la marge opérationnelle de son entreprise et à maximiser le rendement de ses fonds propres ». Ce qui signifie qu’améliorer la rentabilité des capitaux propres n’est pas une source de bonheur pour les collaborateurs, mais que le bonheur des collaborateurs doit être une source d’amélioration de la rentabilité.
Filmer des gens heureux n’est pas simple…
Si l’on en croit les difficultés annoncées par le réalisateur à filmer le bonheur en entreprise, ce dernier reste généralement tabou. Le bonheur est également tabou dans bien d’autres situations, dès l’enseignement, car souvent associé à la paresse ou au laxisme. Il n’est alors pas étonnant que les collaborateurs n’osent pas l’afficher ouvertement, et montrent des attitudes malheureuses, y compris lorsque tout va bien.
Or, le bonheur comme le malheur sont contagieux. Entre collègues bien sûr, mais également entre les collaborateurs et les clients : c’est la symétrie des attentions. Il est donc nécessaire, pour que vos clients aient envie de vous faire confiance, non seulement de faire en sorte que vos collaborateurs soient heureux, mais également qu’ils le montrent.
En ces temps de marasme économique, il s’avère compliqué pour le contrôleur de gestion de transmettre une « positive attitude » lorsqu’il annonce que les objectifs ne sont pas atteints, ou que les budgets sont réduits. C’est pourtant ce qui est attendu de lui par sa direction.
… les rendre heureux encore moins !
Le contrôleur de gestion qui culpabilise le commercial sur ses mauvais résultats ne fera que générer une désaffection de celui-ci vis-à-vis de l’entreprise. S’il laisse penser au responsable d’un budget que les coupes budgétaires sont le fruit d’une perte de confiance de la part de la direction générale, il générera de la défiance au sein de l’organisation.
Pour éviter la spirale infernale, il se doit d’objectiver les situations :
Lors de l’analyse de contre-performances commerciales, son apport sera d’aider le vendeur à comprendre, et à expliquer, l’origine factuelle de celles –ci. En neutralisant les éléments subjectifs que le commercial associe inévitablement aux pertes de clients, il l’amènera à prendre du recul vis-à-vis de la situation, puis à l’analyser objectivement, pour enfin envisager et construire un plan d’actions.
Lors de la négociation – voire de l’imposition – de budgets en recul, le directeur concerné réagira souvent en premier lieu sur le plan affectif. Il sera nécessaire au contrôleur de gestion, pour faire adhérer son interlocuteur, de lui démontrer l’intérêt global de la réduction des dépenses pour l’organisation. De même que pour le commercial, c’est en s’appuyant sur les éléments rationnels et en supprimant les biais émotionnels que le contrôleur de gestion pourra amener le directeur à envisager l’avenir sereinement, ceci malgré un budget en baisse.
Culture du bonheur : objectivité et prise en compte des émotions
Pour rendre les gens plus heureux, ou moins malheureux, il faudrait donc se cantonner aux faits, rien que les faits ? Pas tout à fait, en fait…
Notre interlocuteur a besoin que l’on reconnaisse ses sentiments et qu’on les respecte. Il est normal que le directeur qui perd 10 ou 20% de son budget alors qu’il n’a pas démérité en soit révolté. Il est normal que le commercial qui s’est efforcé de développer les affaires soit amer de n’avoir pas atteint les objectifs, fixés 18 mois auparavant, dans un contexte économique différent.
Le contrôleur de gestion doit objectiver les débats, tout en respectant les émotions de ses interlocuteurs. Dans un premier temps, rassurer son interlocuteur quant à la reconnaissance de ses émotions génèrera chez lui un sentiment d’appartenance, et donc de satisfaction. Ensuite, l’instauration d’un dialogue objectif sur la situation permettra de positiver malgré les difficultés, elle renforcera donc ce sentiment de satisfaction.
Or, le bonheur est un sentiment durable de satisfaction. Par son action et son comportement, le contrôleur de gestion pourra donc soit détruire le bonheur en entreprise, soit au contraire favoriser son déploiement. Son impact sera directement lié à sa capacité à gérer l’affect de ses interlocuteurs et à se détacher des chiffres, sans les oublier.