La crise oblige à tourner notre attention vers les gros bonus des banques d’investissement. Grâce à eux, banquiers d’affaires et traders n’ont rien à envier aux grands du sport ou du spectacle. Le débat porte sur la course vers le risque que peuvent entraîner ces bonus ; ou bien sur leurs conséquences sociales ou éthiques, surtout quand ils sont payés, comme cela a été le cas chez Merrill Lynch, de la poche des contribuables. Mais à ce jour, il s’intéresse peu aux causes du phénomène, lequel semble ne toucher à ce degré que le secteur de la finance.

Comment, dans des conditions de marché normales et pour un secteur incontestablement concurrentiel, de tels niveaux de rémunération peuvent-ils être atteints ? Et comment les réguler, comme y songent de plus en plus les autorités, si on en ignore la cause ?

Une première explication pointe le niveau très élevé de la productivité et des talents dans la banque. C’est vrai, mais quantité de secteurs sont à forte productivité, exigent des talents élevés et ne commandent pourtant pas de telles sommes. Le salaire d’un banquier était au niveau de celui d’un ingénieur dans l’aéronautique ou la pharmacie il y a 40 ans ; il est 5 à 10 fois plus élevé aujourd’hui.

On donne aussi comme explication une capacité hors du commun de l’employé à capter la valeur ajoutée, ceci au détriment des actionnaires (ce que n’arrive pas à faire, par exemple, celui qui découvre une molécule dans un laboratoire pharmaceutique). C’est également vrai, mais on oublie par là-même une constatation de bon sens, qui donne la troisième explication : si les banques sont capables de payer des bonus élevés, c’est bien parce qu’elles arrivent à les facturer aux entreprises et aux particuliers.

Mais pourquoi à nouveau la concurrence extrêmement vive dans ces métiers ne fait-elle pas baisser cette rente des banquiers jusqu’à un niveau normal de rémunération ?

Première raison, le coût du service est souvent facturé en pourcentage d’un montant de transaction, ce qui le rend assez indolore pour le client.

Deuxième raison, il est masqué dans le prix : vous achetez un produit de couverture un peu complexe sur le dollar et vous le rentrez à son coût dans le bilan, en oubliant la marge de la banque, censée facturer le service rendu.

La troisième raison tient à la nature très particulière de la concurrence autour des clients, qui pourrait faciliter indirectement la collusion. La logique est celle-ci : les rémunérations forment le gros des coûts de production d’une banque d’investissement et s’établissent au niveau courant du marché. Une autre banque ne viendrait pas déroger à cette convention, commode puisqu’elle lui permet de savoir à l’avance les coûts de son concurrent et donc de se donner une cible de prix. Les tarifs prennent alors un caractère quasi réglementé (4 % pour une mise en bourse, 2 % pour une opération M&A selon la taille, etc.). La concurrence très vive joue ainsi secondairement sur les prix, et principalement sur la qualité de la prestation commerciale pour obtenir le mandat, ce qui charge les coûts et donc à nouveau les tarifs. Ces conventions de tarifs rendent au total très faibles les marges de négociation pour l’entreprise cliente. Un mécanisme proche existe pour les agences immobilières, très concurrencées et aux barrières à l’entrée inexistantes : l’immobilier avait doublé en dix ans ; pourtant, les commissions sont restées au niveau de 5 %.

Face à des vendeurs indirectement coalisés ou dont les prix sont indolores ou incompréhensibles, les entreprises restent un peu démunies. Elles peuvent souhaiter une régulation en amont chez les banques, mais d’autres mesures sont possibles et à chercher, comme souvent, du côté de la bonne vieille transparence. Certains directeurs financiers ont renâclé, par exemple, devant l’obligation faite par les IFRS de mettre en dépenses plutôt qu’en charges amortissables les diverses commissions financières. La DFCG trouvait pourtant qu‘il s’agissait là d’une bonne idée : pour être en mesure de faire pression sur les prix, il faut « sentir la douloureuse » et ne pas la cacher dans les replis du bilan.

Le client, ou le régulateur pour lui, devrait exiger cette transparence sur tous les produits financiers. Il faut considérer comme « service » et donc comme coût, toute facturation d’un produit financier au-delà de sa valeur de marché, tel qu’il apparaît au demeurant dans les livres de la banque. Une meilleure concurrence, et peut-être des bonus assagis, commencent par là.

Contribution originale de la DFCG pour    Option Finance (02/09).