Avec la collaboration de Simon Gueguen, Maître de Conférences à l’Université de Cergy-Pontoise

 

Les asymétries d’information inhérentes au financement des entreprises sont particulièrement fortes dans le cas des start-ups. Ces dernières sont souvent caractérisées par des perspectives difficiles à évaluer et une faible proportion d’actifs corporels. Dans ces conditions, quels sont les critères utilisés par les investisseurs pour choisir les start-ups à financer ? L’article que nous présentons ce mois[1] apporte de nouveaux éléments de réponse. Les caractéristiques des start-ups à partir desquelles les investisseurs prennent leurs décisions peuvent être regroupées en trois grands critères :

  • la qualité des fondateurs de la start-up (le capital humain de départ), mesurée par leur expérience passée et leur niveau d’études ;
  • la « traction » de la start-up, c’est-à-dire sa base de clientèle (mesurée en dollars de chiffre d’affaires ou en nombre de clients) ;
  • l’identité des premiers investisseurs (ceux qui ont investi dans la start-up avant la nouvelle levée de fonds).

La présence d’une équipe de fondateurs de qualité est importante, en particulier dans les premières étapes du développement de l’entreprise, lorsqu’il s’agit de se positionner stratégiquement, d’attirer de nouveaux clients et de nouveaux investisseurs. La traction est un indicateur du potentiel de l’idée de départ. Enfin, le fait que des investisseurs reconnus aient déjà choisi d’investir dans la startup peut rassurer de nouveaux investisseurs. Mais peut-on classer ces trois critères par ordre d’importance ?

Les études sur le sujet font face à une difficulté : les trois critères ne sont pas indépendants (par exemple, des fondateurs expérimentés ont peut-être plus de chance de lancer une start-up qui attire des clients). Il est donc difficile d’évaluer leur importance relative à partir de données réelles. Les auteurs de l’article utilisent une approche originale : l’expérience aléatoire. Leur terrain d’étude est la plateforme internet américaine AngelList[2], qui organise la rencontre entre start-ups et investisseurs. Le principe est le suivant : des emails concernant des startups sont envoyés à des investisseurs spécifiques lorsque ces derniers ont indiqué un intérêt pour le secteur ou la localisation de la startup. Dans le premier message, des informations ne sont fournies que lorsque le critère dépasse un certain seuil ; par exemple, la qualité des fondateurs est indiquée lorsqu’ils sortent des meilleures universités américaines (le montant que la start-up souhaite lever est lui toujours indiqué). Si l’investisseur veut en savoir plus, il clique sur un bouton « view » présent avec le message.

Pour l’étude, les auteurs ont retenu 21 start-ups (réelles) et ont eux-mêmes envoyé des émails aux investisseurs, en tirant au sort les informations divulguées (fondateurs, traction, premiers investisseurs). Au total, ce sont 16 981 émails qui ont été envoyés, au cours de l’été 2013. Lorsque les émails ont été ouverts (environ la moitié), les investisseurs ont cliqué sur view dans 16,5 % des cas. Les résultats du test économétrique sont clairs : la présence d’informations sur les fondateurs augmente le nombre de views de 2,2 points de pourcentage, alors que les deux autres critères n’ont pas d’effet statistiquement significatif. C’est donc le capital humain qui semble le critère de choix principal pour les investisseurs. Par ailleurs, les auteurs remarquent que les investisseurs les plus performants et les plus expérimentés réagissent fortement aux informations sur les fondateurs. Ils en déduisent qu’il s’agit probablement d’un bon critère de sélection, même si ce dernier point n’est pas formellement prouvé.

Cette étude montre par une approche originale l’importance du capital humain dans les premières phases de développement d’une start-up. Il s’agit d’un critère de choix essentiel pour les investisseurs. Insistons sur le fait que ce travail porte sur les jeunes start-ups. Lorsque l’entreprise se développe, le capital non-humain devient essentiel pour les nouveaux investisseurs qui veulent obtenir un certain contrôle ; il est alors souhaitable que les perspectives à long terme ne dépendent trop fortement de la présence des fondateurs.

 

[1] S.BERNSTEIN, A.KORTEWEG et K.LAWS (2017), « Attracting early stage investors: evidence from a randomized field experiment », Journal of Finance, vol.72-2, pages 509 à 538

[2] Fondée en 2010, cette plateforme a permis notamment à la société Uber de lever des fonds

 

Cet article a été initialement publié dans la Lettre Vernimmen.net n°153 (novembre 2017). Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.

Cet article a également été publié sur Vox-Fi le 28 novembre 2017.