Voici l’évolution depuis 2015 du nombre des morts par overdose aux États-Unis. On atteint désormais les 100.000 décès par an et la dynamique qu’on y voit depuis sept ans laisse présager des chiffres plus hauts dans le futur. C’est un sujet majeur de santé publique et un immense drame humain. Vox-Fi se permet d’en explorer le volet marketing.

 

Il est utile de rappeler les étapes de cette spirale sans fin :

– Il y a 20 ans environ, quelques labos pharmaceutiques ont introduit une classe d’analgésiques ultra-puissants, mais terriblement addictifs. Le plus connu d’entre eux est l’OxyContin du laboratoire Purdue Pharma.

– Ces labos ont fait un marketing forcené pour imposer ces analgésiques comme solution palliative devant les problèmes de douleur ou de mal-être, plutôt que une thérapie directe, plus coûteuse et souvent moins accessible pour des patients aux revenus modestes. Les assureurs, dans leurs contrats les moins coûteux, refusaient de couvrir au-delà du coût de l’analgésique, ce qui ajoute au biais thérapeutique. Ainsi, les médecins les ont prescrits sans guère de retenue, participant même parfois au trafic de tels médicaments.

– Les autorités sanitaires, le fameux CNC mobilisé aujourd’hui sur les problèmes de Covid, ne se sont réveillé que 10 ans après. Alerte a été donné aux médecins, et, entre autres mesures, une suite judiciaire a été entreprise contre Purdue Pharma, qui avait notoirement et volontairement mal informé les médecins sur les effets nocifs de son médicament. Vox-Fi a déjà consacré un billet sur le rôle qu’a joué McKinsey dans la mise sur pied du plan marketing de l’OxyContin.

– Mais l’alerte est venue trop tard. Quantités d’Américains étaient déjà accoutumés à de telles drogues, et parfois simplement pour se sentir bien ou pour traiter un mal-être moral, ce qui est une autre forme de douleur.

– Devant la restriction dans la distribution de l’analgésique par voie médicale, les mafias se sont emparées de ce marché déjà créé en y substituant l’héroïne.

– Mais elles ont progressivement réalisé que l’héroïne était trop complexe à distribuer quand des drogues de synthèse, dont le Fentanyl, sont apparues au début des années 2010. Plus puissantes encore au gramme administré, et donc plus rentables au gramme distribué. La série Ozark sur Netflix introduit ce thème dans sa saison 4.

– D’un point de vue commercial, c’est le système médical en place qui a créé sinon le produit, du moins son usage. Le président Biden a proposé un plan de prévention drastique pour lutter contre la diffusion de ces drogues, pour un budget de 125 Md$ sur 10 ans, budget refusé en l’état actuel par le Congrès.

– Pourtant, le gouvernement étatsunien vient de sortir un rapport indiquant que le coût de cette épidémie va coûter un trillion (mille millions) de dollars par an à l’économie tant en dépense de santé, productivité réduite et autres dépenses.

En Europe, les choses ont été mieux surveillées. Mais l’héroïne et le Fentanyl sont là. L’énorme différence est que les mafias doivent créer le marché de zéro, ce que tout commerçant d’un nouveau produit sait très difficile et coûteux à faire. Il n’est pas trop tard pour que de fortes mesures préventives endiguent la diffusion de ces produits.

Le Fentanyl est en tout cas en train d’évincer l’héroïne et donc mettre à mal les producteurs traditionnels de « poppies ». Madagascar, le très grand sinon unique exportateur de gousses de vanille, avait subi une crise de la sorte lorsque des chimistes avisés avaient inventé une vanille synthétique. L’Afghanistan, gros fournisseur de poppies, va devoir digérer, en plus de ses problèmes du moment, le choc Fentanyl. Le voici solidaire des autorités américaines.