Le code-barre et le conteneur, deux révolutions majeures dans le commerce
L’innovation ne résulte pas toujours, loin de là, d’une haute technologie. Certaines de celles qui ont déclenché un choc majeur de productivité dans le passé sont même très low tech. Pensons aux toilettes à l’étage, aux feux rouges de circulation, aux lunettes de presbyte, tout dernièrement aux sacs urbains en plastique renforcé pour transporter du sable ou du gravier, ou, il y a très longtemps, la fourchette qu’on met dans le tiroir de la cuisine.
La distribution et le commerce ont certainement connu au tournant des années 70-80 deux des innovations les plus bouleversantes, équivalentes en importance à l’introduction de la marine à vapeur, qui a réduit d’un facteur 10 le coût du transport maritime. Il s’agit du conteneur et du code-barre.
C’est en avril 1956 qu’un premier bateau a inauguré un trajet maritime, de Houston à Newark, avec à son bord 58 de ces boîtes qu’on appelle conteneurs. L’innovation, due au génial Malcom McLean, semblait simple ; elle était extraordinairement complexe de par l’organisation qu’elle allait exiger : il fallait que les ports acceptent le concept et s’équipent en conséquence, que les fournisseurs acceptent de charger le conteneur, les receveurs de le décharger avec l’équipement ad-hoc, que les communautés portuaires acceptent les changements d’organisation du travail que cela implique, que les armateurs investissent dans des cargos de type nouveau, etc.
On en voit le résultat aujourd’hui : les derniers porte-conteneurs construits chargent plus de 24.000 de ces boîtes. On supprime le vrac, on commute plus aisément avec le rail et la route, on réduit quasiment à zéro les dégradations ou le pillage, on suit en temps réel le cheminement de la marchandise, on augmente par un facteur mille la productivité portuaire. C’est désormais un ordinateur qui indique à la grue que le conteneur ABLQ 998435 doit être déchargé à 10h45 par dévers direct sur le camion référencé xxx arrivant sur le terminal A4. Lire à ce sujet le fascinant bouquin : « The Box », de Marc Levinson, Princeton University Press, 2005, une des références en matière d’économie industrielle, disponible librement sur Internet.
Le premier code-barre est apparu dans un supermarché Marsh en Ohio en 1974. Ce n’était à l’origine qu’un système interne au distributeur pour gérer ses stocks. On l’imprimait à l’entrée en entrepôt sur le produit, ce qui permettait de le suivre jusqu’à la mise en rayon. Après quelques années de tâtonnements, on en est arrivé à le connecter aux systèmes d’information de l’entreprise et ainsi le suivre jusqu’à sa sortie d’étagère lors d’une vente. Mais le gain de productivité restait encore faible.
Là encore, donner son potentiel à l’innovation représentait une masse redoutable d’obstacles à franchir : faire en sorte que le producteur ou fournisseur estampille directement chez lui le code-barre, faire que les caisses enregistreuses disposent de lecteurs, faire admettre une nomenclature acceptée par les autres distributeurs et fournisseurs (elle est universelle aujourd’hui avec l’UPC, Universal Product Code). C’est un problème de poules et d’œufs : le code-barre n’est utile que si les magasins ont des scanners pour les lire ; et les scanners ne sont utiles que si les produits arrivent avec des code-barres à scanner. Qui du fournisseur et du distributeur prendra le premier sur ses épaules le coût de l’investissement ?
Ce sont mises en place des démarches coopératives parfois, comme pour la pharmacie ; moins coopératives souvent : ce sont les grands distributeurs Kmart (en 1983) et Walmart (en 1987) qui ont imposé la chose à leurs fournisseurs. Le code-barre réduisait d’un facteur important le coût de stockage, d’inventaire et de manutention. Le fournisseur qui était forcé de s’équiper par un Walmart pouvait à son tour recommander ou imposer la solution à ses autres clients.
Mais ce dont personne ne se doutait alors, c’est de l’immense effet de cascade ainsi déclenché. En effet, à coûts logistiques moindres, le producteur pouvait multiplier le nombre des produits en catalogue ; et le distributeur le nombre des produits en référence (le SKU, pour stock keeping unit par magasin). Et l’emploi dans les magasins allait lui aussi progresser, très fortement même, en raison du déluge de nouveaux produits se bousculant vers les étagères. Un message tonifiant peut-être, face à nos angoisses récentes sur la destruction d’emploi liée à la robotisation.
L’explosion peut être datée précisément : au tournant des années 1980-82 comme le montre le graphique de la semaine, tiré d’un article écrit par Emek Basker et Timothy Simcoe dans Vox-EU du 18 janvier 2018, dont on tire une partie du contenu de ce billet. Il montre l’évolution en nombre des produits différents vendus par les supermarchés, ainsi que le SKU par magasin et l’évolution des demandes de brevets sur les produits par ce secteur d’activité.
Doit-on prévoir un nouveau choc de productivité avec l’innovation qu’est la mutation du code-barre en code QR (pour quick response) ? Il fait passer l’information stockée à 7089 caractères : ce n’est pas encore la bibliothèque du Congrès américain, mais c’est beaucoup plus qu’un tweet de M. Trump et que le présent billet qui n’en contient que 5.597. Il permet, entre autres, un lien immédiat vers un contenu en ligne et se marie parfaitement avec une autre révolution numérique, le smartphone, pour pénétrer l’ère du marketing roi. Il permettra peut-être demain à Vox-Fi d’envoyer ses billets de façon plus concise à ses chers lecteurs.
Cet article a été publié sur Vox-Fi le 21 février 2018.