Le commentaire du Vernimmen

Mediobanca : Retarder l’inévitable a toujours un coût (4 mai)
Mediobanca détient 13 % de Generali, le plus grand assureur italien et le no 3 en Europe. Cette participation représente un gros tiers de ses actifs et de ses résultats, et lui donne le contrôle de fait de Generali, ce qui contribue évidemment à son pouvoir et à son influence. Les dirigeants de Mediobanca ont très bien réussi à éviter que cet actif majeur ne se traduise dans son cours de Bourse par une décote par rapport à la somme des parties, attirant critiques et prédateurs.
Toutefois, il n’y a pas que la finance dans la vie ; il y a aussi le pouvoir. Or qui contrôle Mediobanca contrôle Generali. Les dirigeants de Mediobanca en avaient bien sûr conscience. Mais plutôt que de résoudre ce dilemme, couper ce point fort qui est aussi leur point faible, ils ont, comme trop souvent dans la nature humaine, préféré l’attentisme à l’action préemptive, pensant que la bonne tenue en Bourse de leur cours les protégeait.
Et le risque a pris la forme le 24 janvier d’une OPE de la part de celui qui fut durant plus d’une décennie l’homme malade de la banque européenne, Monte dei Paschi di Siena, MPS. Quand on apprit que MPS lançait une offre publique d’échange non amicale sur Mediobanca, nombreux avons-nous été à croire que le 1er avril et ses poissons avaient 70 jours d’avance. C’est un peu comme si on annonçait qu’Atos faisait une OPE sur Cap Gemini !
La banque de détail MPS, enfin redressée, capitalisant en Bourse 9 Md€, voulait devenir banque universelle en acquérant Mediobanca (alors 12,5 Md€ de capitalisation boursière) avec ses actifs de banque d’investissement et de gestion d’actifs, etc., et sa participation de 13 % dans Generali. Enfin MPS, disons plutôt ses deux premiers actionnaires privés, les familles Caltagirone et Del Vecchio, conteste le contrôle de Generali à Mediobanca dont ils sont aussi par ailleurs actionnaires.
Pour échapper à MPS et à ses deux gourmands actionnaires, Mediobanca vient d’annoncer une OPE sur la filiale cotée de Generali active dans la gestion privée. OPE payée en actions Generali, qui seraient ainsi quasiment tous cédées. Ce qui pourrait logiquement réduire l’attrait de Mediobanca pour les familles Caltagirone et Del Vecchio, à qui le retrait de Mediobanca de Generali ouvre une large porte pour contrôler l’assureur. D’autant plus que leur position au capital de ce dernier est mécaniquement augmentée si Generali annule ses propres actions reçues en contrepartie de la cession de sa filiale de gestion privée à Mediobanca.
En confessant qu’il songeait depuis 5 ans à cette opération, le dirigeant de Mediobanca reconnaît simplement que différer l’inévitable a toujours un coût, ici peut-être la perte de son indépendance si cette habile manœuvre échoue.
Si elle réussit, ce sera la fin symbolique du capitalisme sans capital en Italie, comme le furent en leur temps l’indépendance donnée à PAI Partners par Paribas en France, ou la cession par Deutsche Bank de ses participations dans les groupes industriels allemands.
KKR – Capital Group, des fiançailles avant un mariage ? (11 mai)
Capital Group est l’un des principaux gestionnaires mondiaux d’actifs pour compte de tiers. Basé à Los Angeles, il gère 2 800 Md$, essentiellement avec une gestion active pour le compte de dizaines de millions d’investisseurs particuliers. Il détient ainsi 16,6 % de Publicis, 10,3 % de ASML Holding ou 13,8 % de BAT.
Comme pour tous les gestionnaires actifs, la montée de la gestion passive est une menace bien réelle. Si Capital Group a multiplié par 2 ses actifs sous gestion depuis 2016, Vanguard, pionnier de la gestion passive, les a multipliés sur la même période par 3 à 10 500 Md$. Avec des frais de gestion affichés à 0,07 % de ses encours, Vanguard a des arguments commerciaux que Capital Group n’a pas.
La dette privée, c’est-à-dire non cotée, et le plus souvent plus rentable car plus risquée que les obligations cotées, est une façon de lutter contre la gestion passive en augmentant les taux de rentabilité servis aux clients. Mais ce n’est pas parce que l’on gère 555 Md$ en obligations cotées que l’on se sent à l’aise dans le domaine de la dette privée.
KKR est né dans les LBO, mais s’est de longue date diversifié dans tout type d’investissements : infrastructure, immobilier, et la dette privée (100 Md$ sur ses 600 Md$ d’actifs gérés). S’allier avec Capital Group, c’est trouver de nouvelles ressources : les particuliers innombrables que Capital Groupe sert via 200 000 conseillers financiers ou gestionnaires de patrimoine indépendants. Il est vrai qu’en 40 ans les investisseurs institutionnels ont eu le temps de se convertir aux charmes du private equity, alors que seuls 5 % des particuliers y ont accès.
Les deux ont annoncé l’an dernier une alliance pour concevoir d’abord deux nouveaux fonds lancés il y a deux semaines investis à 60 % dans des obligations cotées et à 40 % dans des prêts directs aux entreprises ou dans du financement d’actifs. L’investissement minimum est de 1 000 $. Trimestriellement, et en cas de besoin, jusqu’à 10 % du fonds pourra être racheté à la valeur liquidative, et on peut imaginer que KKR fera la liquidité corrélative sur les dettes privées détenues par ces 2 fonds. La commission de gestion annoncée pour ces 2 fonds est de 0,84 % ou de 0,89 %.
D’autre fonds mélangeant ainsi actifs cotées et actifs non cotés devraient être lancés en 2026 par les duettistes, dans le domaine des actions, et dans celui des fonds à échéance. De là, on peut imaginer qu’un jour, KKR et Capital Group en viennent à fusionner, ayant appris à travailler ensemble pour mieux trouver de nouveaux actifs à gérer et proposer aux particuliers de la classe moyenne l’accès au private equity.
Mais d’ici là ils devront prouver que leur alliance ponctuelle est efficace malgré des cultures d’entreprise différentes, d’autant que leurs concurrents ne sont pas de reste : Apollo a fait de même avec State Street et Vanguard avec Blackstone. La distinction actifs cotés/ actifs non cotés s’affaiblit, et ce n’est pas une tendance qui va elle disparaître.
Cet article a été initialement publié dans la Lettre Vernimmen.net n°226 (mai 2025). Il est repris par Vox-Fi avec une autorisation.
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