Les décrochages boursiers violents ne concernent pas que les autres. Ils sont beaucoup plus fréquents qu’on ne le pense généralement : de 2011 à 2016, 60% des entreprises cotées ont connu au moins une chute de plus de 20% sur 20 jours par rapport à l’indice CAC All tradable. Pire, leurs effets sont durables : seules 65% de ces chutes ont été effacées, et il faut 11 mois en moyenne pour y parvenir[1].

Face à ce type d’événement, les réactions habituelles d’incompréhension, d’agacement ou de dénonciation du comportement des investisseurs « court termistes » sont stériles. En effet, l’immense majorité de ces chutes résultent de problèmes liés à la trajectoire (40%) ou à l’exécution (20%) stratégiques ou bien à une situation financière anxiogène (40%). Ils expriment une perte de confiance de la part des investisseurs de conviction sur la capacité de l’entreprise à créer de la valeur à long terme.

Des réponses partielles, superficielles ou fébriles encouragent les investisseurs opportunistes à se positionner sur le titre dont la volatilité risque alors de s’accentuer. Elles découragent encore plus les investisseurs longs et retardent le rétablissement boursier. Elles incitent les activistes à s’intéresser à l’entreprise et au bout du compte fragilisent la position du management à l’approche de l’Assemblée générale.

Pour changer vraiment la donne boursière, les réponses doivent être à la mesure des problèmes qui sont à l’origine du décrochage. Les décisions doivent être prises sans précipitation sachant qu’en tout état de cause leurs effets mettront du temps à se répercuter sur la valeur boursière.

Dès lors, que peuvent faire, sans tarder, les dirigeants ? A défaut d’annoncer immédiatement un plan d’action, il faut rassurer les investisseurs sur la capacité d’exécution stratégique des organes de direction : la gouvernance de l’entreprise devient un sujet clé pour l’investisseur sceptique ou inquiet.

Certes, les sociétés parlent déjà  de leur gouvernance  aux grands investisseurs à l’occasion de la préparation des Assemblées générales. Mais les discussions ne portent  que sur le contenu des résolutions et non sur la qualité du processus décisionnel du conseil d’administration. En outre, les interlocuteurs sont des spécialistes du vote en AG et non les gérants de fonds qui sont à l’origine de la chute.

Les modalités et le contenu de cet engagement doivent être revus pour en faire un processus utile à la restauration de la confiance des marchés.

En ce qui concerne les modalités, il s’agit d’élargir le dialogue aux gérants de conviction sans renoncer bien sûr à celui qui s’organise avec les experts en gouvernance des grands fonds. Ces gérants investissent dans un nombre limité de sociétés et ils sont prêts à conserver leurs actions plusieurs années. Leur analyse est fondamentale et repose sur un dialogue avec les dirigeants. Ils représentent moins de 20% de la capitalisation boursière, mais lorsqu’ils décident d’investir, les montants engagés quotidiennement sont entre 7 à 30 fois plus importants que ceux des fonds opportunistes[2]. D’où l’intérêt d’en faire des cibles prioritaires.

Mais encore faut-il pouvoir leur dire des choses intéressantes !  Et c’est ici que le bât blesse. Les entreprises ont souvent une conception très mécanique ou institutionnelle de la gouvernance. Dans la logique du code de gouvernance de l’AFEP-Medef, celle-ci est trop souvent réduite aux structures alors que ce qui est essentiel c’est le processus décisionnel, l’animation du conseil et la philosophie qui l’inspire.

Le conseil d’administration est l’architecte de la gouvernance de la société. L’investisseur veut comprendre quelles sont les idées qui sous-tendent cette architecture. La sophistication de la «governance story » (partie intégrante de l’ «equity story »)  est un indicateur de la maturité managériale de la société. Sa présentation doit éviter le juridisme et revêtir un format opérationnel et stratégique.

A l’instar du séminaire stratégique que la plupart des conseils ont pris l’habitude d’organiser chaque année, un séminaire annuel de gouvernance mériterait d’être institué. Il serait l’occasion de réfléchir sur la façon dont le conseil travaille, idéalement sur la base d’une évaluation formelle qui irait au-delà du traditionnel questionnaire d’(auto)satisfaction. Il permettrait surtout de dessiner la gouvernance future de la société (composition du conseil, processus de décision pour éviter les biais cognitifs et exploiter l’intelligence collective, thèmes clés à traiter) compte tenu de ses enjeux stratégiques les plus critiques.

Introduire la gouvernance dans le dialogue actionnarial permet ainsi de restaurer la confiance des investisseurs qui comptent le plus dans le cours de bourse. Les études montrent qu’une communication fondée sur le long terme, la stratégie et l’exécution stratégique attire les investisseurs fondamentaux et réduit l’importance des investisseurs opportunistes. Il en résulte un meilleur alignement entre la valeur de marché et les performances de l’entreprise, une réduction de la volatilité du cours en cas de nouvelles non anticipées par les investisseurs et une résilience plus forte de la valeur dans les crises économiques.

Certaines entreprises hésitent encore à parler de gouvernance à leurs investisseurs en dehors de la période des assemblées. Le fait de n’avoir rien à dire pourrait demain être un signe pour les investisseurs qu’il y a beaucoup à redire…

 

[1] Statistiques actualisées d’une étude de KPMG. Cf Les Echos du 16 octobre 2012 « Décrochage boursier : un écueil inévitable pour les sociétés cotées» https://bit.ly/2GVR4d5.

[2] Voir le chapitre 6 de Value, The four cornerstones of corporate finance, McKinsey, 2011.

 

Cet article a été publié sur Vox-Fi le 25 mars 2019.