On ne va pas se cacher la face, mais il devient urgent de créer des passerelles entre la finance et les ressources humaines. Le contrôle de gestion, dans sa forme actuelle, semble être le chaînon manquant pour établir ce lien essentiel. Cependant, pour jouer pleinement ce rôle, il doit évoluer au-delà de sa focalisation traditionnelle sur les indicateurs financiers, notamment ceux liés à la masse salariale, et embrasser une vision plus globale du capital immatériel, dont le capital humain.

Historiquement, le contrôle de gestion s’est inspiré des principes du taylorisme, mettant l’accent sur l’efficience et la standardisation des processus de travail. Cette approche, adaptée aux contextes industriels du début du XXe siècle, repose sur l’idée que la performance d’une entreprise peut être mesurée et optimisée par une quantification rigoureuse de ses activités. Cependant, dans l’environnement dynamique et complexe des entreprises contemporaines, cette vision, me semble-t-il, a atteint ses limites.

Bien que le contrôle de gestion ait su s’adapter en intégrant des dimensions telles que le contrôle de gestion social, il demeure majoritairement centré sur des indicateurs financiers. Cette orientation peut entraver la flexibilité et la réactivité nécessaires à une époque où les cycles de vie des produits et des technologies sont de plus en plus courts. En se concentrant essentiellement sur le quantifiable, le contrôle de gestion traditionnel néglige trop souvent d’analyser les facteurs provenant du capital immatériel, pourtant déterminant dans la création de valeur.

Le capital immatériel englobe des éléments tels que le capital humain, le capital relationnel et le capital structurel. Les compétences, la culture d’entreprise, la satisfaction des clients et des employés, ou encore la capacité d’innovation, bien que plus difficiles à mesurer, sont des leviers majeurs de performance et de compétitivité. Des études récentes indiquent que jusqu’à 86 % de la valeur d’une entreprise peut être attribuée à des facteurs immatériels, soulignant ainsi l’urgence d’intégrer ces dimensions dans les modèles de gestion de la performance.

Laurent Cappelletti, professeur titulaire de la chaire de contrôle de gestion du CNAM, souligne dans son ouvrage « Le contrôle de gestion de l’immatériel : une nouvelle approche du capital humain » que la reconnaissance de l’importance du capital immatériel conduit à la conclusion que le contrôle de gestion traditionnel doit se réinventer pour englober une vision plus large et plus profonde de ce qui constitue réellement la performance d’une entreprise.

Pour intégrer efficacement le capital immatériel dans le contrôle de gestion, il est essentiel de développer des outils et des méthodologies permettant de cartographier et d’analyser le capital humain et social. Cela inclut le développement de nouveaux indicateurs de performance, tels que l’engagement des employés, la satisfaction client, ou encore la capacité d’innovation. De telles mesures fournissent une image plus complète et plus nuancée de la santé et de la vitalité de l’entreprise.

Le rôle du contrôle de gestion sera donc de relier ces analyses aux résultats économiques et financiers en innovant dans des méthodes d’évaluation multidisciplinaires. En effet, aucune méthode actuellement n’est pleinement satisfaisante pour mesurer l’impact financier des actions effectuées sur le capital immatériel au sein même des entreprises.

L’adoption d’une approche plus intégrative de la gestion de la performance n’est pas exempte de défis. La résistance au changement est souvent le premier obstacle à surmonter. Les habitudes bien ancrées, la peur de l’inconnu, et le scepticisme face aux nouvelles méthodologies peuvent freiner les initiatives de transformation.

De plus, l’immatérialité même de ce qui devra faire l’objet d’une estimation chiffrée est un obstacle à sa mesure. Il est donc important d’innover dans notre approche du contrôle de gestion traditionnel afin d’en faire le véritable animateur de la performance de l’entreprise.

La diversité et la complexité des éléments immatériels à évaluer nécessitent une approche sur mesure, capable de s’ajuster aux spécificités de chaque organisation. Cela implique souvent une phase d’expérimentation et d’ajustement, où la flexibilité, l’innovation et l’ouverture au feedback sont essentielles.

En adoptant une gestion de la performance élargie et intégrative, les entreprises pourront non seulement améliorer leur efficacité et leur adaptabilité, mais également contribuer à un environnement de travail plus épanouissant pour leurs employés. Le contrôle de gestion devra devenir le coordinateur du pilotage de la performance de l’entreprise s’il ne veut pas devenir totalement obsolescent.

L’intégration du capital immatériel dans le contrôle de gestion représente une évolution nécessaire pour répondre aux défis contemporains des entreprises. En reconnaissant la valeur des actifs immatériels et en développant des outils adaptés pour les mesurer et les gérer, le contrôle de gestion peut jouer un rôle central dans la création de valeur durable et la compétitivité des organisations.