Le FMI a bâti, en matière de flux de capitaux, une doctrine fondée exclusivement sur la liberté totale, l’absence de contrôle « aux frontières » (entrées et sorties de capitaux) et le recours à des remèdes économiques et financiers drastiques de remise en ordre des finances des pays qui faisaient appel à lui.
La crise économique, financière – et bientôt sociale – actuelle a conduit les membres du groupe des pays les plus « riches » (G20) à faire évoluer les missions du FMI. D’organisme d’assistance monétaire et technique et de prêteur en dernier ressort des pays souffrant d’un déséquilibre insoutenable de leur balance des paiements, le FMI s’est vu confier la responsabilité de superviser les systèmes financiers mondiaux, les mouvements de capitaux, et de proposer des modes de régulation appropriés1 qui l’ont conduit à infléchir fortement son corps de doctrine en matières de flux de capitaux transfrontaliers.
Depuis 2003, les entrées de capitaux dont bénéficient les pays émergents ont crû de manière tendancielle. Cette augmentation s’explique par le potentiel de croissance de ces pays par rapport aux pays développés. Les entrées de capitaux atteignent même, depuis le printemps 2009, des sommets observés en 2007-2008 lorsque l’ampleur de ces flux avait conduit plusieurs pays émergents à prendre des mesures afin de mieux les réguler.
L’arrêt brutal des flux de capitaux vers les pays émergents qui s’est étalé d’octobre 2008 à février 2009 en est une illustration frappante, mais ils sont restés volatils depuis lors. Lorsque l’aversion au risque diminue, les écarts de rendement nettement favorables aux pays émergents se traduisent par des entrées de capitaux élevées. Les marchés émergents représentent le meilleur compromis entre le rendement et le risque depuis 2002, ce qui se traduit par une augmentation structurelle des entrées de capitaux dans ces pays correspondant aux investissements directs étrangers.
Mais l’on assiste depuis 2010 à une augmentation sensible des entrées de capitaux liées à des flux interbancaires et de portefeuille, par nature plus instables que les investissements directs étrangers. Elles engendrent des dilemmes de politique économique pour les pays émergents, notamment en contraignant les banques centrales dans la conduite de leur politique monétaire2. Pour éviter de devoir dépendre des apports de capitaux étrangers dans les moments de tension, et des dures potions du FMI qui s’ensuivaient, les pays émergents ont commencé à vouloir stocker des masses de devises comme tampon de sécurité, c’est-à-dire à se mettre en situation d’exportateurs nets, et donc acheteurs nets de dollars. Ils ont été évidemment aidés par le déficit structurel de la balance courante américaine, mais qui est en quelque sorte inévitable dès lors qu’il y a une demande nette de dollars.
Cela a un aspect positif: celui de limiter les importations de capitaux par les émergents, les rendre plus autosuffisants et donc moins perméables aux mouvements erratiques et spéculatifs de capitaux. La crise de 2008 en a été l’illustration par rapport à la crise asiatique : l’assèchement des liquidités mondiales a brutalement pesé sur les systèmes bancaires des pays développés (voir De la crise financière à la récession : le rôle de transmission des banques) ; il n’a quasiment pas affecté les pays émergents.
Mais il y a aussi un mauvais côté : l’instabilité des flux de capitaux se traduit par une forte variabilité des taux de change des pays où les devises sont en flottement et un accroissement des réserves de changes dont la stérilisation est coûteuse. Pour l’instant, aucune bulle ne semble s’être matérialisée sur les bourses des principaux pays émergents, mais l’on peut penser que la politique accommodante de la Federal Reserve Bank (FED) américaine en créant d’abondantes liquidités est pour partie responsable de la hausse des valeurs mobilières de ces pays émergents, des prix des matières premières, etc.
La théorie économique recommandant, dans ces situations, de laisser systématiquement augmenter le taux de change des pays concernés jusqu’à atteindre un niveau d’équilibre, n’est plus valide en une époque où des montants considérables de capitaux peuvent être et sont transférés d’une zone à l’autre en une fraction de seconde, selon une motivation fondée au moins autant sur une analyse économique fondamentale que sur des perspectives de profits à court terme.
C’est ainsi que de nombreux pays émergents, ont décidé de prendre des mesures susceptibles de décourager les mouvements de capitaux transnationaux recherchant des profits à court terme.
Ils le font soit par l’intermédiaire de contrôles administratifs stipulant des limites sur l’investissement maximal que peuvent effectuer des non-résidents (Chine, Inde), soit par l’intermédiaire d’un dépôt obligatoire non rémunéré à la Banque centrale (Argentine). Certains pays ont mis en œuvre des mesures destinées à pénaliser de manière circonstancielle le rendement des stratégies d’arbitrage. Une autre stratégie (éventuellement complémentaire) consiste à alléger des contrôles préexistants sur les sorties de capitaux, ce qui permet de favoriser l’investissement des résidents à l’étranger et, ainsi, de contrebalancer les flux entrants (Malaisie, Thaïlande, Afrique du Sud). Enfin, des mesures prudentielles peuvent agir sur la nature et le volume des flux de capitaux. En particulier, la limitation de l’exposition maximale des résidents sur les dérivés de change, décidée en juin 2010 en Corée et en Indonésie, a pour objectif d’éviter que des cycles autoréalisateurs ne s’enclenchent entre les anticipations d’appréciation du change, les entrées de capitaux et le rendement ex post de ces investissements.
Face à la mise en place d’obstacles à la libre circulation des flux financiers, et surtout à leur caractère justifié, le FMI a révisé le contenu de sa doctrine initiale selon laquelle, les seules barrières acceptables étaient celles décidées et acceptées a priori… par le Fonds lui-même. Il considère maintenant3 que des contrôles de capitaux pourraient être pertinents lorsque les circonstances suivantes viennent à être réunies :

  • Les taux d’intérêts ne peuvent être abaissés sans créer de tensions inflationnistes ;
  • le niveau des réserves de change est adéquat et son accroissement induirait une aggravation des déséquilibres mondiaux ;
  • la monnaie du pays n’est pas sous-évaluée et son appréciation détériorerait la compétitivité de son industrie à l’exportation ;
  • la Banque centrale ne peut pas stériliser l’ensemble des liquidités liées à l’entrée de capitaux, que le coût en soit trop élevé ou que le marché soit trop étroit ;
  • les entrées de capitaux ne sont pas causées par la politique budgétaire ;
  • les entrées de capitaux sont jugées transitoires, l’efficacité des contrôles de capitaux ne se prolongeant pas au-delà du court terme.

Si la plupart de ces conditions sont réunies, l’introduction de contrôles de capitaux est une option pertinente de politique économique et, en complément, la réglementation prudentielle doit être renforcée afin de limiter l’emprunt en devises.
Certes, cette position n’émane ni du conseil d’administration, ni du directeur général du Fonds puisqu’elle est exposée dans un « IMF staff position ». Mais ce « nihil obstat », s’il est moins fort qu’un placet officiel, marque une inflexion « nette » de la philosophie du FMI depuis 2-3 ans. Cette révolution en matière de change est d’ailleurs à rapprocher de sa position sur l’inflation exprimée par son « Chief Economist » Olivier Blanchard.
Depuis 2007, les Français ont marqué le FMI. « Pourvu que cela dure » !

 

1. Trésor-Eco n° 85 Avril 2011

2. Une Banque centrale peut intervenir sur le change afin de retarder son appréciation, mais au prix de trois difficultés : (1) les interventions de change peuvent se révéler inefficaces et favoriser la spéculation sur une appréciation ultérieure de la devise ; (2) cette stratégie peut conduire à une accumulation excessive de réserves de change de la Banque centrale si celles-ci sont déjà suffisantes, ce qui est le cas pour de nombreux pays, (3) ces interventions de change, qui consistent à acheter des devises étrangères, créent mécaniquement de la monnaie. Pour éviter que cette création de monnaie n’ait à terme des effets inflationnistes, une stérilisation est nécessaire, par la vente de titres en monnaie locale par la Banque centrale ou par un accroissement du taux des réserves obligatoires imposé aux banques locales.
3. Cf. Ostry J.D., Ghosh A.R. et alii (2010). « Capital Inflows: The Role of Controls », IMF Staff Position Note SPN/10/04