On évoque souvent en France le déclin du syndicalisme, un phénomène en réalité international. Mais la France part d’un niveau très bas par rapport aux pays comparables : seuls 8% des salariés du secteur marchand y sont syndiqués.

Les causes sont assez bien identifiées. Parmi elles, le déclin des activités manufacturières, qui ont été l’origine historique, dans cette unité de lieu et de temps qu’est l’usine, de l’association syndicale ; la transformation moderne du travail, souvent plus éclaté, aux rythmes et aux statuts plus divers ; le phénomène, propre à certains pays comme la France, du « passager clandestin », qu’on peut appeler aussi la « clause du travailleur le plus favorisé », par lequel toute amélioration des conditions salariales obtenues par un syndicat bénéficie à l’ensemble des salariés, et non, comme en Allemagne ou en Scandinavie, aux seuls salariés du syndicat ; l’absence également de ce que la CFDT aimerait bien bâtir, à savoir un syndicalisme de service, sachant que les ASC (activités sociales et culture) de l’entreprise sont déjà dans les mains du très populaire comité d’entreprise (une inclusion faite par le régime de Vichy, soit dit en passant) et non dans celles des syndicats.

On doit à la DARES, qui poursuit son remarquable travail d’enquêtes sur les relations sociales en entreprise, un récent document qui s’interroge sur les facteurs plus culturels du déclin du syndicalisme, celui de la baisse de l’engagement militant au sein même des travailleurs qui sont syndiqués. Voir : « De l’adhérent au responsable syndical. Quelles évolutions dans l’engagement des salariés syndiqués », DARES, mars 2017, N° 015, une étude rédigée par Maria Teresa Pignoni.

D’où vient le graphique de cette semaine. Il montre sur la durée l’évolution du mode de pratique syndicale des salariés qui se déclarent adhérents d’un syndicat. Le phénomène d’ensemble est bien celui d’un déclin. Mais, allant dans le détail, on est frappés par le déclin assez brutal du « militantisme » syndical (ligne bleue), de ceux qui déclarent « avoir une participation régulière » à l’activité de leur syndicat, à compter en gros des années autour de 2010. Les deux décennies qui ont précédé étaient de façon surprenante assez stables, avec même un regain d’activisme au tournant des années 2000. Par contre, la part des gens qui, bien que syndiqués, déclarent n’y participer que rarement ou jamais s’est élevée depuis la mi-des années 1990, un peu comme si le noyau dur des militants était resté solide 15 ans de plus que le reste de la population syndiquée, avant de s’effriter lui aussi, peut-être sous le coup des départs à la retraite, peut-être aussi, ce qui poserait plus de questions, sous l’effet de la crise économique de 2009.

L’auteure montre qu’on aurait tort d’attribuer ce déclin du militantisme syndical à la seule institution des syndicats. En fait, c’est la vie associative, tant politique que culturelle que (à un moindre degré) caritative qui est en reflux depuis une trentaine d’années en France. Les syndicats baissent, mais l’ensemble des associations baissent aussi, les syndicats comptant d’ailleurs parmi les associations les plus importantes du pays.

Pour citer Maria Teresa Pignoni (références omises) :

     Le désengagement des salariés, et des syndiqués en particulier, est très marqué à l’égard des associations de défense de droits et d’intérêts communs (y compris les partis politiques et les associations de défense de l’environnement). […] On observe une forte tendance à la baisse de l’engagement associatif. En 1983, les salariés étaient 2,5 fois plus nombreux à adhérer aux associations de défense de droits et d’intérêts communs qu’en 2013 et les syndiqués, près de trois fois plus.

Les deux replis se renforcent l’un et l’autre. En effet, les salariés syndiqués sont, parmi les salariés et parmi la population française, les gens qui s’engagent le plus volontiers dans d’autres activités associatives. On le voit à partir du tableau suivant, toujours tiré du même document. Il enregistre ce qu’on appelle la « participation citoyenne », selon le statut et l’engagement syndical.

Les salariés n’adhèrent pas plus que l’ensemble de la population âgée de 18-65 ans à des associations. En revanche, les salariés syndiqués sont relativement plus nombreux que leurs homologues non syndiqués à avoir des engagements associatifs tournés vers des causes collectives et citoyennes.

Pour citer à nouveau :

      « Toutes choses égales par ailleurs », les salariés syndiqués ont 2 fois plus de chances d’être membres de ces types d’associations que leurs homologues non syndiqués. Ils sont également relativement plus nombreux à déclarer avoir voté à au moins un des deux tours des élections législatives de 2012 (83 % contre 71 % de l’ensemble des salariés). […]

La désaffection ou le désintérêt au regard des syndicats vont de pair avec une moindre implication dans des organisations mobilisées par d’autres causes collectives. »

Notre sujet déborde alors de loin le monde de l’entreprise et touche à la sociologie de l’engagement militant.

Enfin, signalons que la désaffection vis-à-vis des syndicats salariés concerne aussi les associations patronales. La même DARES, dans l’attente du dépouillement de son enquête 2017, indique que selon son enquête de 2011 seulement 44% des établissements de plus de 11 salariés déclarent que leur entreprise est affiliée à au moins une organisation d’employeurs, parmi les 4 que sont le Medef, la CGPME, l’UPA et l’UNAPL. Et plus encore, 34%, c’est-à-dire les ¾ le font de façon indirecte, via d’autres regroupements.