L’endettement actuel se situe dans « le haut de la fourchette », d’un point de vue historique. Lors de la crise de 1929, l’endettement mondial se situait bien en-dessous. Si on prend une situation comparable, à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, on constate que, contrairement à l’environnement présent, le désendettement des années 1950 et 1960 s’est appuyé sur une croissance hors normes (plus de 3 % en moyenne annuelle), favorisée par la reconstruction des économies dévastées par la guerre.

Cartographie de l’endettement mondial

Indiquons d’abord qu’il est préférable de prendre en compte l’endettement total d’un pays, c’est-à-dire la somme de la dette publique (Etat, collectivités locales, organismes de prestations sociales) et de la dette privée (entreprises et ménages). Dans le cas des Etats-Unis par exemple, la dette totale dépasse 350 % du PIB ! En principe, l’endettement privé devrait évoluer en sens inverse de l’endettement public : en effet, en période de crise, les entreprises et les ménages tentent de se désendetter, alors que l’Etat s’endette pour soutenir une économie alors défaillante. En principe, c’est l’inverse en période de croissance : confortés par une situation économique favorable, les entreprises et les ménages empruntent pour réaliser leurs souhaits (par exemple, croître par acquisitions pour les sociétés ; acheter une maison pour les individus), alors que les Etats cherchent à se désendetter.

Autre facteur important dans la prise en compte de l’endettement d’un pays : la capacité de remboursement et de paiement des intérêts (c’est ce que l’on appelle « la charge financière de l’emprunt »). Celle-ci s’appuie sur plusieurs éléments : la croissance économique, le taux d’épargne financière, le patrimoine national. Le premier élément, la croissance, est en général absent en période de crise, ainsi qu’on peut le constater actuellement. L’épargne nationale va dépendre de la propension à thésauriser de chaque pays : à titre d’illustration, le Japon a un endettement public très élevé (environ 190 % du PIB), mais dans le même temps, une épargne domestique supérieure à 280 %. En ce qui concerne les actifs mobilisables, dernier point, on peut citer : les participations de l’Etat dans le secteur industriel (un programme de privatisation permet de procurer des ressources supplémentaires à la puissance publique, susceptible de participer à l’amortissement de la dette) ou les actifs détenus par l’Etat (terrains, patrimoine immobilier, etc.) qui peuvent être également vendus. A cela s’ajoute la nature des créanciers : locaux ou étrangers. Il est en général plus facile de trouver des solutions de compromis (moratoire, consolidation de la dette, négociations des modalités de remboursement) avec des prêteurs résidents qu’avec des non-résidents. Le fait que 70 % de la dette publique des Etats-Unis soit détenue par des étrangers (Chine, Japon, pays pétroliers du Moyen-Orient) limite certainement la marge de manœuvre des autorités américaines.

Derniers aspect du problème : la monnaie de dénomination. Lorsque celle-ci est essentiellement en devises étrangères, comme ce fût le cas pour l’Argentine en 2001, elle s’avère beaucoup plus lourde à porter, en particulier en cas de dévaluation de la monnaie nationale. Cette situation s’est reproduite de nombreuses fois : Russie en 1998, Asie du Sud- Est en 1999, ou Islande récemment. Inversement, la Grèce est relativement protégée, tout au moins jusqu’à un certain point, par le fait que son endettement est essentiellement libellé dans sa monnaie nationale, l’euro (mutualisation du risque de défaut à travers l’adossement à la zone euro).
Les solutions de sortie de crise seront donc largement dépendantes des caractéristiques de l’endettement de chaque pays considéré.

Les solutions au service du désendettement

La voie traditionnelle de sortie de l’endettement, c’est une croissance économique forte. De ce coté-là, les prévisions sont médiocres, en particulier pour les pays développés qui forment l’essentiel de l’endettement mondial. On anticipe au mieux une croissance de 1,5 % à 2 % pour les prochaines années.

Autre solution : l’inflation, qui permettrait d’alléger mécaniquement le poids de la dette. Cette tactique a bien fonctionné après la Seconde Guerre Mondiale. Mais la situation actuelle est différente. D’une part, il semble difficile de déclencher une inflation par les salaires, dans un contexte où le chômage est en progression partout, contrairement aux années 1950. D’autre part, la mondialisation limite la hausse des prix des produits de l’économie concurrentielle, soumise à une pression à la baisse du fait des importations en provenance des pays émergents. Quant aux services et aux produits non concurrencés par les importations à bon marché, leurs prix resteront sages car la demande est négativement affectée par la stagnation du pouvoir d’achat. Les liquidités, importantes dans le système économique après les divers plans de relance, ont plutôt tendance à se diriger vers les actifs financiers (matières premières, or, obligations d’Etat), quitte à créer des bulles, sans pour autant se transmettre rapidement à l’économie réelle.

Dans ces conditions, l’endettement va momentanément augmenter. Les marchés financiers vont continuer à accepter les « meilleurs » emprunteurs (notés AAA ou AA), mais en exigeant des primes de risque accrue. Pour les autres, il faudra recourir au FMI, mais à travers des prêts « conditionnels », c’est-à-dire octroyés avec des contraintes attachées : réformes économiques imposées aux Etats emprunteurs, dévaluation éventuelle de leur monnaie nationale, politique d’austérité obligatoire, etc.

Dernière idée à la mode : favoriser le retour du protectionnisme, pour éviter, d’une part, une accélération des délocalisations favorisées par les différences de coût de main-d’œuvre et le dumping monétaire (le yuan chinois est d’une façon évidente sous-évalué), et d’autre part, l’accroissement de notre déficit commercial. C’est bien sûr une « fausse » bonne idée, car la mise en œuvre de barrières douanières et les divers obstacles au commerce international que l’on peut imaginer provoqueraient immédiatement des représailles de nos partenaires, suivies par des surenchères de plus en plus sévères, dont le résultat serait l’effondrement des échanges mondiaux, telle que la planète l’a connu après1929. On sait comment l’histoire s’est terminée.

La France en difficulté

Notre bilan, en terme d’endettement, est très médiocre ; certes les ménages français sont peu endettés, relativement aux américains ou aux britanniques. Cependant nos entreprises présentent des comptes où l’effet de levier de la dette apparait clairement, en particulier les entreprises prises dans un processus de LBO. Quant à l’Etat, les chiffres sont désormais connus avec précision : 78 % du PIB en 2010, probablement 100 % en 2012.
S’il est vrai que les autres pays industrialisés sont dans une situation comparable, la faiblesse spécifique de la France réside dans le taux de progression, rapide, de cet endettement, alimenté par un déficit budgétaire très résilient. En effet, la France n’a plus dégagé d’excédent depuis 30 ans ! Le déficit approche 8 % en 2009 et devrait atteindre encore 3 % en 2014. Ce qui veut dire que la dette va augmenter mécaniquement avec un impact négatif sur les taux (augmentation de la prime de risque) et donc un « effet boule-de-neige » (les charges financières de la dette devront être financées par l’emprunt, donc contribueront à la hausse de l’endettement, etc.).
Dans le même temps, l’Etat doit entreprendre des réformes difficiles : aménagement des retraites, réduction du coût de la décentralisation (dû à la superposition de strates territoriales), ajustement des régimes sociaux, diminution du nombre des fonctionnaires. De plus, augmenter les revenus budgétaires par un accroissement des impôts risque d’étouffer le redémarrage de la croissance, ce qui limite la marge de manœuvre de l’Etat.

Pour terminer on rappellera que les phases de désendettement durent en général de 6 à 7 ans, historiquement. Il est à craindre que pour la France, compte tenu de l’analyse ci-dessus, il faille plutôt envisager 10 à 12 ans. Il faudra donc s’armer de patience et persévérer dans la voie de l’apurement du passé.