Il y a une dizaine d’années, je plaidais déjà pour une évolution du contrôle de gestion classique vers une véritable gestion de la performance. Nous y sommes arrivés, peu à peu. Mais la question se pose aujourd’hui : n’est-il pas temps d’aller encore plus loin ?

D’un point de vue géologique, nous vivons toujours dans l’Holocène, cette ère débutée il y a environ 11 700 ans. Pourtant, l’empreinte humaine est telle qu’elle a bouleversé notre environnement : pollution de l’air, des sols et des océans, dérèglement climatique… L’activité humaine a créé de nouvelles conditions de vie pour l’ensemble de la planète. Le débat sur la réalité de ces transformations n’a plus lieu d’être : il est temps d’agir.

Mais face à cette urgence, les réactions divergent. Certains dirigeants préfèrent attendre la mise en place de la taxonomie européenne (ou locale). D’autres craignent que la RSE n’entrave la rentabilité de leur entreprise. D’autres encore se retranchent derrière l’inaction de leurs concurrents. Autant d’attitudes qui risquent de retarder la mise en mouvement, sans garantie que les choses avancent vraiment.

Alors, me direz-vous : quel rôle peut bien jouer le directeur financier dans cette histoire ?

Il a un rôle essentiel à jouer au sein de l’entreprise pour définir un nouveau paradigme de la performance en intégrant la responsabilité sociétale des entreprises. Qui, mieux que lui, peut en définir les contours et les mesures ? Qui d’autre que lui peut gérer la masse de données disponibles, leurs hétérogénéités et leurs complexités pour les restituer de façon claire et synthétique ?

Une première étape pourrait être la comptabilité carbone, cela pourrait être une grande avancée mais comment tracer le coût carbone d’un matériau ayant été extrait dans un pays puis ayant transité dans différents pays, subi trois ou quatre stades de transformation avec des composants différents et finalement devenir un produit fini, vendu à l’unité dans un packaging venant d’un autre pays, avec un conditionnement réalisé en Europe sur une chaîne de montage fabriquée en Asie, une utopie… ? A contrario, une taxonomie définie par typologie de produit et par environnement géographique serait peut-être plus adaptée, elle définirait alors un standard, certes imprécis mais partagé. Tous, nous constatons la difficulté ainsi que la complexité du point de départ propre à chaque activité, à chaque environnement culturel, économique, géographique, mais l’essentiel n’est-il pas l’implication de toute l’entreprise dans un processus du changement ? Dès lors, peut-on dire que peu importe le point de départ (dès l’instant qu’il est raisonnable), seuls le processus d’amélioration et la prise de conscience de l’entreprise sont importants.

Le Directeur Financier doit être le pionnier de la RSE (via la collecte de données), mais aussi le vecteur de cette ambition stratégique (via la mesure) et donc le moteur de la transformation des entreprises. La constitution d’indicateurs peut être rendue simple comme compliquée, alors utilisons un certain nombre de normes européennes ou françaises (par exemple la RE 2020, nouvelle réglementation énergétique et environnementale de l’ensemble de la construction neuve), ou recherchons des compétences externes ou internes pour les définir. Une fois validés par le management et les auditeurs, le contrôleur de gestion doit mettre en place un suivi régulier et surtout aider à la compréhension et à l’appropriation par l’entreprise.

Restera ensuite le courage managérial de décider si ce projet, ce produit, cet investissement contribue positivement à l’amélioration des indicateurs. Le directeur financier devra alors prendre le leadership de recommandations fortes auprès du management en considérant la performance financière de l’entreprise, l’amélioration RSE ayant un coût qu’il faut accepter. Il devra alors poser un certain nombre de questions : est-ce que ce projet, cet investissement, ce nouveau produit est pertinent dans l’environnement économique, écologique ou de transition énergétique en regard de nos critères ? Est-ce qu’il répond à des besoins essentiels, qu’il va réduire des émissions de gaz à effet de serre ? Est-ce que sa performance environnementale va au-delà de celle du marché et des concurrents ? Quelles en seraient les conséquences au-delà du marché en terme sociétal ou environnemental ? Celle liste n’est pas exhaustive, mais elle doit permettre de définir la notion importante de chiffre d’affaires contributif à l’amélioration de la RSE de l’entreprise.

Le directeur financier se trouve donc au cœur de la stratégie de l’entreprise, il doit réconcilier la performance économique avec les enjeux de RSE. Jusqu’à présent, il faut se l’avouer, il était surtout un catalyseur de la performance financière assez « court-termiste ». Maintenant, il entre dans le cœur de la stratégie d’entreprise en intégrant les impacts environnementaux et les responsabilités sociales et économiques. Jongler entre le court terme et le long terme restera toujours un exercice d’équilibriste.

 

Cet article a été initialement publié sur Vox-Fi le 19 juin 2024.