Dans une tribune récente, le ministre des affaires étrangères allemand, Heiko Maas, indiquait la nécessité de refonder les relations entre l’Europe et les Etats-Unis. La divergence qui s’installe progressivement  entre les deux régions obligerait à repenser leurs relations à l’aune des évolutions récentes et à réfléchir à l’autonomie de l’Europe tant sur le plan diplomatique que militaire ou financier. 

 

Ce point de vue a été désavoué par la chancelière allemande Angela Merkel qui ne veut pas valider une telle divergence. Cela fragiliserait la relation très ancienne entre l’Allemagne et les Etats-Unis qui a construit les relations nord atlantique. Cela obligerait aussi à davantage d’intégration politique en Europe ce qui n’est pas souhaité par les allemands. Ils préfèrent une sorte de fédéralisme sans gouvernement fédéral mais avec des règles strictes pour chaque Etat. C’est un peu l’inverse de ce que souhaite le président français Emmanuel Macron qui développe l’idée d’un budget européen d’une taille significative pour peser sur l’allure de la construction européenne.

Une question posée par Heiko Maas est celle de la dépendance au dollar. C’est une problématique récurrente qui a été à nouveau discutée lors de la mise en place des sanctions américaines vis à vis de l’Iran. Les sociétés européennes ont dû plier bagages sous la pression américaine. Outre l’accès au vaste marche intérieur américain qui leur serait fermé en cas de non respect des sanctions, le financement de ces sociétés est conditionné par leur accès au dollar et au financement en dollar. Le non respect des sanctions réduirait l’accès à ces financements ce qui serait périlleux.

On peut dès lors s’interroger sur la capacité à créer une source de financement alternative. L’euro pourrait être candidat pour mettre en place un tel système.

L’architecture financière actuelle serait alors fondamentalement remise en cause s’orientant vers un système multipolaire alors que le système actuel est, comme le déplore le ministre allemand, très dépendant du dollar. Une construction multipolaire suppose l’existence de plusieurs zones géographiques avec pour chacune une monnaie de référence, celle du pays dominant de la zone. Le système de change serait alors à 2 niveaux. L’un local, la monnaie de chaque pays d’une zone est rattachée à la monnaie de référence. L’autre globale qui fonctionne entre les monnaies de référence de chaque zone.

Dans une économie globale intégrée, une telle configuration n’a jamais existé. Les systèmes qui ont pu exister et se caractérisant par plusieurs zones de référence n’étaient pas intégrés. Ces zones n’echangeaient que de façon limitée. Dès lors plusieurs monnaies de référence pouvaient coexister et reflétant ainsi l’absence d’intégration.

Aujourd’hui le système global est intégré et les compartiments d’antan n’existent plus.  Dans une économie intégrée il existe à l’échelle la plus large une anti loi de Gresham selon laquelle  « la bonne monnaie chasse la mauvaise ». Pour qu’un système multipolaire fonctionne, il faudrait que les monnaies de référence soient toutes équivalentes.

Ce n’est jamais le cas pour au moins deux raisons qui se cumulent généralement. Les zones géographiques n’ont pas la même puissance économique que ce soit dans la tendance de croissance ou dans la capacité à innover. Elles n’ont pas non plus la même puissance politique. Le véritable enjeu est là. La monnaie internationale de référence est celle de la puissance politique dominante. Elle impose sa puissance économique qui associée à sa capacité politique à orienter les choix militaires et géopolitiques font du pays de référence celui de la monnaie de référence. Le Japon qui avait une très grande puissance économique dans les années 80 n’a jamais vu sa monnaie concurrencer celle de Etats-Unis en raison de sa faiblesse politique. On pourrait dire la même chose de l’Europe qui n’arrive à imposer des choix politiques forts dans la durée.

A l’aune de ces aspects, le dollar a de beaux jours devant lui. Donald Trump a toutes les raisons d’être critiqué mais depuis un an au moins si ses décisions ont été décriées, elles se sont néanmoins  imposées à tous. Aucun pays n’a la puissance politique des USA et Trump en profite et en tire avantage. L’Europe n’a aucune capacité à contrecarrer la puissance politique américaine. Tant que l’Europe n’a pas la capacité à imposer ses choix à tous, elle ne pourra pas disposer d’une monnaie susceptible d’écorner la puissance du billet vert.

Ce n’est pas la monnaie qui est libératrice mais la puissance politique qui permet sa monnaie comme outil global. De ce point de vue et au regard de la démonstration de puissance des Etats-Unis sur le plan diplomatique, le dollar a de beaux jours devant lui. L’Europe continuera de subir le billet vert parce qu’elle est incapable de montrer une unité politique dans la durée.
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Ma contribution hebdomadaire à Forbes. Retrouvez la version originale ici

 

Cet article a été initialement publié sur le site philippewaechter.ostrum.com le 30 août 2018. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.

Cet article a également été publié sur Vox-Fi le 24 septembre 2018.