La crise économique mondiale nous contraint à réviser nos croyances les plus chères en matière de politique macroéconomique. Fort de ce constat, j’ai organisé avec David Romer, Joe Stiglitz et Michael Spence, une conférence au FMI sur le thème : « repenser la politique macroéconomique ».

Avant la conférence, j’avais couché sur le papier quelques idées directrices facilitant les entretiens. (Retrouvez sur le site de la conférence les contributions des intervenants) A l’issue de ce colloque, j’ai organisé mes conclusion autour de neuf points :

1. Nous sommes entrés dans un nouveau monde, un monde très différent de l’ancien en termes d’élaboration et de mise en œuvre d’une politique macroéconomique.

2. Les discussions passées portant sur les rôles relatifs des marchés et des états en matière de politique économique conduisaient à faire pencher le balancier – plutôt – vers l’Etat.

3. Il existe de nombreuses altérations aux modèles macroéconomiques connus, bien plus nombreuses que nous ne le pensions au cours des dernières années. Nous les avons largement ignorées, pensant qu’elles se situaient dans le domaine des microéconomistes. En intégrant la finance dans les raisonnements macroéconomiques, nous nous sommes rendu compte que nombre d’éléments relevant de la finance interagissent avec la macroéconomie. Le recours à la théorie de « l’agence » – sur les comportements des agents économiques et des incitations à leur endroit – est nécessaire pour expliquer comment des institutions financières opèrent, bien ou mal, et comment les décisions sont prises en leur sein. L’étude du rôle et des effets de la réglementation, d’une part, et de la théorie de « l’agence », d’autre part, appliqués aux régulateurs est importante. L’économie et la finance comportementales sont également des éléments centraux de la mise en œuvre d’une politique macroéconomique et de ses effets.

4. La politique macroéconomique a plusieurs objectifs et divers instruments (les outils ou les variables que nous utilisons pour mettre en œuvre cette politique). A cet égard, de nombreux exemples ont été présentés au cours de la conférence. En voici deux :

  • Une politique monétaire doit être guidée non seulement par la stabilité des prix, mais aussi par un niveau optimum de production, par la recherche de stabilité financière. A la liste des instruments habituels à sa disposition, il convient d’ajouter des mesures macroprudentielles.
  • Une politique fiscale doit intégrer d’autres éléments que « profits moins taxes » et le fameux « multiplicateur » (ou facteur par lequel un changement dans les dépenses d’un Etat et les taxes perçues affectent l’économie). Il existe potentiellement des dizaines d’instruments, chacun ayant sa dynamique propre, qui n’influe pas que sur les résultats d’une politique économique. Bob Solow a bien montré que réduire les réflexions sur une politique fiscale à un simple multiplicateur ne fait pas avancer le débat !

5. Il existe, certes, de nombreux outils de pilotage de politique macroéconomique, mais nous ne sommes pas sûrs de savoir comment les utiliser. Bien souvent, nous avons des doutes sur ce qu’ils sont, la façon de les manier, leur efficacité. Là encore, de nombreux exemples ont été fournis au cours de la conférence :

  • nous ne savons pas vraiment ce qu’est la liquidité et donc ce que peut être un ratio de liquidité ;
  • il est clair que certains considèrent que des contrôles des flux financiers sont efficaces, d’autres sont d’un avis contraire ;
  • Paul Romer a indiqué que si l’on se contente de fixer aux marchés un cadre réglementaire sans l’actualiser régulièrement, ils trouveront toujours un moyen de contourner les règles et, en moins de dix ans, une nouvelle crise financière apparaîtra ;
  • Michael Space a parlé des rôles relatifs de la régulation et de l’autoréglementation : les deux sont utiles, mais personne ne sait comment les combiner au mieux.

6. Alors que l’utilité des outils de politique macroéconomique est avérée, leur usage soulève plus de questions que de réponses :

  • certains instruments sont politiquement difficiles à manier. Prenons le cas des flux financiers transfrontaliers : la mise en place d’une réglementation multilatérale sera très difficile. Même au niveau domestique, certains outils de politique économique ciblant des secteurs spécifiques, des entités individuelles, des entreprises particulières, pourraient être théoriquement efficaces s’ils ne risquaient pas de conduire à une forte réaction de rejet de la part de ceux qui seraient concernés ;
  • des instruments peuvent être improprement utilisés. Il est apparu au cours des débats, que même si des contrôles des flux de capitaux peuvent être efficaces, des gouvernements ont pu y recourir afin d’éviter de faire des choix de politiques appropriés. Dani Rodrik a avancé qu’une politique industrielle volontariste peut accroître la production de biens marchands ; mais en pratique, chacun connaît les limites de l’exercice. Et ces limites sont toujours présentes.

7. A partir de ces considérations, où allons-nous ? En termes de recherche, le futur est excitant. Nous pouvons travailler, ainsi que le suggère Joe Stiglitz, sur de nombreux thèmes tels que, par exemple aborder des sujets macroéconomiques avec des bases microéconomiques.

8. Les choses sont plus difficiles sur le plan politique. Sachant maintenant qu’on ne sait pas vraiment comment utiliser les nouveaux instruments de politique économique et que pire, ils peuvent être mal utilisés, comment les décideurs politiques peuvent-ils procéder ?
Alors que nous savons à peu près où l’on veut aller, une approche pas à pas doit être privilégiée.

  • Prenons l’exemple de la fixation d’un seuil cible de hausse des prix. On ne peut pas changer d’un jour à l’autre au gré des vents un système comprenant, par exemple cinq objectifs et sept instruments pour les atteindre. Nous ne savons pas comment faire et ce ne serait pas une attitude sage de recommander une telle méthodologie. En revanche nous pouvons introduire graduellement des outils de politique macroéconomique, en testant la température du bain et en observant leurs effets ;
  • accroître le rôle des droits de tirage spéciaux (DTS) dans le système monétaire international est un autre exemple. Si l’on décide d’aller dans ce sens, nous pouvons commencer prudemment en créant un marché d’obligations privées libellées en DTS, puis explorer la possibilité de placer auprès d’investisseurs institutionnels, des titres de créances en DTS émis par le FMI, permettant d’être prêt à mobiliser de cette façon des fonds lors d’une crise systémique.

Le pragmatisme doit être la règle. C’est un point qu’Andrew Sheng a soulevé à propos du modèle d’adaptation constante à son environnement du modèle de croissance chinois. Nous devons soigneusement tester les mesures et observer leurs effets.

9. Nos espoirs résident dans des études régulières d’impact des décisions de politiques macroéconomiques. Il y aura de nouvelles crises que l’on ne peut anticiper. Voire même, et en dépit de nos efforts, des crises ayant un caractère de « déjà-vu ». Ce fut le thème abordé par Adair Turner autour des cycles de crédit. Peut-on, en utilisant tous les outils à notre disposition, s’affranchir des crises de crédit ? Ou bien est-ce dans la nature humaine, quoiqu’on fasse, qu’elles réapparaissent sous une forme ou une autre ?

On m’a demandé si cette conférence pouvait s’apparenter à un « Consensus de Washington 2 » ! Ce n’est pas le cas et ce n’était pas son objet. Ce colloque n’était que le début d’une discussion, le commencement d’une exploration et nous attendons les futures contributions au débat.

 

This article first appeared on www.VoxEU.org; translated with permission.