La Commission européenne a organisé une réunion de 2 jours à Bruxelles, à l’initiative du commissaire chargé du marché intérieur, Michel Barnier, autour de la réponse au Livre Vert sur l’audit. La première journée était cependant consacrée à la comptabilité, ce qui a donné l’occasion à celui qui présidera l’IASB à partir du 1er juillet, Hans Hoogervorst, d’exprimer ses idées, certes personnelles, mais néanmoins d’un grand intérêt, sur « les objectifs du reporting financier ».

Le but de cet article est d’apporter l’éclairage, tout aussi personnel, de son auteur, sur ce que peuvent laisser entrevoir les propos de Hans Hoogervorst quant à sa philosophie et aux évolutions que l’on pourrait attendre suite au changement majeur de leadership désormais imminent. Rappelons qu’au 30 juin 2011, les trois derniers membres de l’équipe d’origine entrée en 2001 quitteront le Board et notamment son charismatique président, Sir David Tweedie. Par ailleurs, la nomination de Hans Hoogervorst, plusieurs fois ministre aux Pays Bas et actuellement président du régulateur boursier néerlandais, marque indiscutablement un tournant vers le politique et, en tout cas, une apparente perte d’influence des purs techniciens au sein du Board.

Il est donc utile d’essayer de décrypter ce discours public, pour autant qu’un discours soit prémonitoire de comportements ultérieurs, sans oublier que le président du Board, pour influent qu’il soit, ne s’avère qu’un des membres d’un organe collectif. On analysera ce discours selon deux axes ; celui de la continuité et celui du changement.

Un discours de continuité

Le discours du futur président s’efforce de dire simplement des choses compliquées. Observateur attentif des débats autour des IFRS depuis plusieurs années, il voit deux questions de fond se poser sans cesse : Existe-t-il une cible privilégiée pour le reporting financier et, si oui, quelle est-elle ? Et les normes comptables doivent-elles s’occuper d’autre chose que d’assurer la transparence ?

Sur ces deux questions essentielles, les réponses proposées sont fondamentalement les mêmes que celles qu’a toujours apportées l’IASB. En voici un résumé.

1. Le reporting financier doit d’abord servir l’investisseur. « Il en restera toujours la cible principale. » Certes, il intéresse aussi d’autres parties prenantes, le public en général, mais comme il ne peut y avoir plusieurs images fidèles de la situation « exacte » d’une entreprise, la question de savoir qui (en dehors de l’investisseur) utilise le reporting financier devient peu pertinente. On ne saurait confirmer plus clairement l’adhésion du futur président aux objectifs récemment votés du cadre conceptuel de l’IASB, dans la partie du cadre conceptuel « Objectifs et caractéristiques qualitatives », d’ailleurs dans la droite ligne du cadre précédent. Ses fonctions actuelles ne sont peut-être pas étrangères à cette orientation.

2. Il observe que transparence et stabilité sont souvent mises en opposition. Il estime que cette contradiction est fausse et voit, au contraire, dans la transparence une « précondition nécessaire de la stabilité. » Sans transparence, il ne peut y avoir de stabilité durable. Cette affirmation lui permet de bien délimiter le territoire de la normalisation comptable par rapport au régulateur prudentiel. L’affirmation n’est pas nouvelle, mais est étayée par des arguments tirés du déroulement de la récente crise, en particulier sur le secteur bancaire.

Hans Hoogervorst affirme que le secteur bancaire n’est pas naturellement enclin à la transparence, en raison de son extrême vulnérabilité et que même si les régulateurs prudentiels ont un besoin légitime de délibérer dans le secret ; il pense néanmoins que les conditions d’hypermédiatisation de l’ère de l’Internet rendent illusoires une culture du secret et que seule la transparence peut à long terme aider à la stabilité. Les critiques qu’il adresse à la sous-capitalisation persistante des banques ou au manque de rigueur des récents stress-tests qui n’a fait qu’aggraver la méfiance des marchés, sont sans complaisance. Il se demande comment les auditeurs auraient pu être plus critiques qu’ils l’ont été alors même que « les régulateurs (prudentiels) considéraient que des valeurs sévèrement décotées (par le marché) étaient sans risque ».

Exemples où la transparence contribue à la stabilité

Hans Hoogervorst cite plusieurs récentes initiatives de l’IASB comme contribuant à la stabilité, en ce sens qu’elles atténuent les « bruits inutiles » ; le système mixte retenu pour la mesure des instruments financiers est jugé pertinent pour le banking book, parce que la volatilité bilantielle est un bruit qui ne reflète pas, dans un tel modèle économique, la performance de l’entité. Pour la même raison, il apprécie la distinction entre le résultat net et les autres éléments du résultat global (OCI) qui a pour lui des mérites pratiques à défaut d’avoir un fondement théorique solide. De même, il salue le remplacement proposé du modèle des pertes encourues par celui des pertes attendues. Son appréciation d’un modèle mixte s’accompagne cependant d’une mise en garde : les valeurs comptables ne peuvent durablement diverger des valeurs de marché sous peine de rendre les investisseurs nerveux au point que ceux-ci ne tarderaient pas « à réclamer l’extension de la comptabilité en juste valeur ».
L’une des raisons pour lesquelles Hans Hoogervorst pense que la transparence s’avère nécessaire à la stabilité est qu’elle sert d’alerte : en évitant que les actions correctrices soient prises trop tardivement, on limite les coûts de remise sur pied du système.

Intérêt général, légitimité, indépendance et gouvernance

Hans Hoogervorst n’a aucun doute sur le fait que la Fondation IFRS, comme sa constitution l’affirme explicitement, travaille dans l’intérêt général mondial, qu’il sera « fier de servir ». Servies par un processus très ouvert et participatif, mais qu’il faut sans cesse améliorer pour que toutes les parties prenantes et tous les pays aient un sens d’appropriation de l’IASB, les IFRS, déjà utilisées dans plus de cent pays, sont les seules normes comptables qui ont une chance de devenir universelles.

Seule l’indépendance permet de résister aux pressions qui, pour protéger des intérêts particuliers, se font entendre au détriment de la transparence, donc d’un intérêt général bien compris. Mais l’indépendance ne se décrète pas, elle se gagne par le sens d’appropriation des parties prenantes et par une gouvernance encore améliorée. Les révisions quasi simultanées menées par les Trustees et le Monitoring Board visent à asseoir l’indépendance et son corollaire, la responsabilité (« accountability »). C’est ce qui permettra de résister aux pressions de toutes sortes : celles des intérêts particuliers, celles des politiques (quand elles se font au détriment de la transparence), celle des régulateurs prudentiels (dont la mission ne doit pas leur permettre de dicter des normes comptables inappropriées aux besoins des investisseurs), celles des régions ou pays dont aucun ne doit se sentir exclu. Il ne doit pas y avoir de groupe prédominant. C’est peut-être là un message pour l’Europe et les Etats-Unis, les débats ayant jusqu’à présent beaucoup ressemblé à une conversation transatlantique qui ne manquait pas d’irriter les autres pays. Il est d’ailleurs remarquable que Hans Hoogervorst n’ait mentionné la convergence avec les US Gaap qu’une seule fois, de façon incidente et au sujet d’une question mineure. Le monde a changé et la création d’un bureau en Asie n’est pas le fait du hasard.

La phase de dix années qui se termine aura vu l’IASB acquérir une notoriété qui n’était pas attendue et une visibilité à laquelle elle n’était pas forcément préparée, sans parler des effets de la crise.
Il est réconfortant de voir que le nouveau leader adopte avec fermeté et enthousiasme l’essentiel des fondamentaux, mais aussi apporte son expérience politique et institutionnelle, afin d’affronter les défis qui se profilent pour asseoir la place et la responsabilité de la Fondation IFRS dans le paysage institutionnel mondial en mutation profonde et rapide.