Dans une note récente sur la volatilité des prix des matières premières, découlant d’un rapport de Jean Chevalier, le Conseil d’analyse stratégique pose les termes du débat que les membres du G20 vont engager sur le fonctionnement des marchés de matières premières et la volatilité de leurs prix. Ces négociations seront probablement difficiles, tant les informations empiriques disponibles sont peu nombreuses et non décisives, les constats soumis à interprétation et donc les décisions susceptibles de faire l’objet de controverses.

 

Contrairement à l’idée reçue, il n’est pas démontré que la hausse des prix des matières premières provienne d’avantage de l’influence malsaine de quelques « gnomes de Zürich » que des fondamentaux économiques. « Les marchés physiques du pétrole et des matières premières sont caractérisés par une élasticité de court terme très faible tant du côté de l’offre que du côté de la demande : l’offre et la demande sur le marché ne réagissent de manière significative au prix que lorsque celui-ci varie brutalement, ce qui implique qu’un déséquilibre de marché momentané a tendance à se répercuter en premier lieu sur les prix avant que les quantités ne se réajustent pour établir un nouvel équilibre ».
Concernant les marchés de produits agricoles, la volatilité est également structurellement importante. La rigidité de la demande et les anticipations imparfaites des agents conduisent à l’existence d’un point d’équilibre instable : une force de rappel (liée à l’aversion au risque du producteur ou à la contrainte de liquidité de l’agriculteur) ramène le prix vers un point d’équilibre stable. On observe alors des oscillations chaotiques.

Ainsi, les récents événements de 2007 et 2008 pourraient s’expliquer en partie par un choc de demande
(hausse des consommations dans les pays émergents et de la production d’agrocarburants sur le marché américain) couplé à un choc d’offre (nombreuses sécheresses ou inondations).

 

Il est toutefois communément admis que, sur ces marchés, l’information ne circule pas efficacement et qu’il convient de prendre des mesures de régulation et d’accroissement de la transparence, en incluant ces opérations dans le cadre des directives MIF et Abus de marché, en cours de révision – proposition accessible – et d’améliorer la connaissance pour tous d’informations stratégiques tels que les stocks, les prévisions de récolte… – proposition à caractère éminemment politique et sur laquelle les négociateurs du G20 pourraient bien se casser les dents ! Mais régulation accrue ne signifie pas bien sûr la mise en coupe réglée des marchés dérivés.

 

En effet, l’objet principal de transactions de futures sur les matières premières est de faciliter le transfert de risque des agents cherchant à se couvrir contre les fluctuations de cours (“hedgers” en anglais, ou encore les agents dits “commerciaux”, dont l’activité implique un intérêt lié à l’achat ou à la vente de quantités physiques de matière première, vers des agents prêts à assumer ce risque de fluctuation, moyennant une prime de risque ; ces derniers sont couramment désignés par le terme de “spéculateurs” (“speculators” en anglais,
ou encore agents dits “non commerciaux”, c’est-à-dire n’ayant aucun intérêt à la détention finale du bien physique). Ces derniers sont indispensables au bon fonctionnement du marché, puisqu’ils fournissent de la liquidité, condition sine qua non d’un mécanisme adéquat de formation des cours par interaction d’une multitude d’agents disposant d’une certaine information sur le marché.

 

Les prix des « futures » ainsi que les prix spot anticipés reflètent alors les anticipations des agents concernant les fondamentaux du marché (offre et demande physique), soit l’information dont le marché dispose concernant les fondamentaux.

 

Dans son principe, le fonctionnement adéquat de la formation des cours suppose (i) que les agents présents sur le marché forment des anticipations sur les fondamentaux résultant d’un traitement rationnel de l’information aussi exacte que possible, dont ils disposent ; (ii) la transparence des transactions pour permettre l’agrégation des informations privées en une information “publique” de marché, ainsi que (iii) l’atomisation des agents afin qu’aucun ne soit en position dominante, donc en mesure d’influencer le mécanisme de formation des cours, sont deux conditions nécessaires au bon fonctionnement du marché.

 

Ainsi, les débats du G20 porteront, de près ou de loin, sur des propositions qui concerneront :

– L’amélioration du dialogue entre pays producteurs et pays consommateurs afin de rendre plus transparents les fondamentaux du marché physique ;
– un enregistrement par catégories d’opérateurs (physiques, intermédiaires, financiers sur les marchés organisés) et une surveillance des intervenants sur les marchés de gré à gré ;
– une réflexion sur la limitation de la taille des positions individuelles en prenant garde de ne pas réduire la liquidité qui conduirait à une moindre efficacité dans la formation des prix ;
– l’obligation faite aux opérateurs de rendre compte de leurs activités à un organisme respectant la confidentialité ;
– l’enregistrement obligatoire des opérations de gré à gré auprès de chambres de compensation afin de limiter les risques systémiques et de contreparties.