La construction institutionnelle de la zone euro continue de se faire selon une dynamique forte en cette rentrée. Successivement, la BCE a annoncé un nouveau mode d’intervention, le cadre de l’Union Bancaire a été présenté et finalement la cour constitutionnelle de Karlsruhe en Allemagne a validé le Mécanisme Européen de Stabilité et le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union Economique et Monétaire.

D’un seul coup la zone euro change de perspectives et fait sa révolution copernicienne car l’objectif de cette construction complexe est de définir un cadre qui soit stable dans le temps, qui permette une plus grande autonomie dans la régulation de la zone euro en tant que telle et une moins grande dépendance vis-à-vis des  gouvernements locaux.

Reprenons les différents éléments qui ont été proposés.

 

L’intervention de la BCE que j’ai détaillée la semaine dernière permet de changer de perspectives sur un pays qui demande de l’aide. En effet, la BCE a indiqué que lorsqu’un pays prend des engagements et demande de l’aide, alors si toutes les conditions sont respectées, elle devient prêteur en dernier ressort. Elle peut intervenir sur des montants illimités. Cela a une conséquence immédiate que l’on a commencé à percevoir. Les taux des pays concernés baissent de façon significative. Si des pays comme l’Espagne ou l’Italie ont des taux d’intérêt très élevés c’est parce que les investisseurs ont un doute sur leur capacité à respecter leurs engagements budgétaires et à rester dans la zone euro. Cela parait incompatible. Si la BCE intervient comme prêteur en dernier ressort parce que les conditions sont respectées, ce risque s’estompe et les taux d’intérêt baissent. Dès lors le montant des interventions de la BCE ne sera pas nécessairement très élevé. Ces interventions redonneront aux dettes publiques de la zone euro le caractère d’actif sans risque qu’elles ont perdu notamment, pour les pays fragilisés, lors de la mise en place du PSI grec.

Cette situation a une conséquence puisque les engagements pris par le pays réduisent de façon brutale sa capacité à gérer sa propre politique budgétaire. Le pouvoir de décision sur l’équilibre du budget passant à une institution européenne (la commission ou un comité budgétaire à définir). La possibilité d’une telle intervention  doit permettre aux taux d’intérêt de baisser. Le pays en difficulté pourra toujours y avoir recours.

 

L’Union Bancaire a pour objectif de dissocier les États des banques afin d’éviter le comportement pro-cyclique que peuvent avoir les banques lorsque les États sont en difficulté. Cela a été observé en Espagne, la conjoncture médiocre et l’État en difficulté entraîne une prime de risque et pénalise le secteur bancaire. Cela passera par un régulateur unique, la BCE et des régulateurs nationaux qui resteront, mais qui interviendront sous l’autorité de la BCE. Une dissociation forte devra être faite au sein de la BCE entre la régulation des banques et la gestion de la politique monétaire.

Sur un autre plan, la baisse des taux engendrée par l’intervention de la BCE aidera le secteur de façon spectaculaire puisque les portefeuilles bancaires sont garnis  d’obligations d’État. Le cadre portera sur toutes les banques de la zone euro et devra être complété par un mécanisme de garantie des dépôts et par un mécanisme de résolution des crises. Ces deux éléments feront l’objet de textes complémentaires avant la fin de l’année. Ils devront faire appel à l’aide européenne et non à un pays bien spécifique d’où la nécessité d’une meilleure coordination des politiques budgétaires.

 

Une conséquence de cette Union Bancaire est qu’in fine les réglementations qui s’appliqueront à toutes les banques seront les mêmes. De ce fait cela marquera la mise en place d’un marché bancaire unique. Cela ne sera pas sans conséquence sur l’équilibre des forces en Europe. En effet, les structures bancaires sont très  différenciées d’un pays à l’autre. Le secteur est très concentré en France alors que ce n’est pas le cas en Allemagne où de nombreuses petites banques locales ont une part de marché très significative. La mise en place d’un marché bancaire unique en modifiant les conditions de la concurrence changera l’allure du marché. C’est pour cela que le ministre de l’économie allemande Wolfgang Schäuble est opposé à l’intégration de toutes les banques dans le giron de la BCE, le marché bancaire  allemand en serait bouleversé.

 

Le Mécanisme Européen de Stabilité est l’élément clé à la fois dans l’intervention de la BCE car le pays demandeur doit avoir l’accord du MES et surtout parce que le MES permet de recapitaliser le secteur bancaire sans passer par les États. Donc pour que l’objectif d’indépendance entre les États et les banques fonctionne et qu’il engendre une plus grande stabilité financière, il était nécessaire d’avoir le MES.

 

Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance définit le cadre budgétaire dans lequel doivent s’inscrire les pays de la zone Euro. Il est au cœur de la problématique qui permettra de définir les engagements des pays en difficulté et ayant besoin de demander de l’aide tout en mettant en place le cadre de fonctionnement et de coordination des politiques budgétaires. C’est donc un élément majeur dans la construction.

 

conclusion

Le cadre défini par le traité se traduira in fine par une politique budgétaire locale moins indépendante. Si dans le respect de ces contraintes la BCE peut intervenir et être, si nécessaire, un prêteur en dernier ressort alors des obligations européennes pourront être émises. Il y aura à ce moment là une cohérence plus grande entre la politique budgétaire coordonnée et la politique monétaire. Sans recourir à un cadre fédéraliste la zone euro pourra disposer d’une dynamique plus autonome et mieux coordonnée.

Sur un autre plan, l’incertitude engendrée par l’instabilité institutionnelle a pénalisé la croissance de la zone en limitant l’investissement. On observe que pour tous les pays de la zone euro, y compris la France et l’Allemagne, le niveau de l’investissement productif est actuellement toujours plus faible que ce qu’il était avant la crise. Le cadre institutionnel évoqué et l’irréversibilité de la zone euro devraient changer les perspectives en profondeur. Si désormais la zone euro est perçue comme stable sur le plan institutionnel, on doit imaginer que les entreprises pourront à nouveau y investir de façon significative. Il peut y avoir un effet rattrapage important. Ce phénomène de moyen et long terme sera d’autant plus facile à observer que des réformes structurelles auront été mises en place pour améliorer la productivité des pays de la zone.

Cependant, et c’est la difficulté du cadre défini, il n’est pas question actuellement d’imaginer que les politiques budgétaires puissent avoir la moindre vertu de relance et de soutien de la demande. Alors que l’environnement global est en croissance très lente, la question posée est de savoir comment les européens vont accepter cette situation qui pourrait pendant encore un bon moment se traduire par une fragilité de la croissance et une hausse du chômage. Le caractère rassurant des institutions et son effet positif sur la croissance ne jouera qu’à moyen terme et ne pourra pas contrecarrer, à court terme, l’absence d’impulsion de la politique budgétaire dans un environnement global dégradé.

En d’autres termes, la difficulté à laquelle va être confrontée la zone Euro est celle de la transition entre la situation du moment, chaotique et sans croissance, et le cadre plus stable définit entre les différentes institutions.

Le risque d’instabilité est fort parce que l’absence de croissance mettra systématiquement un doute sur la construction faite et parce que les gouvernements locaux veulent maintenir leurs prérogatives, c’est ce que l’on a vu ce week-end à Nicosie. Ces deux difficultés sont majeures et pour les surmonter chaque gouvernement, chaque institution doit faire preuve de persuasion. La route sera longue.