Le pacte d’actionnaire d’une jeune pousse
Le club d’entrepreneurs français « The Galion Project » a eu l’excellente idée de proposer un modèle de term sheet de pacte d’actionnaires pour le premier tour d’investissement d’une jeune pousse avec des fonds de capital risque (« Série A »). Ce document bénéficie de l’expérience d’une soixantaine d’entrepreneurs ainsi que de deux avocats renommés dans ce domaine.
Ce squelette de pacte a plusieurs mérites :
- Il est équilibré entre intérêts des entrepreneurs et des investisseurs.
- Il permet d’éviter certains écueils et est adapté à l’environnement et au droit français.
- Il a été validé par des grands fonds de capital risque de la place.
Ces auteurs le précisent bien, il s’agit là d’un point de départ pour la discussion, chaque situation est unique et il sera nécessaire de l’adapter en fonction des particularités du projet et des investisseurs.
Le document est disponible (et commenté) ici : https://thegalionproject.com/term-sheet.
Le pacte d’actionnaire d’une jeune pousse régit la gouvernance de la société au cours de sa vie, mais aussi les droits et les devoirs des actionnaires lors des levées de fonds suivantes, en cas de cession ou de liquidation de l’entreprise. Ceci est assez standard dans un pacte d’actionnaire, mais pour une start-up, les enjeux de valorisation sont plus importants que dans une entreprise classique (car les entrepreneurs cherchent à valoriser un important goodwill et parce que la valorisation est beaucoup plus incertaine).
Le document est en anglais… bien qu’il soit spécifiquement ciblé sur des sociétés françaises, les auteurs anticipent que tôt ou tard des investisseurs étrangers pourront s’y intéresser, d’où la recommandation de préparer dès le premier tour une documentation dans la langue de Shakespeare.
Le plan est le suivant :
- Issuer
- Founders
- Seed investors
- Type of security
- Structure of financing
- Closing conditions
- Liquidation preference
- Automatic conversion
- Optional conversion
- Anti-dilution
- Redemption
- Dividends
- Voting
- Series A majority approval
- Pre emptive rights
- Lock up
- Right of first refusal
- Co sale
- Drag along
- Liquidity
- Information and audit rights
- Board of directors
- Management rights
- Leaver
- Employee stock option plan
- Assignment of IP rights
- Non compete/exclusivity
- Documentation
- Exclusivity
- Expenses
- Confidentiality
- Applicable law
- Appendix
Le document est intégralement décrit sur le site Galion Project, nous nous limiterons donc à commenter quelques clauses majeures ou très spécifiques aux jeunes pousses, celles correspondant aux points en rouge plus haut.
Notons tout d’abord que pour intéresser des fonds de capital-risque, il convient de leur donner des droits spécifiques. Pour ce faire, une catégorie spécifique d’actions est créée. Ces actions ont les mêmes droits de vote, sont convertibles en actions ordinaires (et ont vocation à l’être à moyen terme) ; à court terme ces actions offrent des droits plus importants que les actions ordinaires émises à la création de la société et lors de la levée de fonds auprès des friends & family et de business angels.
La disposition la plus caractéristique d’une levée de fonds de start-up est certainement la clause de liquidité préférentielle[1]. Devenue désormais standard dans les levées de fonds, elle dispose que les actionnaires entrants dans la dernière levée de fonds sont remboursés prioritairement de leur investissement en cas de cession ou de liquidation de l’entreprise. Le term sheet Galion propose donc une clause assez simple en cas de cession ou liquidation :
- les premiers 20 % du produit sont répartis proportionnellement à tous les actionnaires en fonction de leur participation (carve-out). Ceci permet de conserver un alignement d’intérêts et une motivation dans tous les scénarios ;
- les actions de la séries A sont ensuite prioritaires jusqu’à remboursement des sommes investies (en tenant compte des sommes reçues au titre des premiers 20 %) ;
- le solde (s’il existe) est enfin alloué proportionnellement à tous les actionnaires en fonction de leur participation.
La liquidité préférentielle permet de réduire le risque pour les fonds entrant en Série A en compensant le prix par action plus élevé que lors de la précédente levée de fonds. La clause peut d’ailleurs être beaucoup plus favorable à l’investisseur en prévoyant, non pas le remboursement de son investissement, mais un multiple de celui-ci ou une rentabilité annuelle.
Il existe des clauses plus complexes. Pour ceux qui sont intéressés, vous pourrez les trouver dans le guide des bonnes pratiques du capital risque publié par France Invest (http://www.franceinvest.eu/dl.php?table=etude_publication&chemin=uploads/_afic&nom_file=capital-risque-guide-des-bonnes-pratiques-version-2010_1.pdf)
Généralement, la liquidité préférentielle pour les porteurs d’actions Série A disparaît au tour suivant, une nouvelle liquidité préférentielle étant accordée aux porteurs d’actions Série B.
Les clauses de ratchet (anti-dilution dans le document de Galion) permettent d’ajuster rétrospectivement les prix d’une levée de fonds en cas de levée de fonds ultérieure à un prix inférieur. Assez classiques il y a quelques années, ces clauses se font aujourd’hui plus rares. En effet, elles aboutissent à une dilution importante des actionnaires fondateurs et une démotivation, ce qui n’est jamais bon pour une start-up.
Les clauses touchant à la gouvernance sont assez classiques pour un pacte d’actionnaire. Notons quelques recommandations intéressantes :
- Limiter le conseil à un nombre réduit d’administrateurs. C’est une particularité pour les jeunes pousses : elles se doivent d’être agiles et de pouvoir prendre des décisions rapidement. La convocation et la gestion d’un conseil trop large ne sont donc pas adaptées.
- Offrir un droit de veto aux porteurs de Série A est un impératif. Galion suggère que ce veto soit collectif, et non individuel, ce qui évite d’être dans les mains d’un investisseur particulier. Corrélativement, Galion suggère fortement de cibler au moins deux fonds pour la Série A.
Le document propose une liste de décisions soumises à la majorité qualifiée (en annexe B). Cette liste type a vocation à être adaptée en fonction des particularités de la société.
La clause de fondateur sortant (leaver) proposée est assez complexe avec une proportion d’actions cessibles à prix de marché croissante dans le temps (sur une période de 3 ans). Le rachat des titres non libres est proposé au nominal aux fondateurs, à la société. Les titres libres peuvent être acquis à prix de marché par les fondateurs et les investisseurs Série A. Cette clause montre l’importance clé des fondateurs dans une start-up (souvent plus importants que le concept même sur lequel repose l’entreprise). Tout comme la clause d’exclusivité précisant que les fondateurs doivent consacrer l’essentiel de leur temps à la start-up, l’utilité de la clause de leaver est avant tout de maintenir la motivation des managers. Notons néanmoins, que si le projet bat de l’aile, ces clauses n’auront pas une grande utilité. Elles servent avant tout pour gérer une mésentente entre les fondateurs ou une erreur de casting.
Dernière clause à soigner pour une jeune pousse : celle permettant l’émission d’actions ou d’options pour les employés. D’expérience, cette clause est assez facile à inclure dans un pacte d’actionnaire et paraît légitime et justifiée dès lors que la dynamique de la négociation est bonne. Ça l’est beaucoup moins après l’investissement car toute dilution sera vécue par les investisseurs comme un sacrifice. Une enveloppe de 10 % est généralement suffisante sauf si un poste clé du management reste à pourvoir, il conviendra alors d’imaginer quel pourrait être le package attractif pour la perle manquante !
[1] Voir La Lettre Vernimmen.net n°157 de mars 2018, pages 7 à 9.
Cet article a été initialement publié dans La Lettre Vernimmen.net n°169 de juin 2019. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.
Cet article a également été publié sur Vox-Fi le 15 juillet 2019.