« La France est un pays extrêmement fertile : on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts » (G.Clemenceau)

Toute la France a été récemment polarisée sur le rapport Gallois : ce qu’il contenait, ce qui a été retenu par le gouvernement, ce qui ne l’a pas été, etc.  Mais il ne s’agissait que du secteur privé, preuve de la reconnaissance de son caractère unique de créateur d’emplois financés par des clients solvables, et source (directe et indirecte) des cotisations et impôts de toutes sortes.

Dans ce charivari, un grand absent : le coût de la fonction publique, source indirecte des charges qui pèsent sur les entreprises (et les ménages), et qui est évoqué brièvement et indirectement par le rapport Gallois. Les prélèvements sur les entreprises françaises représentent  39 % du total des recettes fiscales, soit 10 points de plus que la moyenne européenne.

Quelle est donc la situation sur le coût de fonctionnement de la fonction publique, comment en sommes nous arrivé là, et que peut-on faire ?

1) La réalité des chiffres, tout simplement. Ils sont malheureusement trop bien connus.

Avec un nombre de fonctionnaires au sens strict s’élevant à 5,3 millions (+18 % depuis 1980), la France a l’un des pourcentages de l’emploi public les plus élevés de l’Union européenne. Par rapport à l’Allemagne, ils représentent 13,5 % du P.I.B., contre 7,5 % outre Rhin. Ces 5,3 millions se répartissent entre la fonction publique d’État (2,5 millions, soit +14 % de hausse depuis 1980), la fonction publique territoriale (1,7 million, soit +71 % de hausse sur la même période) et la fonction publique hospitalière ( 1,1 million, soit +54 % de progression)[1]. À ces 5,3 millions de personnes stricto sensu jouissant du statut de la fonction publique, qui représentent 1 actif sur 5, il convient d’ajouter[2] :

–          143 000 emplois aidés (appelés à augmenter très prochainement) ;

–          189 000 salariés d’organismes publics (sécurité sociale par exemple) ;

–          588 000 salariés d’entreprises publiques (type SNCF/RATP) ;

–          642 000 salariés d’organismes privés à financements publics (enseignants privés sous contrat, aides ménagères, salariés d’association subventionnées par les municipalités et les conseils généraux), soit au total 6,8 millions de personnes (1 actif sur 4) ayant une incidence directe ou indirecte sur les finances publiques, via des subventions d’équilibre.

Pour revenir aux effectifs de la seule fonction publique d’État, ses frais de personnel représentent 45,6 % des dépenses autorisées, dont la moitié environ pour l’Éducation nationale. Son effectif est quasiment stabilisé, voire en décroissance faible, mais les deux autres fonctions publiques (territoriale et hospitalière) embauchent avec régularité (le désengagement de l’État central n’expliquant pas tout), ce qui fait qu’il n’y a jamais eu autant de fonctionnaires en France.

N’oublions pas que les dépenses de l’État ne représentent « que » 376 milliards d’ euros sur 1 124 milliards de dépenses publiques ( qui comprennent au total 287 milliards de frais de personnel), le solde étant représenté par la fonction publique territoriale (240 milliards) et les organismes de sécurité de sociale (508 milliards). Ces 1 124 milliards, rapportés à un PIB de 2 000 milliards d’euros, nous donnent les 56,2 % indiqués dans le PLFR 2012 (hausse de 10 points en 20 ans) , à comparer aux 49 % de la zone euro et aux 42 % des États-Unis (36 % avant la crise).

Ramenés à une population française de 65 millions d’habitants, nos 5,3 millions de fonctionnaires représentent donc 82 fonctionnaires pour 1000 habitants[3], contre 66 pour l’UE à 15 (dont la France). L’écart par rapport à la moyenne européenne est donc de 82-66 =16, soit un équivalent en têtes de 65 000*16= 1 million, représentant environ 50 milliards d’euros par an (2,5 % du PIB).

 

2) Comment en est-on arrivé là ?

Sans refaire l’histoire économique de la France, les lecteurs de notre Blog auront bien compris que le poids des dépenses publiques aura épousé l’accroissement du rôle de l’État. En 1914 et 1939, les dépenses publiques se situaient autour de 30 % du PIB et passent à 40 % vers la fin des années 1940 avec l’instauration de la sécurité Sociale en 1945. En 1985, les dépenses de sécurité sociale (cf. supra) dépassent celles de l’État, avant d’atteindre 135 % ce celles-ci en 2012.

S’y rajoutent ensuite les conséquences de la décentralisation (+ 350 000 fonctionnaires directement produits par les lois Defferre de 1982) , et de la « compréhension » des élus locaux qui utilisent leurs structures territoriales pour compenser les effets négatifs sur l’emploi privé de la fin des 30 glorieuses à partir du premier choc pétrolier (1973) et surtout du second (1979).

De plus, les lois de décentralisation de 1982 contenaient une disposition dont la perversité n’est apparue que bien plus tard, quand l’effectif de la fonction publique territoriale (FPT) a crû de façon exponentielle : l’État central n’a aucun moyen juridique de s’opposer aux embauches des collectivités locales, et celles-ci en ont bien profité. Pendant que la fonction publique locale augmentait de 51 % de 1987 à 2007 , les régions « faisaient » +92 % , les intercommunalités +89 % et les départements +42 %., contre +26 % en global[4]

In fine, les 26 régions dépensent 27 Milliards d’euros, les 101 départements 70 milliards ,les 2 581 intercommunalités 38 milliards, les 14 787 syndicats de communes 16 milliards et enfin les 36 786 communes 89 milliards. Total : 240 milliards d’euros[5].

Tout le monde loue le niveau de formation et le professionnalisme de la fonction publique, mais son image de marque est victime du manque de courage de nos gouvernants, et de leur incapacité à conduire la moindre réforme, comme l’échec de la RGPP, de l’implantation du logiciel Louvois dans les armées et de son homologue Chorus dans la fonction publique en général l’ont amplement démontré[6].

 

 

3)      Que peut-on faire ?

Le secteur public en France n’est pas un mode de gestion : c’est une seconde nature, une philosophie et une hygiène de vie. D’autre part, si l’on considère les 6,8 millions de personnes qui sont en dehors du secteur marchand (le quart de la population active), comment ne pas éviter que TOUTES les familles ne comprennent pas en leur sein, peu ou prou, une, sinon plusieurs personnes travaillant dans le secteur public ou assimilé ? Autant se couper un bras ou se tirer une balle dans le pied…

Ajoutez à cela le statut protecteur de la fonction publique (sauf pour le million de contractuels qui en font partie) et la survenance répétée d’élections à venir (présidentielles et législatives, municipales, départementales, régionales et européennes), et on comprend mieux que pour les princes qui nous gouvernent, il soit urgent d’attendre…

Malheureusement, les marchés, eux, n’attendront pas une éternité, et les aphorismes célèbres du père Queuille sous la quatrième République ne peuvent plus s’appliquer dans l’état actuel de nos finances publiques[7].

Et pourtant, des pays industriels comparables à la France (sauf pour le consensus social) sont arrivés à résoudre le problème de l’hypertrophie de leur fonction publique, comme le Canada[8] ou la Suède. Plus près de nous, l’Italie a et continue de réduire le nombre de collectivités locales. La France, quant à elle, tétanisée par les menaces à peine voilées des syndicats dès que l’on évoque la possibilité de toucher aux avantages dits acquis, invoque sans cesse pour justifier son inaction les mêmes raisons : ce n’est pas le moment (la prochaine élection se profile déjà à l’horizon), ou pire : ce n’est pas notre tradition. Immobilisme garanti !

Si l’on écarte d’emblée un « grand soir de la fonction publique » auquel le pays n’est manifestement pas (encore) prêt, mais qui nous sera peut-être imposé dans quelques années sous la pression des marchés, de la Commission européenne et du FMI réunis[9], il n’y a qu’un seul moyen de gagner du temps, en attendant de remettre à plat le rôle de l’État et l’importance de la fonction publique (ce qui devra bien se produire un jour) : la réduction des gaspillages et la réorganisation de la fonction publique.

3-1  La réduction des gaspillages : quelques idées qui ne sont pas nouvelles

a) Diminuer fortement les subventions aux associations.

En effet, 34 milliards d’euros de subventions (soit près de la moitié du secteur associatif) sont accordées chaque année par l’État et les collectivités locales aux associations à 250 000 organismes (malheureusement, ce chiffre n’est mis à jour que tous les deux ans…)

Dans les nombreux « millefeuilles » observés, on peut remarquer que les associations de défense des droits bénéficient de subventions qui viennent se superposer à toutes les structures publiques officielles qui se sont accumulées au fil du temps. Exemple de financements redondants : les contribuables français financent un Comité permanent de lutte contre les discriminations, un Observatoire des discriminations, un Observatoire des inégalités (ex-HALDE), un Haut conseil à l’intégration, une agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, sans oublier l’AFIC (accueil et formation pour l’intégration et la citoyenneté), dont le but est de former des élèves journalistes à la lutte contre les discriminations et les préjugés. Six structures à missions très semblables, qui se recoupent et se chevauchent !

Selon le centre d’économie de la Sorbonne, l’État en distribue 23 %, les communes 26 % et les régions 11 %, le solde venant d’organismes sociaux et de l’Europe[10]. À elle seule, la Région Île de France subventionne 3 400 associations pour une somme de 520 millions en 2010 (12 % du total des dépenses). En fait, on s’aperçoit que toutes ces subventions permettent aux collectivités locales de faire des dépenses publiques sans augmenter le nombre de fonctionnaires territoriaux !

Si l’on adoptait la règle simple que le pourcentage de financement public ne devait pas dépasser 50 % du budget de chaque association (soit environ le pourcentage global aujourd’hui), on économiserait 6 milliards d’euros par an !

b) Diminuer fortement les subventions aux syndicats (patronaux et ouvriers)

Chacun sait que les syndicats français ne regroupent que 8 % des salariés (influencé à la hausse par le fort pourcentage de syndicalisation dans le secteur public), et que les cotisations des adhérents ne représentent qu’une part infime des budgets syndicaux : de 15 à 60 % pour les structures patronales, de 3 % à 4 % pour les organisations de salariés, du fait des 4 milliards d’euros d’argent public. En reprenant l’expression célèbre de l’UIMM, on pourrait appeler cela « fluidifier le dialogue social… »

c) Baisser le budget de la culture : l’argent qui y est consacré par l’État et les collectivités locales représente en France 1,67 % du PIB, soit trois plus qu’en Allemagne et au Royaume-Uni, cinq fois plus qu’aux États-Unis[11]. Le contribuable subventionne 634 compagnies de théâtre, 341 festivals, 225 compagnies chorégraphiques et 291 orchestres[12].

 

3-2    Se réorganiser en profondeur

Sur les 6 % du PIB qui séparent la France de l’Allemagne pour le coût des fonctionnaires (13,5 % – 7,5%), 5,3 %, soit 88 % de l’écart, s’expliquent par les quatre raisons ci-dessous, qui distinguent les fonctionnaires français et allemands :

a)      Coût des 35 heures (Gain : 1,3 % du PIB), qui coûtent aux budgets publics 26 milliards d’euros/an (calcul effectué par Jean Artuis) ;

b)      différence entre les règles d’indemnisation maladie et celles du privé. Impact : 0,8 % du PIB.  Le secteur public ne connaît pas les trois jours de carence, ni le plafonnement des indemnités. En conséquence, il connaît deux fois plus d’arrêts maladie que le privé : 12 % des heures travaillées au lieu de 6 %. Une première étape a été franchie depuis le premier janvier 2012 avec l’institution d’un jour de carence (il était temps !) ;

c)       différence entre les retraites publiques et celles du privé. Gain : 1 ,5 % du PIB. Chacun connait la règle de la moyenne des 6 derniers mois de salaire, vs. celle des 25 dernières années dans le privé… Le résultat des courses est que les retraités du public représentent 12 % des ayants droit, mais 31 % du montant des retraites versées par le régime général ;

d)      différence des heures de présence des enseignants (50 % de la fonction publique d’État). Gain : 1,7 % du PIB. Explication : en Allemagne, le métier d’enseignant est un métier bien plus exigeant sur les heures de présence.

Remarque : l’application de ces mesures prendra du temps… Aussi faudra-t-il en envisager d’autres à effet plus immédiat, mais de manière ordonnée, si l’on veut éviter de les prendre en urgence, façon espagnole ou grecque. Parmi celles-ci (ne sont mentionnées celles qui ne toucheraient que la fonction publique) :

e)      Aligner progressivement les salaires publics sur ceux du privé, avec une baisse comprise entre celle des socialistes espagnols (5 %) et celle des socialistes grecs (15 %) ;

f)       modifier le statut des fonctionnaires, et commencer à faire comme il a été fait chez France Télécom, i.e. embaucher les nouveaux fonctionnaires des ministres non régaliens (Intérieur, Armées, Finances, Affaires Etrangères et Justice) sous statut privé.                         L’absentéisme (cf. supra), le niveau des retraites (accessibles 2,9 ans plus tôt), les cotisations sociales plus faibles, etc. Tous ces avantages du statut coûtent chaque année aux contribuables un montant estimé à 4 % du PIB. Le statut du personnel des banques (datant de 1937), devra lui aussi être revu ;

g)      moderniser le syndicalisme français (pratiquement inconnu hors fonction publique) ;

h)      comparer les services publics locaux, en cessant d’encourager les collectivités locales les plus dépensières.

Et… Proposition induite par la précédente :

i)        Cesser d’encourager la mauvaise gestion des collectivités locales (je dépense, donc je suis).  Rappelons que l’État, par des subventions, finance 50 % des dépenses des collectivités locales ;

(j)     procéder à une vraie décentralisation : la décentralisation de 1982 n’a été en fait qu’une déconcentration qui n’a fait que dupliquer les responsabilités, sans rien vraiment déléguer… Sait-on, par exemple, que lorsqu‘un convoi exceptionnel va de Dunkerque à Foss-Sur-Mer, le passage du convoi (contenu, longueur, hauteur, poids, etc.) doit être autorisé par le préfet ET le président du Conseil général de chaque département traversé ? Le tout dans une orgie de photocopies par dizaines, sans qu’il ne vienne à l’idée à personne d’utiliser une base de données commune ?

(k)    mieux organiser le travail des fonctionnaires, c’est-à-dire avant tout mieux utiliser les compétences[13] ;

(l)      Avoir un État qui se comporte en vrai patron, et non pas qui ne fait que ce qui est accepté du bout des lèvres par ses syndicats , comme l’ expérience du pseudo transfert de l’ ENA à Strasbourg ou de l’INSEE à Metz l’ont amplement démontré, ainsi que le refus viscéral de tout système d’évaluation individuelle de la performance, pour lequel les outils existants (quand ils existent) sont inefficaces (indicateurs non pertinents, encadrement de proximité non formé à cet exercice, pesanteurs syndicales pour qui toute mesure objective de performance s’apparente à du flicage) ;

(m)  Enfin, conduire une vraie révision générale des politiques publiques, la défunte RGPP, rebaptisée MAP (modernisation de l’action publique) ayant prouvé son inefficacité (4 milliards seulement économisés en 4 ans), en réduisant fortement la « carotte » des 50 % rétrocédés aux fonctionnaires restants pour accroissement de la charge de travail, et appliquer le un sur deux aux 584 opérateurs de l’État (type CNRS , Météo France, etc.), qui emploient au total 375 000 personnes ;

(n)   supprimer les cotisations qui n’existent pas outre Rhin (1 % logement, 1,6 % formation), mal utilisées et qui profitent abusivement aux syndicats patronaux et ouvriers.

Si le secteur privé avait dû se réorganiser à ce rythme et à ce coût, où en serions nous ?

Conclusion : Le lien social français tient en 57 milliards de dépenses d’intervention, dont une dizaine pèse pour la moitié[14] : allocation d’adulte handicapé (7,5 milliards d’euros), aides au logement (5,6 milliards), etc. Si l’on veut éviter de remettre ces aides en cause, il faudra que la fonction publique se transforme structurellement.

Elle occupe une telle place en France (une personne sur quatre dans le secteur non marchand), qu’un effort de redressement significatif et durable ne pourra se faire, ni contre, ni sans elle.  Sa réforme en profondeur, si elle pouvait encore attendre quand nous avions 20 % d’endettement (situation au début des années 1980) ne le peut plus quand ce chiffre atteint 90 %.

Le tout est de savoir si la volonté politique sera au rendez-vous…

 


[1] Source : Insee, Drees, in Les fonctionnaires contre l’État, chez Albin-Michel.

[2] Source : projet de loi de finances 2013.

[3] Contre 50 en Allemagne et au Royaume-Uni.

[4] Les fonctionnaires contre l’État, d’Agnès Verdier-Molinier (Albin Michel, 2011).

[5] Challenges (21 Octobre 2012).

[6] Sur les malheurs de Chorus, voir le Blog de la DFCG , (19/07/11 et 17/11/2011) .

[7] « Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout » et  « La politique n’est pas l’art de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent ».

[8] Qui avait, entre autres, réduit de 50 % des dotations aux collectivités locales.

[9] Cf. le blog du 20 mai 2010, du même auteur : « Le jour où la France fera faillite ».

 

[11] In Le Figaro magazine du 29 Juin 2012.

[12] In Ces mythes qui ruinent la France, d’ Alain Mathieu (Editions du C.R.I.).

 

[13] La situation des professeurs (parfois agrégés) sans classe ou des ambassadeurs sans affectation à qui l’on demande de rester chez eux… Payés ne rassure pas le contribuable sur le bon usage que l’on fait de son argent, ce qui est un euphémisme.

[14] In Les Echos du 4 Juin 2012.