Le passage des délais de paiement à 30 jours aurait un impact favorable sur la liquidité des entreprises et la réduction des retards de paiement
Le passage à 30 jours des délais de paiement devrait atteindre le premier objectif poursuivi par la Commission Européenne, qui est de renforcer la liquidité des PME. De fait, il leur rendrait la trésorerie soustraite par un allongement excessif des délais. Il pourrait contribuer également à atteindre un second objectif, celui de combattre les retards de paiement. C’est ce montre une étude du LaRGE, laboratoire de recherche en finance de l’Université de Strasbourg, réalisée en exploitant les données de la base ALTARES qui fournit l’information comptable pour plus d’un million d’entreprises et l’information sur les retards de paiement (ou non) pour près de 200.000 d’entre elles.
Près des trois-quarts des entreprises impactées mais de façon très hétérogène selon le secteur
À l’heure actuelle, en France, les délais clients avoisinent en moyenne 50 jours et les délais fournisseurs 60 jours. Dans le cas où le délai serait ramené uniformément à 30 jours, plus des deux tiers des microentreprises, plus des quatre cinquièmes des PME, et plus de 90 % des ETI et des Grandes Entreprises seraient impactées, leurs délais de paiement y étant aujourd’hui supérieurs à 30 jours. En étant payées plus vite par leurs clients, certaines de ces entreprises bénéficieraient de ressources liquides nouvelles. En devant payer plus vite leurs fournisseurs, d’autres seraient confrontées à des besoins de financement nouveaux. En modifiant les délais clients ou fournisseurs des entreprises, la norme de 30 jours modifierait sensiblement le solde commercial interentreprises, la différence entre créances clients et dettes fournisseurs, faisant apparaître de nouveaux besoins ou de nouvelles ressources de trésorerie.
De fait, pour les entreprises dont les délais dépassent aujourd’hui 30 jours, trois situations se présentent :
- Seuls les délais clients sont au-delà des 30 jours, auquel cas le passage à 30 jours ferait croître leurs ressources de trésorerie. Ces entreprises se situent principalement dans les services aux entreprises où les achats sont souvent d’un montant faible par rapport aux ventes.
- Seuls les délais fournisseurs sont au-delà des 30 jours, auquel cas leurs ressources de trésorerie diminueront et elles devront financer des besoins nouveaux. Ces entreprises se trouvent dans les activités d’aval, où les clients payent souvent comptant et où les achats représentent une part importante des ventes, comme le commerce de détail ou l’hébergement-restauration.
- Les délais clients et fournisseurs sont tous deux au-delà des 30 jours, auquel cas à la fois les ressources et les besoins de trésorerie augmenteront. Elles se situent dans les secteurs « amont » : l’industrie, la construction, le commerce de gros.
Ainsi, les gains et pertes de trésorerie occasionnés par le règlement seraient largement conditionnés par les disparités sectorielles en matière de paiements provenant en particulier de leur position dans les chaînes d’approvisionnement, comme le résume le tableau 1.
Tableau 1 : Les entreprises impactées selon le secteur
Les PME seraient largement gagnantes
Pour la population des PME, les ressources nouvelles créées par le passage à 30 jours l’emporteraient sur les besoins nouveaux, de sorte qu’elles bénéficieraient de quelques 14.4 milliards d’euros de ressources nettes. C’est également le cas, dans un moindre montant, pour les microentreprises et les ETI qui gagneraient, respectivement, 5,9 et 6,9 milliards d’euros de ressources nettes. En revanche, les Grandes Entreprises devraient supporter des besoins de trésorerie nouveaux pour près de 12,5 milliards d’euros, comme il apparaît sur le tableau 2.
Tableau 2 : Nouveaux besoins et ressources de trésorerie induits par la norme des 30 jours selon la taille
Des transferts des entreprises de l’aval vers celles de l’amont
Les transferts de liquidité iraient en fait du commerce de détail et de certains secteurs de l’industrie vers d’autres secteurs de l’industrie et vers les services aux entreprises (tableau 3).
Tableau 3 : Nouveaux besoins et ressources selon le secteur des entreprises.
Les besoins de trésorerie additionnels pourraient-ils être financés ?
Les entreprises confrontées à des besoins nouveaux de trésorerie seraient-elles en mesurer de les financer elles-mêmes ? Auraient-elles la capacité de couvrir tout ou partie de ces besoins par leurs seules réserves de trésorerie immédiatement disponibles ? En réalité, si les besoins ‘non couverts’ sont essentiellement portés par les grandes entreprises, catégorie dans laquelle plus de la moitié des entreprises ne couvrirait pas les nouveaux besoins par les disponibilités immédiates, l’effort de financement serait bien plus lourd pour les microentreprises et les PME qui bénéficiaient des délais fournisseurs les plus longs, une situation qui caractérise une entreprise sur cinq dans ces classes de taille.
Pour les grandes entreprises, qui se situent principalement dans le commerce de détail, la charge nouvelle non couverte par les disponibilités immédiates correspond en moyenne à un mois (36 jours) de chiffre d’affaires En revanche, pour les petites entreprises, le montant moyen des besoins nouveaux ‘non couverts’ équivaut à plus de trois mois de chiffre d’affaires (92 jours) dans les microentreprises et à plus de deux mois de chiffre d’affaires (68 jours) dans les PME. Les plus nombreuses d’entre elles se trouvent dans la restauration, la réparation automobile, l’habillement, la boulangerie, la coiffure et les activités de conseil.
Le règlement permettrait-il une réduction des retards de paiement ?
L’un des objectifs majeurs du projet de règlement est la réduction des retards de paiement. Pour éclairer ce point, l’étude a analysé les données exclusives de comportements de paiement d’Altares issue du programme DunTrade® qui analyse les balances âgées (comptabilité). De manière générale, l’observation confirme que globalement les entreprises qui payent leurs factures en retard sont aussi celles dont les délais fournisseurs sont les plus longs. Cependant, la réduction des délais à 30 jours pourrait ne pas suffire à la réduction des retards de paiement.
En effet, l’étude (tableau 4) montre que, parmi les entreprises payant leurs fournisseurs en retard, seules celles bénéficiant de ressources nouvelles pourraient être en mesure de réduire leurs retards : les nouvelles ressources de trésorerie représenteraient pour elles en moyenne un gain, exprimé en nombre de jours d’achats, très supérieur au nombre de jours de retard que subissent actuellement leurs fournisseurs. Ainsi, les microentreprises « retardataires » gagneraient 82 jours d’achats leur permettant de couvrir les 19 jours de retard actuellement observés. La couverture serait de 72 jours vs 14 pour les PME, 72/15 pour les ETI et 67/18 pour les GE.
En revanche, il est difficile d’envisager que les entreprises devant financer des besoins nouveaux supportent à la fois l’effort financier induit par ces besoins et réduisent leurs retards de paiement.
Tableau 4 : Relation entre le nombre de jours de retard de règlement des fournisseurs et les délais fournisseurs
Pour conclure
En définitive, le passage des délais de paiement à 30 jours remettrait en cause les équilibres de trésorerie prévalant actuellement dans les relations interentreprises et le rôle qu’y joue le crédit interentreprises. Le passage des délais à 30 jours rendrait sans conteste aux PME une partie de la liquidité qui leur est soustraite par des délais de règlement trop longs. Mais on peut attendre des fournisseurs qu’ils cherchent à maintenir leurs concours aux distributeurs si la fragilisation potentielle de ces derniers risque d’affecter l’équilibre et la stabilité de la chaîne dans laquelle ils sont partenaires.
Pour plus d’information : https://ideas.repec.org/p/lar/wpaper/2024-02.html