Ouf ! L’eurogroupe, la Commission européenne et le FMI ont trouvé un accord pour verser à la Grèce les 8,2 Md€ lui permettant de ne pas être en défaut dès le début de ce mois d’août.

Ouf, mais peut-être pas pour tous. Il ne s’agit pas ici de stigmatiser les Finlandais ou nos amis d’outre-Rhin. L’équilibre à trouver entre la perception des bonnes décisions à prendre et la pression de leur propre électorat rendrait schizophrène plus d’un dirigeant et c’est bien la situation dans laquelle se trouvent les hiérarques d’Helsinki et de Berlin. Plus étonnante est la réaction du gouvernement et des économistes américains.

Il semble qu’en ce moment, aux États-Unis, on assiste à des discours croisés selon lesquels oui, le plan de sauvetage actuel s’avère nécessaire (car les hedge funds vendeurs d’assurance contre le risque de défaut perdraient des sommes importantes que le Trésor, les systèmes bancaires officiel et « fantôme » américains ne pourraient pas supporter)… Mais, de toute façon, la bataille est perdue ! Les conditions de succès, en effet, n’existeront jamais : les créanciers et les agences de notation ne peuvent accepter les conditions proposées pour ne pas conduire à un constat de défaut, et la Grèce se trouve dans l’incapacité de rembourser sa dette quoi qu’il arrive et quoi qu’on fasse !

Et de rappeler qu’une devise propre à plusieurs pays ne peut exister durablement sans que ces pays aient des politiques économiques et budgétaires communes, etc. C’est que les Américains ont mis en place au prix d’une guerre de Sécession féroce, mais qui a conduit, entre autres résultats, à l’instauration d’un budget fédéral et à une garantie financière inconditionnelle de la fédération à chaque État1.

On citera en illustration du propos un extrait d’article rédigé par Martin Feldstein et publié le 4 juillet sur le blog du directeur financier : « Il y a deux autres problèmes qui rendent difficile le succès de cette stratégie en Europe. Premièrement, les politiques d’austérité budgétaire qui font décroître la demande globale et le PIB dans ces pays ne peuvent pas être compensées par les effets expansionnistes de la dévaluation des monnaies comme cela a été le cas en Amérique latine. De plus, même lorsque le surendettement est éliminé, les pays périphériques resteront non compétitifs sur les marchés mondiaux aux taux de change actuels. En tant que membres de la zone euro, ils ne peuvent pas dévaluer. Alors régler le problème de la dette laissera encore ces pays avec des déficits de balance courante à leurs niveaux d’aujourd’hui, des déficits qui persisteront dans le futur. »

Or les cas grecs et argentins sont différents et un quelconque parallèle entre les deux situations s’avère sans objet.

Tous les commentaires américains sont bien connus depuis que l’École de Chicago a prophétisé l’échec de l’euro, mais ils ne font procgresser ni la réflexion ni la recherche de solution face aux problèmes rencontrés actuellement par la zone euro qui ne se régleront pas sans pleurs et grincements de dents, mais avec de la créativité et de la volonté politiques dont semblent pourvus nos dirigeants européens et leurs sherpas. Or, précisément, les gouvernants européens et leurs créanciers semblent proches d’un consensus ; n’en déplaise aux agences de notation qui n’ont juridiquement pas le dernier mot comme cela a été montré dans un post récent mais qui persistent et signent.

[quote type= »center »]Comment les commentateurs américains peuvent-ils être si sûrs que les nécessaires ajustements de compétitivité des pays du Sud de l’Europe ne pourront être réalisés ?[/quote]

L’idée de base du deuxième plan de sauvetage grec est de passer d’une maturité de dette de 5 ans à un horizon de 30 ans assortie d’une diminution des taux d’intérêt et de mesures structurelles macro et microéconomiques drastiques. Avec une telle période d’ajustement, comment les commentateurs américains peuvent-ils être si sûrs que les nécessaires ajustements de compétitivité des pays du Sud de l’Europe ne pourront être réalisés ?

L’Allemagne a mis une dizaine d’années sous l’impulsion du Chancelier Schroeder à accroître cette compétitivité qui lui permet d’engranger mois après mois des excédents commerciaux vertigineux. Donner 30 ans à la Grèce n’est pas déraisonnable et rassurera les créanciers du Portugal et de l’Espagne. Après un an d’une purge qui n’est pas achevée, l’Irlande a même retrouvé un taux de croissance positif.

Reinhart et Rogoff ont montré historiquement qu’un endettement supérieur à 90 % du PIB était insoutenable et que les façons de se relever étaient toutes bellicistes ou révolutionnaires (qui sont les deux faces d’une même pièce).  Mais « cette fois c’est différent » ! Chacun peut constater que les pays d’Europe vivent, depuis 1945, une époque de calme à leurs frontières d’une longueur jamais observée depuis plus de mille ans. Cette fois, l’Europe se situe indubitablement dans un nouveau paradigme. Aussi, pourquoi l’Europe ne trouverait-elle pas une solution négociée et pacifique à ses problèmes monétaires et institutionnels qui exige de la créativité et de la volonté politiques dont semblent aujourd’hui pourvus les négociateurs?

Une clé importante du règlement de la « crise » actuelle de l’euro est sans aucun doute le temps. Or pourquoi certains économistes et beaucoup de dirigeants américains ne veulent-ils pas donner à l’Europe ce précieux temps ? Ou plus précisément du temps s’étendant au-delà de la date d’expiration des CDS dont leurs institutions financières sont gorgées ? On n’ose imaginer qu’il s’agit d’une résurgence d’un soft power visant à conserver un leadership mondial qui s’émousse…

Laissons donc dire les Cassandre de tous bords et concentrons-nous sur des solutions nécessaires puis suffisantes, au moins à court terme. Certes la situation est complexe, rien n’est gagné d’avance, le peuple grec et d’autres pourraient refuser « l’effort, The big one », mais il faut essayer, jusqu’au bout.  Depuis 2009, les institutions européennes ont évolué comme jamais auparavant, et changeront encore beaucoup au cours des deux ou trois prochaines années…  sans guerre de Sécession !

L’Europe politique s’est faite par à coups et aux forceps depuis 1957. Rien n’est perdu même si l’Europe se trouve sur une ligne de crête et si les points techniques ne sont pas simples à résoudre. Mais, comme avait coutume de dire le général de Gaulle : « l’intendance suivra ! »

Après tout, qui aurait pensé en 1962 qu’un américain marcherait sur la Lune un certain 21 juillet 1969 à 3h 562 ? Et si l’euro était notre nouvelle frontière à nous, Européens ?

[learn_more caption= »en savoir plus »]

1.  Notons au demeurant que le budget fédéral assure les fins de mois « financières » des États, si nécessaire, pour éviter un défaut extérieur de la Californie, mais n’intervient pas pour régler un « défaut intérieur » constitué par l’impossibilité de payer les fonctionnaires et les fournisseurs.

2.  Le 20 juillet à l’heure américaine.

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